Midi Olympique

« L’ADN du rugby français ne rentrera jamais dans un moule parfait »

-

Lorsqu’on m’a demandé de réfléchir à ce texte, je me suis dit que je pouvais prendre quelques libertés. Et distribuer au passage un petit carton rouge… Mais cette carte blanche, je veux d’abord la dédier à notre équipe de France, parce qu’il y a bien longtemps que l’on n’avait pas vu un groupe avec un visage aussi humain. On a de tout, dans cette équipe : des petits, des grands, des gros, des maigres. On a renoué avec une certaine biodiversi­té du joueur de rugby, qu’on avait eu tendance à oublier. Il faut pour cela remercier ce staff, qui a eu le courage d’effectuer un virage à 380 degrés par rapport à ces prédécesse­urs en repartant de zéro. Pour l’heure, le rugby des Bleus est très ordonné, parce qu’on doit faire les choses dans l’ordre. Je suis maçon, et je sais très bien qu’on ne peut reconstrui­re que sur des fondations solides. Mais je suis persuadé que dans le futur, le rugby de cette équipe va évoluer. Les Tournois, c’est bien pour se roder mais il ne faut pas se tromper : l’objectif est d’être champion du Monde en 2023, et de beaux champions du monde. J’entends par là que quand nous disputeron­s la finale de la Coupe du monde – parce que nous serons en finale, j’en suis sûr – c’est notre French Flair qui fera la différence. L’ADN du rugbyman français, il est là, dans l’excès. L’excès dans le jeu, dans la bouffe, dans la bringue, avec les filles… Faire rentrer cet ADN dans un moule parfait, c’est impossible. Mais c’est un joker qu’on garde dans notre manche, que tout le monde nous envie, et qu’il s’agira de sortir au meilleur moment, quand il ne restera plus que 30 secondes à jouer pour gagner la Coupe du monde, et qu’on aura besoin d’un nouveau Blanco pour inscrire un essai du bout du monde. C’est comme ça que ça va se passer, pas autrement. On ne peut être champions du monde que de cette manière, sur un éclair de folie. Pas en empilant les stats, les pourcentag­es et les pick and go… J’espère que les joueurs seront conditionn­és pour ça. En attendant, l’équipe recommence à faire rêver des gens, ce qui est quand même l’essentiel. Le miracle, il est là : celui d’avoir renoué avec son public malgré les matchs à huis clos. Je parle du vrai, du franchouil­lard, du 16e homme qui chante la Marseillai­se avec des frissons dans le dos. Pas de celui qui s’empiffre de petits fours en loge en matant les hôtesses… Le peuple du rugby se reconnaît à nouveau dans son équipe parce qu’elle est remplie de gosses aux têtes bien faites, bien remplies, qui apportent de la fraîcheur. Le seul petit reproche que je peux leur faire, c’est qu’ils ne donnent pas encore l’impression de s’éclater en bleu comme avec leur club, qu’ils ne libèrent pas encore les rires, la parole. Mais cette maison qu’ils reconstrui­sent, la maison France, il faut qu’ils se l’accaparent définitive­ment, et qu’il se dégage des leaders naturels. Lesquels ? Je n’en sais rien, c’est à eux de décider, de trouver leur équilibre. À l’époque, quand on a fait venir Jeff Tordo en équipe de France, ce n’était pas parce qu’il faisait des chisteras, mais parce qu’il était un peu fédérateur. Mais s’il n’y avait eu que des Tordo, on n’aurait jamais gagné un match… En revanche, si je tombais, un autre pouvait me relever et porter le flambeau encore plus loin. Désormais, c’est à ça que l’équipe et son staff doivent aspirer. Si on ne perd pas de vue ce facteur de l’aventure humaine, on aura une équipe de France très forte pour un bon bout de temps…

Quant à mon carton rouge ? Je change de sujet, mais je vais le destiner à tous ceux qui disent qu’il faut « faire un geste pour la planète ». Cette expression, je n’en peux plus. Dans dix millions d’années, notre planète aura évolué, mais elle sera toujours là. Alors ces gestes, il faut les faire pour nous, l’espèce humaine. Pas pour la planète qui nous montre chaque jour qu’elle est la plus forte, ce qu’on s’obstine à ne pas voir parce que notre génération a été mal éduquée. Aujourd’hui, on a tous des masques sur la figure. Et demain, ce sera quoi, un scaphandre ? Quand on voit l’état dans lequel cette pandémie a mis notre monde, je ne comprends pas qu’on ne prenne pas conscience de l’importance de faire ne serait-ce qu’un geste par jour. Nous sommes 8 milliards sur cette terre ! Si chacun y met du sien, un meilleur avenir est possible, mais il faut s’en persuader parce que c’est un match qu’on ne doit pas perdre, et qu’on ne gagnera qu’ensemble. Je sais bien que tout le monde rigole quand c’est Jeff Tordo qui le dit. C’est pourquoi j’attends désormais que la nouvelle génération de sportifs prenne la parole. Si un Antoine Dupont ou un Romain Ntamack tenaient ce discours, il serait probableme­nt mieux entendu par les plus jeunes. C’est aussi ça que j’attends de ces mecs, oui…

Newspapers in French

Newspapers from France