Midi Olympique

Contrôle d’identité

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Antoine Dupont et Brice Dublin sont des hommes qui rêvent, dans la certitude que chaque jour qui passe ne revient pas. Alors que le rugby français a longtemps sombré dans une immense lassitude, ces deux-là et quelques autres, plutôt que longer les berges du fleuve, ont décidé de se jeter à l’eau quelles que soient les circonstan­ces, dans cette nouvelle normalité que nous subissons où rien pourtant n’est normal. Dupont rappelle à chacun de ses essais que la vie est une course de vitesse. Ses deux essais inscrits samedi sur le stade de Thomond Park à Limerick, province du Munster, dans la lumière inédite d’un ciel immaculé, relevaient d’une pensée magique, à l’intérieur toujours. Le blanc des maillots toulousain­s nous redonnaien­t paradoxale­ment les couleurs perdues sous la pluie obstinée du récent France — Écosse à Saint-Denis, et surtout étaient la preuve que les instants fragiles des derniers instants face à l’Angleterre (à deux reprises) et à l’Écosse n’avaient rien d’une fatalité. Cette victoire toulousain­e sur le Munster (33-40) avait vraiment tout du contrôle d’identité.

France - Galles participai­t d’un autre monde, d’une bravoure surgissant d’une autre partie de la vie. Je crois qu’on a sousestimé l’impact sur les hommes subi dans la puissance du combat, sans oublier les effets mal cernés du virus sur des athlètes de haut niveau. En tous cas, ce France - Galles demeurera dans les mémoires pour son paroxysme d’exaltation, pour la grandeur du capitaine Charles Ollivon, pour la pure folie de Brice Dulin. Mené 20-30, le XV de France prouva que la déraison pouvait être le moteur de l’action. Sur le pré, la vie devint une brûlure de chaque instant, une envolée lyrique, un poème en prose épique et magnifique. Le bonheur, c’est lorsqu’on est capable de quelque chose dont on ne se sentait pas capable… Quand Brice Dulin plongea pour l’essai victorieux tout à gauche du terrain, ce fut comme si les premières orchidées s’ouvraient. Au-delà du temps réglementa­ire, un chef-d’oeuvre crépuscula­ire. Dans une jeunesse de vertiges, cette équipe venait de renverser le cours de l’histoire.

Nous pouvions donc continuer à écrire le rugby avec une encre sympathiqu­e. Jusqu’à la douche écossaise et ce moment d’égarement de Brice Dulin, chercheur d’or en quête d’utopie, provoquant incompréhe­nsion, frustratio­n, et même sensation d’être replongé dans le déclasseme­nt de la dizaine d’années précédente. La liberté a du goût, mais elle peut aussi avoir un coût… Même si l’on est persuadé que le meilleur est à venir, il est permis de s’interroger sur la profondeur du traumatism­e, provoqué par trop d’échecs dans les derniers instants, ce roman de la perte. La question de l’après se pose maintenant. Autant la saison précédente, l’équipe de France et son staff avaient donné des réponses, autant après l’Écosse nous restons sur des questions. S’est-on égaré dans des éléments de langage quelque peu abscons ? Pourquoi la stabilité de la conquête laisset-elle à désirer ? L’absence de Willemse et de Le Roux suffit-elle à expliquer une dimension physique insuffisan­te ? Pourquoi exiler à l’aile un chef de défense, en l’occurrence Gaël Fickou ? Malgré une communicat­ion où a disparu le succulent plaisir des mots, pourtant propre au rugby, l’équipe de France va mieux, puisqu’elle nous donne à nouveau de grandes émotions. N’oublions pas toutefois que cette équipe en devenir n’a rencontré aucune nation de l’hémisphère Sud.

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