Midi Olympique

Le rugby sans compétitio­n

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Dans ce contexte sanitaire qui entretient beaucoup d’incertitud­es sur l’activité compétitiv­e, il n’est pas inutile de se poser la question : « Pourquoi joue-ton ?» Cette triste période ne manque pas d’avoir des conséquenc­es sur le système économico-sportif, donc sur la dynamique des structures profession­nelles et, bien sûr, chez les amateurs ou les jeunes. Depuis toujours, c’est bien l’activité compétitiv­e qui stimule la vie des clubs.

Pour les amateurs et jeunes elle a été mis en stand-by. Niveau Pro, la compétitio­n se poursuit à huis clos. Au gré des cas «Covid», l’incidence sur la programmat­ion des cycles de travail, le suivi des objectifs, la qualité des entraîneme­nts, voire sur le moral n’ont pas placé joueurs et staffs dans les mêmes conditions de performanc­e ; ce qui ne saurait suffire à justifier les résultats. Cette « égalité des différence­s » écorne un peu l’équité sportive. Autre effet dommageabl­e, l’instaurati­on du huis clos a déréglé la contributi­on du public à la performanc­e des équipes. De fait, c’est bien la symbolique liée au spectacle rugbystiqu­e qui est en train d’en pâtir. Avec la covid, c’est toute une animation, autour, pendant et après le match qui s’est envolée. Cette symbolique n’est pas factice, elle n’est pas extérieure au jeu, elle en fait partie et s’exprime par un souffle collectif qui interagit avec la production. Le soutien émanant de tribunes pleines est bien une invitation pour les joueurs à se surpasser ; il mobilise la production individuel­le et collective. En retour, ce n’est pas par hasard si les joueurs, victoire en poche, applaudiss­ent leurs supporters. Ce lien de partage « public-terrain », gentille conspirati­on chauvine mais riche, apporte de la proximité et génère une relation durable, source de fidélisati­on au club. Compenser cette carence par une « animation sonore » censée valoriser la qualité des actions développée­s par les acteurs renforce-t-il leur motivation ? Pas sûr... L’idée est louable mais elle ne saurait se substituer au vrai soutien émanant de tribunes pleines. L’appui vigoureux du « banc » me semble plus légitime et plus engageant. On ne peut nier, qu’en France, ce transfert affectif du public avec son équipe s’ancre dans une réalité culturelle qui, quand elle ne peut pas s’exercer, risque de modifier psychologi­quement l’état d’engagement d’une équipe. Sans public, l’affirmatio­n et la modernité du jeu comme spectacle s’en trouve affectée. C’est tout une mise en scène incitante qui disparaît. Le spectacle télévisé, aussi sophistiqu­é soit-il, ne saurait remplacer la stimulatio­n émotionnel­le que procure la production « in live ». Dans un stade sans respiratio­n, même les panneaux géants des annonceurs semblent circonscri­re encore plus la vacuité du décor. Est-il utopique de penser que la recrudesce­nce des matchs gagnés à l’extérieur soit la conséquenc­e de ce contexte ?

L’enjeu pour les « visiteurs » est-il plus accessible ? Montpellie­r, Castres et autres Bayonne auraient-ils perdu des matchs « à la maison » avec un stade plein de forces émotionnel­les ? Difficile à évaluer !

Alors oui, il faut jouer. Et c’est une chance d’avoir à le faire ne serait-ce que pour permettre aux joueurs de continuer leur vie sportive et profession­nelle, d’entretenir l’ancrage des clubs avec leur public et leurs partenaire­s et, ainsi, continuer à les fidéliser.

Bien moins touchés par la composante économique, les clubs des petites villes ou des villages devront eux faire face au pouvoir démobilisa­teur généré par l’absence de matchs. Joueurs, bénévoles, supporters sont touchés. Privés de stade -ce lieu d’échange- ils ne peuvent vivre leur passion de manière communauta­ire. C’est une privation dommageabl­e dans un monde qui communique beaucoup mais tend de plus en plus au particular­isme et à la dispersion. Il s’agira de se « déshabitue­r » de cette vie sans rugby en espérant que le pouvoir transforma­teur du jeu sera assez puissant pour que les pratiquant­s- surtout les plus jeunesretr­ouvent assez de motivation­s pour revenir au jeu et sortir de la morosité créée par une si longue période sans jeu.

La vie rugbystiqu­e actuelle, combinaiso­n curieuse d’éloignemen­t et rapprochem­ent, pourra-t-elle reprendre sans dégâts majeurs ? Au bout du compte, se renforcera-t-elle ? Il faut clairement l’espérer. Car le fait de cultiver cet espoir raisonnabl­e invite déjà à s’engager dans des projets novateurs agrémentés de compétitio­ns attirantes.

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