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Technique 20 ans déjà d’arbitrage vidéo Grand Chelem 1981 Guy, l’autre Laporte : « monsieur drop »

AVANT BERNARD, LE LAPORTE DU RUGBY FRANÇAIS, C’ÉTAIT GUY. L’OUVREUR BUTEUR ET ARTISAN DU GRAND CHELEM 1981. LE ROI DU DROP, CONSACRÉ SUR LE TARD, MÉRITAIT UN COUP DE PROJECTEUR RÉTROSPECT­IF. NE SERAIT-CE QUE POUR RAPPELER QU’IL VALAIT MIEUX QUE CERTAINS C

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Avant les années 90, le Laporte du rugby français, c’était Guy. Demi d’ouverture de Graulhet, bombardé en équipe de France à 28 ans pour le deuxième match du Tournoi 1981, en Irlande et dans un vrai traquenard. Jamais une carrière n’avait démarré de façon aussi tonitruant­e. Coup d’envoi des Français, mêlée, petit ping-pong, mauvais dégagement adverse, et drop monumental de 45 mètres de l’ouvreur, après 32 secondes de jeu. Un vrai coup de tonnerre. Les Français n’étaient vraiment pas favoris. En plus le matin du match, Blanco et Codorniou terrassés par la grippe avaient déclaré forfait. Il fallait donc avoir le coeur bien accroché, et compter sur une botte bien réglée pour fouler d’un pied ferme cette pelouse de Lansdowne Road. Cinq minutes plus tard, rebelote. Coup franc joué à la main par Berbizier et l’ouvreur néophyte reclaque un drop lointain d’un geste impeccable. 6-0 pour la France. « En plus, ce n’était pas un ballon en cuir « wallaby », mais un ballon « Gilbert », au diamètre beaucoup plus réduit. Il ne fallait pas le quitter des yeux jusqu‘à la frappe « Eyes on the tee », dirait-on au golf, détaille Guy Laporte

quarante ans après. Ce drop récompensa­it tant de travail, d’heures passées à l’entraîneme­nt. Je venais buter seul le soir, je savais où était l’interrupte­ur du stade… » À Dublin, les Français l’emportèren­t 19-13, avec deux drops et une pénalité de Guy Laporte. La voie du grand chelem était ouverte. Il le terminerai­t avec 29 points inscrits en trois matchs, sacré total quand on sait qu’il laissait les certaines pénalités tapées depuis la droite à l’arrière gaucher, Serge Gabernet. « Jacques Fouroux était intransige­ant sur les touches. On n’avait pas intérêt à en manquer une. Il gueulait comme un putois. Plus tard en 1986, j’ai fini le Tournoi avec une fierté : pas un seul dégagement en

touche manqué. »

STYLE : « GARÇON DE CAFÉ »

Guy Laporte était un vrai canonnier. Un peu nostalgiqu­e, il constate que son profil ne fait plus guère d’émules : « À Twickenham, pour le dernier match du Tournoi 81, j’avais encore marqué deux drops. Je m’étonne qu’aujourd’hui, on n’en tente plus, même à 25 mètres face aux poteaux. Ou alors en dernier recours quand tout est perdu. Je ne comprends pas, ça vaut quand même encore trois points. »

En cet hiver 1981, Guy Laporte devint une vraie star, derrière Rives, le capitaine et Fouroux qui vivait son premier Tournoi en tant que sélectionn­eur. Le Graulhetoi­s était clairement l’un des poulains du Petit Caporal, l’expression

de sa vision d’un rugby pragmatiqu­e : « En championna­t, j’avais claqué un drop de cinquante mètres sous son nez, à Auch. Je crois qu’il voulait continuer avec moi ce qu’il avait vécu, lui, comme joueur quand il était associé à Jean-Pierre Romeu. En 1977, ils avaient été virés, et ceux qui étaient proches de leur style, dont moi étaient passés au second plan pour laisser la place à des ouvreurs catalogués comme plus offensifs. Pour débuter en sélection, j’ai dû attendre le retour de Fouroux, devenu sélectionn­eur. On avait frôlé la cuiller de bois en 1980 et Albert Ferrasse voulait qu’on revienne aux fondamenta­ux. »

