Le choix d’un meilleur rugby
Face à la pandémie, les décisions prises par l’institution organisatrice des Coupes d’Europe, en accordant des victoires ou défaites, peut-on dire « sans combat », ont détraqué le principe de l’égalité des chances qui fonde la régularité de toute compétition. Chacun, selon son mérite acquis sur le terrain, doit défendre ses chances. Quel que soit en fin de parcours le vainqueur européen, cet arbitrage a brisé l’esprit de cette compétition. On ne saura jamais si le meilleur n’était pas celui qui a perdu un match avec une punition maximale qui l’a privé d’une qualification. Était-il possible de faire autrement et mieux ? Pas sûr, il n’y a pas de solution miracle puisque le calendrier n’est pas à même d’y répondre. La question se posera de savoir s’il n’était pas préférable d’annuler cette compétition. C’est d’autant plus dommageable que les clubs français semblaient plutôt bien partis pour y jouer un rôle majeur, par les résultats et par la qualité du jeu produit. Je pense, sans ordre préférentiel à, La Rochelle — Lyon, Toulouse — Bordeaux. Bien sûr le Racing et Clermont qui fut capable de produire contre le Munster, lors d’une première mi-temps parfaite, un rugby haut de gamme, spectaculaire et efficace. Sincèrement, bonus en poche à la mi-temps, avec un écart au score plus que conséquent, on peut s’interroger pourquoi et comment la machine s’est déréglée jusqu’à concéder in fine une défaite frustrante. Ce n’est pas à exclure : avec un stade plein, le soutien inconditionnel du public auvergnat aurait préservé les ambitions entrevues dans le premier acte. Je n’oublie pas d’associer Toulon dans ce groupe d’excellence française, même si j’ai un peu de mal à appréhender toutes les raisons qui ont conduit à refuser de jouer contre les Gallois… Un choix crucial qui pourrait priver le RCT d’une qualification. Ces performances traduisent bien l’élévation du niveau de jeu qui, me semble-t-il, s’installe aussi dans le Top 14. Certes ce n’est pas une constante dans tous les matchs mais certaines oppositions entre les grosses écuries sont significatives de la volonté d’accéder à un jeu de mouvement toujours plus abouti, en tout cas qui présente plus de séquences surgies d’états « désordonnés ». Si cela se confirme, cette tendance ne manquera pas de donner l’envie de s’essayer à ce rugby plus en liberté, et ce, à tous les niveaux. Le dernier Toulouse — Bordeaux est certainement le match le plus significatif d’un jeu porteur d’intentions, d’audace, d’intelligence tactique, d’engagement physique et d’exigences mentales nécessaires pour maîtriser la pression émotionnelle. Dans ce match, tous ces facteurs ont permis d’assurer un grand spectacle. Il s’agit bien, quand on choisit cette option, « de jouer quoi qu’il en coûte ». Ce qui entraîne imprécisions et erreurs, mais ce sont ces manques qui enrichissent la production. Les meilleures initiatives peuvent se retourner comme un boomerang contre ceux qui les provoquent, ce qui oblige dans la variabilité des rapports d’opposition de savoir passer de manière immédiate et réactive du statut d’attaquant à celui de défenseur. C’est aussi accepter de vivre le jeu en tenant compte des notions de désordre et d’ordre, tout à la fois dans leur antagonisme et complémentarité. Choisir de privilégier le désordre, c’est amener le collectif à prendre l’information activement pour agir, réagir, s’adapter à l’imprévu.
Je parle du fugitif instant de communion tactique qui devient déterminant pour transformer, pour les utilisateurs du ballon, « le désordre situationnel » en « action collective ordonnée ». Le prolongement efficace de l’action, celle où on est impliqué immédiatement (les joueurs proches du ballon) et celle différée (partenaires plus éloignés) en est la conséquence. Cet aspect du jeu défie les analyses, échappe aux planifications et statistiques.
L’originalité et la richesse du jeu toulousain s’expriment justement par la disponibilité de ses joueurs à ne pas se limiter à exceller dans certaines phases de jeu. Il s’agit bien d’une dynamique mentale collective fondée sur l’adhésion de croyances à entretenir et à faire évoluer. Les bons résultats confortent et incitent les joueurs à évoluer dans ce sens, mais, tout autant, les rendent toujours plus adaptables pour sortir de ce registre quand ils sont confrontés à des contextes d’oppositions fluctuants plus contraignants. Bonne année, en espérant que 2021 va nous permettre de se retrouver sur tous les terrains.