Itoje, l’homme trop parfait
LES ANGLAIS SERONT FAVORIS, ÉVIDEMMENT, AVEC UN ITOJE IMPERMÉABLE À TOUT. UNE BONNE CAMPAGNE POURRAIT EN FAIRE UN CAPITAINE DES LIONS BRITANNIQUES.
Ne rêvons pas. Cet Angleterre Écosse de 2021 sera forcément moins passionnant que celui de 2019, qui s’était terminé par un extraordinaire 38-38 et une remontée fantastique des Écossais en deuxième période. Les Anglais, forts de leur série de huit succès de rang, Coupe d’Automne des Nations en poche, seront les grands favoris des retrouvailles de samedi. Eddie Jones n’est pas du genre à bouleverser son groupe et compte plus que jamais sur ses traditionnels hommes forts.
Parmi eux, le deuxième ligne au bras de pieuvre, Maro Itoje. Il n’a plus joué depuis début décembre. C’est le sort des joueurs des Saracens, prisonniers d’une situation assez surréaliste. Le championnat de deuxième division n’a toujours pas repris et Itoje s’est contenté d’entraînements, poussés on s’en doute. Il n’a même pas joué le seul match des Saracens depuis octobre (un amical contre Ealing). Depuis la dernière rencontre du club dans l’élite (face au Racing, en demi-finale de Champions Cup), Maro Itoje n’a goûté au haut niveau que via l’équipe nationale. Il réalise en fait une sorte de rêve des grands sélectionneurs : pouvoir compter sur des joueurs cadres 100 % disponibles pour la patrie. Itoje sera frais comme un gardon pour affronter l’Écosse samedi, pour un Tournoi qui, ne l’oublions pas, est spécial à plus d’un titre. La covid, évidemment, mais aussi la perspective de la tournée des Lions britanniques et irlandais (si elle a lieu).
EDDIE JONES, SON BIENFAITEUR
Itoje, 26 ans, fait partie des candidats au poste de capitaine de la sélection supranationale. Si l’Angleterre continue sa série victorieuse, on ne voit pas bien qui pourrait l’en empêcher. Dans ces conditions, ne comptez pas sur lui pour critiquer les options d’Eddie Jones, son bienfaiteur, l’homme qui l’a fait débuter sur la scène internationale en 2016. C’est la grande question du moment en Angleterre : peut-on échapper au style soi-disant ennuyeux d’Eddie Jones ? « Sincèrement, pour moi, ça n’a pas d’importance. Je veux simplement jouer et gagner avec l’Angleterre. Nous avons suffisamment de bons joueurs sur le terrain pour prendre les bonnes décisions, au bon moment. Sincèrement, je reconnais qu’on peut encore s’améliorer sur tel ou tel point mais toutes ces discussions sur le rugby qu’on joue ou qu’on devrait jouer, ça me passe au-dessus de la tête. »
L’homme est intelligent, cultivé, assez ambitieux pour continuer à étudier en parallèle de sa carrière. Mais il est d’une prudence de Sioux quand il s’exprime publiquement. Un petit défaut dans sa cuirasse. On aimerait bien le voir se mouiller davantage, vu son statut. Mais face aux questions, il reste imperturbable. Itoje est un professionnel jusqu’au bout des ongles. « Les Lions ? Il y en a dont le boulot est de prendre des décisions à ce sujet. Mon inactivité en club ? Ne vous inquiétez pas, je vais très bien. Vous savez, les entraînements de l’Angleterre, ce n’est pas non plus une petite promenade dans un parc quand on regarde la longueur et l’isolement du stage. Et comme je n’ai pas encore de famille... » Une allusion à son coéquipier Joe Marler qui a renoncé à la sélection, faisant passer sa famille en priorité.
Rien ne semble donc devoir le perturber. Sa carrière ressemble jusqu’ici, c’est vrai, à un fleuve presque trop tranquille, un abonnement à l’excellence que les versatiles Écossais de Finn Russell (profil diamétralement opposé) font parfois dérailler. En 2019, ce fut l’espace d’une mi-temps. Cette année-là, Itoje, blessé, ne jouait pas. Sa carrière impeccable ne pouvait pas s’accommoder d’un tel couac.