Romeu et Laporte (six ans d’écart) étaient de gros botteurs, c’est entendu, mais ils savaient pourtant lancer les attaques : « On pratiquait le style : « Garçons de café » ; on courrait un peu en travers en présentant le ballon, aux attaquants pour des croisées, des vraies et des fausses. » Guy Laporte n’était pas un feu follet, vif, rapide, imprévisib­le comme en raffolaien­t les grands médias. Parler de lui, c’est remettre les pieds dans le plat des éternelles querelles de style qui structurai­ent ou parasitaie­nt le rugby français. Oui, Guy Laporte manquait un peu de vitesse, mais pas d’élégance. Ses gestes offraient une beauté classique, une mécanique harmonieus­e qui ne mentait pas sur son talent.

L’ESSAI DE 86 AUX 23 PASSES, TÉMOIN DE SON TALENT

Nous avions décortiqué il y a quatre ans, le fameux essai de 1986 (France - Irlande), riche de 23 passes conclu par Philippe Sella. Les transmissi­ons de Guy Laporte sont frappées du sceau de la justesse et de la précision. Sur France 3, le commentate­ur Christian Rives avait cloué le bec à un téléspecta­teur qui osait traiter Laporte de « demi de fermeture ».« Regardez les images, tout simplement ! » avaitil répondu consterné par le poids des clichés.

Tout au long de sa carrière, Guy Laporte a toujours rencontré des gens prêts à le caricature­r. « Des complotist­es ! » se marre-t-il aujourd’hui. « Mon boulot, c’était de marquer des points. J’en ai inscrit plus de 2000 en championna­t et il fallait que je m’adapte aux forces de mon équipe. » Le SCG de ces années-là ne pratiquait pas le rugby champagne, d’Agen ou de Toulouse. Au milieu, de ce quinze de fantassins, Laporte meublait les tableaux d’affichage : neuf, douze, quinze points... Pour peu qu’il pleuve, il allumait sans sourciller ses 36 chandelles sur l’adversaire­s, des pluies d’ogives, drues comme des hallebarde­s, parce que c’était son devoir quoi qu’il en coûte en termes d’image. « Guy Laporte était un gars très méticuleux, anxieux même », se souvient Daniel Revallier son ancien coéquipier en sélection à Graulhet. « Il préparait ses affaires avec une rigueur militaire. Ses chaussures étaient impeccable­s alors que les miennes étaient dégoûtante­s. Ses crampons, c’était comme les doigts d’un chirurgien. Pas question de négliger ce qu’il considérai­t comme ses outils de travail et non de jeu ; pour moi à l’inverse, le rugby est un jeu. Mais je peux vous dire qu’il préparait ses matchs à cent pour cent. Le drop de 1981, il l’avait prévu, et même imaginé. Il m’avait dit avant le coup d’envoi, tu me prends la balle, et j’en claque un tout de suite. À Graulhet, c’était notre maître à jouer, il commandait les sorties de balles de telle ou telle façon. Si ça n’arrivait pas comme il voulait, ça ronflait sévère. Mais nous, les avants, avions beaucoup de respect pour lui et il avait vraie une main mise sur nous. De l’extérieur, à l’époque, certains le trouvaient prétentieu­x car il paraissait froid et distant. Mais je crois qu’il se mettait dans une bulle et que rien ne devait le perturber. Dans l’intimité, c’était tout le contraire : un gars merveilleu­x, l’un de mes meilleurs amis. Je le fréquente toujours. »

Sa carrière, Guy Laporte l’a prolongée assez tard. Jusqu’à la fin des années 80, d’autres ouvreurs étaient pourtant apparus entre-temps. Jean-Patrick Lescarbour­a et surtout Franck Mesnel qui révolution­na le poste par sa puissance. Mais

Jacques Fouroux comptait toujours sur lui pour la première

Coupe du monde 1987, à 34 ans et demi. « J’ai joué le quart de finale contre les Fidji, mon dernier match.

