Midi Olympique

L’adieu d’un seigneur en son fief

VIVRE LES OBSÈQUES DE JEAN-PIERRE BASTIAT EN LA CATHÉDRALE DE DAX, C’EST RESSENTIR UNE CRISE DE NOSTALGIE, ET CÉLÉBRER UN FIEF DE L’OVALE DONT L’ANCIEN N°8 AURA COMBATTU LE DÉCLIN CONTRE VENTS ET MARÉES.

- Par Jérôme PRÉVÔT, envoyé spécial jerome.prevot@midi-olympique.fr

Cet article n’a aucune vocation à l’objectivit­é. Il a été écrit à l’encre d’un sang qui l’espace de deux heures coula rouge et blanc. Quand on parle de rugby, Dax ne sera jamais une terre tout à fait comme les autres, ceux qui ont connu l’âge d’or du rugby amateur le comprendro­nt ; surtout quand la cité rend hommage à l’un de ses grands seigneurs, Jean-Pierre Bastiat. Dans la cathédrale Notre-Dame de Dax, Christian Coucourron, l’aumônier des arènes ne fit pas dans la demi-mesure en convoquant tout de suite les vers d’Edmond Rostand : « C’était un roc, un cap, une péninsule. » Parmi les prêtres figurait même un de ses anciens coéquipier­s en équipe première, Philipe Lebel. Dax adore mélanger les sacrements.

L’HOMMAGE DE JEAN-LOUIS BÉROT

« Le Grand » est parti en deux temps et trois mouvements, hélas ou tant mieux, puisqu’il n’a pas souffert longtemps. L’ancien numéro 8 du XV de France a reçu l’adieu qu’il méritait. Son effigie aura fait face à la foule pendant toute la cérémonie, bras croisés, sourire malicieux adressé à ceux qui un jour ou l’autre avaient reçu un mot gentil de sa part. Assister aux obsèques de Jean-Pierre Bastiat, c’est d’abord se rendre compte de sa qualité première. Ce n’était pas sa force de taureau, ni son adresse de singe, ni sa détente de félin, ni même son sens du jeu maintes fois célébré dans la presse depuis trois jours. Son atout majeur, finalement, c’était sa constance, mais encore plus dans la vie que sur les terrains. Son complice Jean-Louis Bérot évoqua avec talent une sorte de héros local, un homme protée qui savait si bien cacher ses moments de tristesse derrière la bonne humeur dont il faisait cadeau à tout le monde. « Devant ton sourire et ta délicatess­e, certains contestaie­nt ton authentici­té, toi qui étais l’authentici­té même. Simplement, tu ne voyais pas le mal, tu le refusais. »

À travers les propos de l’ancien demi d’ouverture, on devinait le personnage d’un film à la Franck Capra, un héros positif s’efforçant de rendre le monde meilleur autour de lui. Jean-Louis Bérot rappela ensuite un fait historique qui nous avait échappé, et qui sans doute tarauda longtemps JeanPierre Bastiat. « Au moment où le rugby passa profession­nel, il eut le regret de voir Serge Kampf ne pas s’engager à l’US Dax pour choisir un autre club en rouge et blanc, celui de Serge Blanco. » Si Bastiat avait réussi ce coup d’influence là, l’avenir du rugby à Dax en eut été profondéme­nt changé.

Mais l’ancien numéro 8 resta jusqu’au bout au chevet du club de sa vie. Il avait connu, joueur, ses années florissant­es, notable local, il le soutint dans la difficulté alors qu’il était rattrapé par une hydre insoupçonn­able dans les années 70, l’hyper-profession­nalisme. « Mais il a toujours été là, mobilisant son réseau pour combler le trou sans fond pour la survie de nos couleurs. » poursuivit Bérot. À l’époque de Jean-Pierre Bastiat, la perspectiv­e d’ouvrir un cabinet d’assurance suffisait à conserver un talent local à domicile. C’est le président historique René Dassé qui lui avait conseillé d’emprunter cette voie. Le colosse ne le déçut pas. Il perpétua la grande spécialité dacquoise, la réussite sociale, comme Bérot d’ailleurs. Voilà pour toujours les boucliers de ceux qui n’ont pas de Boucliers.

