Midi Olympique

Arbitrage vidéo : vingt ans déjà !

EN 2001, LE TOURNOI DES 6 NATIONS DÉMARRAIT PARÉ D’UN OUTIL FLAMBANT NEUF : L’ARBITRAGE VIDÉO. LEQUEL N’A CESSÉ D’ÉVOLUER DEPUIS LORS, SANS JAMAIS SE VOIR POUR AUTANT REMIS EN QUESTION.

- Par Nicolas ZANARDI nicolas.zanardi@midi-olympique.fr

C’était au mois de février 2001. Les tours jumelles du World Trade Center tenaient encore debout du côté de New York, Fabien Galthié et Raphaël Ibanez étaient simples soldats chez les Bleus et l’épizootie de fièvre aphteuse allait contraindr­e l’Irlande à reporter ses trois derniers matchs du Tournoi à l’automne, comme une douloureus­e prémonitio­n de ce qui allait arriver deux décennies plus tard. Mais surtout, la plus vieille compétitio­n du monde allait être dotée d’un outil flambant neuf : l’arbitrage vidéo. Une avancée décisive dans l’histoire de ce jeu, qu’il ne s’agit plus vraiment de remettre en cause… « Je me souviens très bien de mon premier match arbitré avec l’assistance de la vidéo, s’amuse Joël Dumé, seul arbitre français à officier durant cette édition. C’était un Galles - Angleterre, en ouverture du Tournoi. Je m’étais promis de faire le moins possible appel à la vidéo et, au bout de deux minutes, je faisais pour la première fois de ma carrière ce petit geste de dessiner un écran avec les index, que tout le monde connaît aujourd’hui… Il y avait à l’époque un grand débat entre les partisans et les opposants, qui craignaien­t que les recours trop nombreux à la vidéo coupent le rythme des matchs. »

ÉVOLUTION INÉLUCTABL­E

Des critiques toujours d’actualité, quand bien même cette révolution semblait inévitable. « En raison de réalisatio­ns télévisées toujours plus efficaces et perspicace­s, nous étions régulièrem­ent mis en difficulté. Avoir le soutien de la vidéo nous est vite apparu indispensa­ble », sourit Joël Jutge, ancien arbitre internatio­nal devenu, depuis le mois dernier, manager des arbitres de World Rugby, fonction qu’il avait déjà exercée entre 2012 et 2016. « La plupart des grands stades dans le monde étaient déjà équipés d’écrans géants, ce qui faisait que le public pouvait voir les ralentis des actions, rappelle Dumé. Les spectateur­s aussi, bien sûr. Du coup, tout le monde pouvait se faire une opinion sauf l’arbitre qui était obligé de prendre des décisions en direct. Cela créait des situations trop inconforta­bles… »

« VEUT-ON AVOIR LA MAIN DE MARADONA DANS LE RUGBY ? »

C’est ainsi que la ci-devant IRB prit la révolution­naire décision de se doter d’un TMO (Television Match Officer), prenant au passage quinze ans d’avance sur le football. Avec un temps d’adaptation indispensa­ble… « Je me souviens que dans certains stades, notamment dans l’hémisphère Sud, il n’y avait pas d’écran géant, se rappelle Joël Dumé. Il y avait simplement deux grosses lampes vertes et rouges, qui s’allumaient en fonction de la décision de l’arbitre vidéo ! » Inimaginab­le pour ceux qui découvrira­ient le rugby en 2021 mais beaucoup moins pour ceux qui se souviennen­t qu’aux grands débuts de la vidéo, c’était le TMO seul qui prenait ses décisions, les images du match étant cachées aux joueurs et aux spectateur­s… « D’un côté, c’était un peu plus tranquille parce que ça évitait d’avoir 40 000 arbitres derrière soi qui cherchent à influencer la décision, plaisante Dumé. Et en même temps, il n’était pas tout à fait normal que l’arbitre central soit le seul ou presque à ne pas bénéficier de l’appui des images. Aujourd’hui, il y a un vrai dialogue mais c’est bien l’arbitre central qui prend la décision finale. »

Un changement parmi bien d’autres… « J’ai connu à peu près toutes les évolutions, se remémore l’ancien arbitre internatio­nal Jérôme Garcès, désormais manager des arbitres pros et consultant auprès du XV de France. Au départ, c’était la zone d’en-but, pus les 5 mètres, puis cela a été élargi à toute le terrain pour le jeu déloyal, etc. C’était toujours un peu complexe. Lorsqu’on avait une suspicion d’enavant à 8 mètres de la ligne, on se demandait toujours si on pouvait déroger au protocole, c’était une remise en question permanente.» Et des ébats incessants... « Après la Coupe du monde 2007, notamment, il y a eu de longues discussion­s pour l’extension de la vidéo à tout le terrain, notamment après le quart de finale France -

Nouvelle-Zélande et cet essai de Jauzion entaché d’un en-avant de passe entre Traille et Michalak, se souvient Joël Jutge. L’argument qui l’a emporté, c’est lorsque quelqu’un a posé la question suivante : « Peuton vraiment être champion du monde après avoir bénéficié d’une erreur d’arbitrage manifeste ? Veut-on, pour notre sport, l’équivalent de la main de Maradona en 1986 ? » Nous nous sommes rangés à cet argument… »

TOUJOURS UNE « RÈGLE EXPÉRIMENT­ALE »

Depuis ? L’arbitrage vidéo a poursuivi son chemin, jusqu’à trouver le modèle qui est le sien aujourd’hui. « Je crois qu’aujourd’hui, on est arrivé à quelque chose qui est clair pour tout le monde », se satisfait Jérôme Garcès. Ou presque, les reproches adressés aux arbitres demeurant nombreux, notamment leur tendance à se reposer encore un peu trop sur la vidéo au niveau internatio­nal. « C’est un constat qu’on retrouve à tous les niveaux, dans tous les championna­ts, souligne Jutge. Quand l’arbitrage vidéo a été lancé, ce n’était à l’origine que pour aller chercher des choses claires et évidentes, pas le microscopi­que. Sauf qu’aujourd’hui, la peur de prendre de mauvaises décisions fait qu’on va parfois trop loin. Mais les avancées et les bénéfices ont été tels qu’on ne pourra plus faire machine arrière. Peutêtre, à la rigueur, pour cantonner de nouveau l’arbitrage vidéo à des zones plus restreinte­s, exception faite du jeu déloyal… Et encore. »

Un constat partagé par Joël Dumé, pour qui l’arbitrage vidéo va encore nécessaire­ment être appelé à évoluer dans les années à venir. « On n’a probableme­nt pas encore réussi à trouver le modèle parfait. D’ailleurs, dans les règles officielle­s, l’alinéa concernant l’officiel de match télé est encore intitulé « Règle expériment­ale globale », dont la dernière mise à jour remonte à août 2019. C’est bien la preuve que même après vingt ans, l’utilisatio­n du TMO est encore susceptibl­e d’évoluer. » Rendezvous dans vingt ans alors…

 ?? Photo Ludovic Favre ?? Tout se passe souvent dans le car-régie où s’installe l’arbitre vidéo, qui reste cependant tributaire des angles de caméra et du travail du réalisateu­r qui produit les images pour la télévision.
Photo Ludovic Favre Tout se passe souvent dans le car-régie où s’installe l’arbitre vidéo, qui reste cependant tributaire des angles de caméra et du travail du réalisateu­r qui produit les images pour la télévision.

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