J’ai inscrit 15 points mais ce fut difficile car Mesnel avait été replacé au centre avec Sella, Charvet à l’aile où il n’avait jmais joué. Nous avions eu, moi y compris, des problèmes en défense contre ces gars qui jouaient un jeu si particulie­r.

Ils se faisaient des passes comme on lançait le javelot. » Franck

Mesnel repassa à l’ouverture pour la demie géniale face aux Wallabies et la carrière internatio­nale de

Guy Laporte s’arrêta là. « Fouroux me glissa qu’il avait un petit regret. Peut-être qu’en finale face aux All Blacks, mon profil aurait pu servir. On a trop subi. Avec un jeu au pied long, on aurait peut-être pu desserrer l’étreinte. » On a souvent dit que sa fidélité au Graulhet de Marcel Batigne l’a sans doute desservi, dans un club plus « huppé », il aurait sans doute compté quinze sélections de plus. Mais à l’époque, on ne changeait pas d’écurie comme ça. Et à défaut de titres majeurs, Graulhet offrit à Laporte une carrière dans le négoce de peaux et de cuirs.

Quarante ans après, c’est sûr, son passage en Bleu nous semble un peu mésestimé. L’OPA sur son patronyme de Bernard, cadet de treize ans, y est sans doute pour quelque chose. Pourtant lui aussi eut sa période de responsabi­lité. « J’ai été manager du XV de France de 1993 à 1995 avec Pierre Berbizier comme entraîneur. J’ai vécu une tournée en Afrique du Sud, une en Nouvelle-Zélande, puis une Coupe du monde. » Après le Mondial et le traquenard de Durban en 1995, il quitta son poste : « J’ai vécu les deux victoires en Nouvelle-Zélande avec l’essai du bout du monde. Je reste marqué par les entraîneme­nts spartiates de Berbizier. C’était l’époque où les joueurs n’étaient pas toujours prêts physiqueme­nt, notamment pendant le Tournoi. Ensuite, on a voulu faire la peau Berbizier, alors je suis parti. Une nouvelle équipe est arrivée. André Herrero m’a remplacé mais il a démissionn­é très vite après s’être pris la tête avec les joueurs. Je suis revenu brièvement, car Bernard Lapasset m’avait appelé... » Il fallait éteindre l’incendie de la fronde des joueurs pour des raisons financière­s, juste avant le test de Toulouse de novembre 1995 contre les All Blacks. Guy Laporte vint jouer une dernière fois les pompiers de service avant de laisser place à Jo Maso. Aujourd’hui, il est coprésiden­t de Graulhet (Fédérale 1), le club qu’il a tant servi. Et ce n’est pas une sinécure. Dans cet ancien bastion industriel, capitale du cuir, les temps sont durs. Le SCG a évité quatre fois la descente en Fédérale 2. Le club ne pèse plus comme à son époque. Mais ses comptes sont impeccable­s, comme ses drops. C’est la fierté actuelle de Guy Laporte. « Oui, on ne triche pas. »

« En plus, le ballon de 1981 n’était pas un ballon « wallaby », mais un ballon « Gilbert », au diamètre beaucoup plus réduit. Il ne fallait pas le quitter des yeux jusqu’à la frappe. »

Guy LAPORTE, demi d’ouverture du XV de France

« Fouroux me glissa qu’il avait un petit regret. Peut-être qu’en finale face aux All Blacks, mon profil aurait pu servir. »

Guy LAPORTE, demi d’ouverture du XV de France.

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