« LA GLOIRE TU L’AVAIS DÉJÀ »

Après la cérémonie, Jean-Louis Bérot nous confia en privé un image qui lui restait : l’adresse prodigieus­e de son ami, la façon dont il captait les ballons en touche, parfois à un doigt. C’est vrai à Dax,

JPB avait le bras long. Dans la cathédrale, une voix, celle du maire fraîchemen­t élu, Julien Dubois, décrivit même une scène digne du plafond de la Chapelle Sixtine tranplanté­e l’espace de deux heures au bord de l’Adour. Il imagina le grand créateur saisissant Bastiat du bout des doigts, en pleine extension après une touche, pour l’amener au firmament. Une sensation qu’il avait connu, lui, à son niveau de simple mortel, avec Jean-Pierre en Deus Ex Machina et mentor de sa campagne politique victorieus­e. « Le Grand » était parfois présent au premier rang, pour faire rejaillir sur lui sa notoriété. « Avant de savoir s’effacer quand c’était le moment. » Le mentor laissa son poulain galoper avec ses propres sabots vers la consécrati­on que lui-même aurait très bien pu connaître d’ailleurs avec plus de réussite. Julien Dubois raconta les messages qu’ils s’échangeaie­nt quasiment chaque jour ou les cartes qu’il recevait de son aîné, presque un adjoint officieux quand on n’y pense. « Tout ce que tu as fait, tu ne le faisais pas ça pour la gloire, tu l’avais déjà ! »

AGUIRRE NOUS REPASSE L’ESSAI DE 77

Le sommet de sa carrière, c’est vrai on peut le situer en 1977, avec le grand chelem de la bande à Fouroux (mais aussi d’un autre Dacquois, «Toto» Desclaux, homme de terrain). Jean-Michel Aguirre a pris la parole au nom de cette escouade encore bien représenté­e dans la cathédrale de Dax : « Oui, c’est à moi qu’échoit cette difficile mission… » L’arrière avec la précision d’un chroniqueu­r sportif décrivit l’essai décisif de Dublin et sa genèse assez improbable et approximat­ive : « La passe de maçon » de Fouroux, le coup de pied foireux de Romeu, le rebond, les interventi­ons de Sangalli et de lui-même : « Cadre et donne, François ! Cadre et donne, Jean-Mi ! ». « Puis à ma droite, j’ai vu les avants, Alain Paco et toi, Jean-Pierre, qui a couru avant de plonger, ballon tenu en avant en prenant des risques considérab­les. Je me suis toujours demandé ce que serait devenu notre groupe si le ballon était tombé. Deux tapes dans le dos, et nous sommes repartis au combat contre des Irlandais déchaînés. Tu as fait partie de l’aventure des Barbarians par la suite et tu étais mon étalon or de l’amitié. »

Le plus bel exploit signé Bastiat dont fut témoin Jean-Michel Aguirre ne se déroula pas sur une pelouse : « Quand tu as pris la parole pour fêter tes 70 ans. Tu n’étais pas censé être au courant. Sans note, tu as parlé pendant une demi-heure, en tenant l’auditoire en haleine. Tu avais l’art de profiter du moindre moment de la vie. Toi qui racontais toujours une blague sur un train qui traversait les Landes en passant par Morcenx en faisant « Tchou-Tchou »….Tu as pris un autre train en rase campagne et tu es descendu dans une gare en rase campagne. Je suis sûr que Jacques Fouroux et Patou (Robert Paparembor­de) t’y attendaien­t. » Car JeanPierre Bastiat est le troisième des Chelemards à quitter cette terre pour prendre place au banquet des légendes ; vingt ans après le premier, seize ans après le second.

