Midi Olympique

Murray, le général de l’armée verte

CONOR MURRAY - DEMI DE MÊLÉE DE L’IRLANDE IL VA FÊTER SES DIX ANS DE PRÉSENCE EN ÉQUIPE D’IRLANDE. LE NUMÉRO 9 DU MUNSTER EST, DEPUIS LONGTEMPS, UN ROUAGE ESSENTIEL DE SA SÉLECTION, DANS UN STYLE « NON FLAMBOYANT » QU’IL ASSUME PARFAITEME­NT.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Il a connu trois Coupes du monde, deux tournées des Lions, un grand chelem et deux victoires contre les All Blacks. Lors du succès historique de Chicago en 2016 face aux Néo-Zélandais, un journal lui accorda la note de dix sur dix. À l’échelle de l’Irlande, le palmarès de Conor Murray est monumental. On le surnomme « Le Général » pour son style de jeu hiératique et il approche tout doucement des 100 sélections. Un peu comme son gabarit car, avant lui, l’Irlande n’avait jamais connu de numéro 9 aussi costaud : 1,88 mètre pour 93 kilos. Ses prédécesse­urs avaient souvent des profils de « ouistiti » à la Peter Stringer, son devancier en tant que « taulier » du poste de demi de mêlée. Il y a deux ans, lors de la cérémonie des Oscars de Midi Olympique, il avait ainsi résumé le sens de sa carrière : « Les choix à pression reposent toujours sur la charnière. C’est votre boulot, si vous ne pouvez pas ou ne voulez pas l’assumer, il faut jouer à un autre poste. C’est aussi simple que ça. » Son rugby à lui n’est pas une ode à la créativité, mais une occasion de tester son sens stratégiqu­e.

SÉLECTION EXPRESS POUR LE MONDIAL

Murray va fêter cette année ses dix ans en équipe nationale. Il a d’ailleurs débuté sur le sol français en plein été, à Bordeaux, lors d’un match de préparatio­n au Mondial 2011 après seulement huit matchs avec le Munster. Le sélectionn­eur de l’époque, Declan Kidney, ne tergiversa pas avec ce nouveau talent si mature pour son âge. Il l’amena dans la foulée disputer le Mondial en Nouvelle-Zélande, et pas comme un faire-valoir.

Titulaire au premier match contre les États-Unis, titulaire contre l’Italie puis titulaire en quart de finale contre le pays de Galles, l’ascension de Conor Murray fut fulgurante, alors qu’il était en concurrenc­e avec deux trentenair­es du Leinster : Eoain Reddan et Isaac Boss (néo-zélandais naturalisé). Depuis cette arrivée fracassant­e, Conor Murray a tracé un profond sillon dans l’histoire du rugby irlandais : 145 matchs avec le Munster, 93 sélections avec l’Irlande et cinq avec les Lions.

Car les qualités que lui découvrit Declan Kidney,Warren Gatland les enregistra aussi très vite. Il lui offrit un billet pour la tournée en Australie en 2013 avec deux tests sur trois disputés, remplaçant de Ben Youngs et de Mike Phillips. On se souvient qu’avec les Lions comme avec l’équipe nationale, son ascension fut vécue comme une demi-surprise. Elle n’était pas scandaleus­e, mais elle n’était pas forcément courue d’avance.

Car Murray n’est pas le genre de gars qui multiplie les exploits flamboyant­s. En ça, il est presque aux antipodes d’un Antoine Dupont, son adversaire de dimanche. Il ne fait pas partie des demis de mêlée vif-argent, des « poisons » qui s’infiltrent à toute allure dans les espaces de la défense adverse. Si l’on cherche une comparaiso­n française, ce serait plutôt du côté de Morgan Parra qu’il faudrait chercher. Il est un commandeur en chef, un cornac du pack qui sait jouer au rythme de son équipe et qui sait respecter et faire respecter un plan de jeu à la lettre. En clair, il n’a pas peur de taper une chandelle dans la boîte quand les circonstan­ces l’exigent. Il correspond­ait en fait parfaiteme­nt au style de jeu prôné par Joe Schmidt, le technicien qui a révolution­né le style des Verts dans les années 2010.

Une chose nous frappe, depuis cet été 2011, personne n’a vraiment menacé sa place de titulaire en sélection. En ce sens, on lui trouve encore des similitude­s avec Morgan Parra : parfois contesté, mais définitive­ment présent dans les grands moments, avec une emprise sur son équipe. Un vrai leader, froid : « On a parlé de moi comme d’un joueur d’échecs. J’imagine que c’est assez juste… Je ne suis pas sur le terrain pour apporter de l’impact physique ou de la vitesse. Un demi de mêlée est ici pour réfléchir et prendre des décisions. Ce n’est pas très spectacula­ire, vous ne marquez pas d’essais. Mais vos décisions, bonnes ou mauvaises, ont un impact immense sur l’issue du match. Quels sont les points forts de mon équipe ? Dans quel secteur est-elle dominée ? Où dois-je insister ? J’aime être au coeur du jeu et savoir que mes choix seront décisifs. Je n’ai pas besoin de marquer un essai pour me sentir important pour mes coéquipier­s. »

L’HOMME AUX NERFS D’ACIER

Le rugby de Murray est celui d’un homme aux nerfs d’acier, qui ne tentera jamais le diable ballon en main. Dans le jeu courant, les recours aux coups de vice ne lui font pas peur. Nigel Owens, le célèbre arbitre gallois, a révélé cette semaine que son cas avait fait l’objet de discussion­s lors d’un stage des meilleurs sifflets mondiaux. « Oui, nous avions vu qu’il avait tendance à faire des obstructio­ns subtilemen­t sur les défenseurs adverses. Un arbitre doit se tenir au courant de ce genre de choses dans la préparatio­n de ses matchs. » Owens était interrogé sur le carton rouge du troisième ligne Patrick O’Mahoney pour un déblayage à la tête d’un adversaire : une constante chez ce flanker impétueux. Il en profita pour donner quelques exemples, les fautes du « Général » sont moins visibles à l’oeil nu, moins douloureus­es pour ses victimes et moins risquées pour son équipe. Du Murray tout craché. En fait, quand on a connu l’Irlande d’antan, on rigolerait presque du volte-face. Il n’est pas si lointain, le temps où l’on célébrait chez les Irlandais les qualités inverses de celles de Conor Murray. On louait quelques surdoués (Tony Ward, Mike Gibson, Brian O’Driscoll) et des wagons de semeurs de désordre, des embrouille­urs d’adversaire­s, généreux, mais sans grand sens de la tactique.

Aurait-on qualifié Willie John

McBride, Fergus Slattery ou

Ciaran Fitzgerald de « joueurs d’échecs » ? Peut-être que Ronan

O’Gara, mentor assumé de Conor

Murray, fut un précurseur. « Avant, je jouais ouvreur ou centre et j’analysais tout ce qu’il faisait. Il me fascinait. Ce mec prenait possession d’un match et de son scénario.

Un mec extrêmemen­t intelligen­t, pas le plus athlétique de son équipe, mais il avait compris qu’un grand ouvreur devait être un cerveau. »

Il est plutôt un commandeur en chef, un cornac du pack qui sait jouer au rythme de son équipe.

« À mes yeux, Limerick est le meilleur endroit du monde. Je suis né ici, je suis heureux ici. J’y ai ma famille, mes amis, mes repères. Je n’ai jamais envisagé d’en partir. »

LIMERICK, CENTRE DU MONDE

L’hyper profession­nalisme est passé par là. Pourtant, la biographie de Connor Murray est un concentré des racines historique­s du rugby irlandais. Naissance à Limerick, scolarité dans un collège catholique, Saint-Munchin, un vrai conservato­ire du XV frappé du Trèfle, cinq fois vainqueur de la compétitio­n scolaire du Munster (une référence). Dans ses vestiaires se sont formés une kyrielle de joueurs du Munster, de la sélection émeraude et même des Lions, dont le célèbre Keith Wood que Connor Murray est en train de talonner en termes de notoriété. Ils sont trois dans le groupe actuel à sortir de ces vieux murs : Murray, Keith Earls et Donnacha Ryan. Conor Murray ne revendique pas la moindre once d’originalit­é dans son parcours. C’est son collège, intégré à l’adolescenc­e, qui l’a formé au rugby à cent pour cent. Auparavant, il jouait au Hurling, sa première passion, puis l’influence de ses camarades lui a fait sauter le Rubicon qui sépare le sport celte du sport « british », plus ouvert sur le reste du monde.

La nature a fait le reste. Elle l’a fait grandir d’un coup, lui qui se sentait si maigrichon avant ses 16 ou 17 ans. Il s’est retrouvé prêt à encaisser les rigueurs du jeu de haut niveau et découvrir l’universel, sans vraiment sortir de chez lui. Il n’a jamais quitté Limerick. Il l’avait confié lors de sa dernière prolongati­on avec le Munster : « À mes yeux, c’est le meilleur endroit du monde. Je suis né ici, je suis heureux ici. J’y ai ma famille, mes amis, mes repères. Je n’ai jamais envisagé d’en partir. » Il y restera sans doute après sa carrière, peut-être pour ouvrir un restaurant de son propre aveu : « J’aime tellement manger… Toute ma vie tourne autour de la nourriture. À la télé, je ne regarde que des émissions de cuisine. J’apprends des recettes, j’ai une relation amoureuse avec la nourriture. » On le rassure et on le regrette pour les Français : pour l’instant, ça ne se voit pas.

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