L’ORFÈVRE DES MOTS

Évidemment, assister aux obsèques d’une personnali­té du rugby, c’est aussi vivre le télescopag­e de ses vies, publique et privée. On se demande toujours ce que ressent une famille à devoir partager ce deuil avec le grand public, question de décalage. Un joueur internatio­nal, un notable, c’est aussi un fils, unique, pour Suzon, sa maman de 98 ans. Sa petite-fille, Zoé, leva un voile sur le grand-père qu’il fut. Il peuplait d’ailleurs ses cauchemars récurrents (son père qui s’écrase en avion) dans le rôle de l’aïeul qui surgit dans la tourmente pour prendre tout le monde par les épaules en disant, « Tout ira bien. » Et de témoigner d’un viatique transmis le jour de sa majorité : « Merci pour ces 18 ans, et cette règle que tu m’as enseigné : «Dans la vie, il n’y a qu’une règle. Profiter, partager et protéger… la famille, les amis et la vie. »

Au fil de cet hommage poignant, on a compris que son grand-père lui avait laissé le goût des mots et des formules avant de partir. C’est ce qui nous aura le plus impression­né chez lui depuis toutes ces années : le numéro 8 de 1977 ne se cantonnait pas à sa spécialité. Aucun sujet, finalement, n’était trop grand pour lui. Et ses mots transcenda­ient le réel encore plus que ses gestes de rugbyman. Ceux que vous venez de lire lui sont dédiés, il était le plus captivant des interlocut­eurs.

 ?? Photos Isabelle Louvier et Icon Sport ?? Intense émotion vendredi à Dax. Toute une ville et plusieurs génération­s de rugbymen disaient au revoir à une vraie légende du rugby français : Jean-Pierre Bastiat, numéro 8 du grand chelem 1977. Mais surtout personnali­té incontourn­able et infatigabl­e de la cité landaise. Son humour et sa bonne humeur « étaient l’authentici­té même » résuma Jean-Louis Bérot, qui prononça un hommage poignant..
Photos Isabelle Louvier et Icon Sport Intense émotion vendredi à Dax. Toute une ville et plusieurs génération­s de rugbymen disaient au revoir à une vraie légende du rugby français : Jean-Pierre Bastiat, numéro 8 du grand chelem 1977. Mais surtout personnali­té incontourn­able et infatigabl­e de la cité landaise. Son humour et sa bonne humeur « étaient l’authentici­té même » résuma Jean-Louis Bérot, qui prononça un hommage poignant..
 ??  ?? Parmi les personnali­tés présentes : Julien Dubois (maire de Dax), Geneviève Darrieusec­q (ministre des Anciens combattant­s), Serge Blanco, Claude Dourthe, Jean-Louis Bérot, Richard Dourthe, Benoît August, Jean-François Imbernon, Jean-Claude Skréla, Roland Bertranne, Jean-Michel Aguirre, Gérard Cholley, Pascal Ondarts, Jean-Pierre Garuet, Richard Astre, Laurent Pardo, Daniel Dubroca, Francis Haget, Jean Gachassin, Jo Maso, Jean-Jacques Ponteins, Didier Lacroix, Ugo Mola et René Bouscatel.
Parmi les personnali­tés présentes : Julien Dubois (maire de Dax), Geneviève Darrieusec­q (ministre des Anciens combattant­s), Serge Blanco, Claude Dourthe, Jean-Louis Bérot, Richard Dourthe, Benoît August, Jean-François Imbernon, Jean-Claude Skréla, Roland Bertranne, Jean-Michel Aguirre, Gérard Cholley, Pascal Ondarts, Jean-Pierre Garuet, Richard Astre, Laurent Pardo, Daniel Dubroca, Francis Haget, Jean Gachassin, Jo Maso, Jean-Jacques Ponteins, Didier Lacroix, Ugo Mola et René Bouscatel.
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