Midi Olympique

Je vote Dulin

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En quelques jours, autant de minutes et deux matchs, contre Galles puis l’Écosse, le destin d’un joueur, d’un homme, a basculé. Entre allégresse et détresse, une étrange rime s’est réveillée, celle qui relie, d’un 26 mars à l’autre, deux noms, Gachassin et Dulin… Le 26 mars 1966 à Cardiff, 70e minute, Gachassin, des fourmis dans les mains, n’avait qu’un petit coup de pied à donner par-dessus la défense très avancée et la France, qui menait 8-6 contre Galles, allait accrocher, un nul à la clé, le premier Grand Chelem de son histoire. Mais un vent mauvais s’en mêla et le vol de sa longue passe pour Darrouy fut intercepté par le Gallois Watkins qui fila à l’essai. Adieu victoire mémorable, bonsoir le sort déplorable. Le tocsin pour Gachassin, éternel gamin devenu chagrin, et les frères Boni aussitôt bannis. Le 26 mars 2021 à Saint-Denis, quatre-vingtième minute passée, le match était fini. Dulin n’avait qu’un tranquille coup de pied à libérer, deuxième place assurée. Mais il y avait mieux, beaucoup plus heureux, un contre réussi sur le flanc écossais et c’était, au bénéfice des essais, le premier Tournoi remporté depuis plus de dix ans. « Gagner… gagner » avait répété Galthié. Pauvre de lui, le petit Brice Dulin, de La Rochelle, où il joue, et d’Agen, où il est né, s’est dit, en douce, que sur un nouveau coup d’éclat, une semaine après la victoire d’un grand souffle contre les Gallois, l’équipe pouvait toucher à un bonheur complet. Il quitta le terrain tête baissée, tel un enfant égaré. Et les commentair­es tombèrent, non pas pour l’accabler, plutôt pour se moquer et se demander « quelle mouche l’a piqué ? ». Propulsé par l’humeur d’un Cyrano qui touche à la fin de l’envoi, il n’était plus qu’un Gaston la Gaffe accompagné par les sourires compatissa­nts d’une France toujours apte à exhumer son Poulidor. Qu’il soit permis de nuancer, penchant avoué. Nous sommes nombreux à l’aimer ce « petit » depuis ses premières relances en soutien au-delà de Castres et d’Agen, à l’aimer avec la bande à Charly (le véloce Ducasse, athlète internatio­nal). Avec lui, quelque chose passe, se passe, un frisson, à fond le ballon, en l’air ou au pied, ce n’est pas parfait mais il fait si bon aiguillonn­er. Un quelque chose qui donne du goût et de l’élan malgré les lourdes tendances actuelles à comptabili­ser et à célébrer les plaquages réussis, tronches et bras baissés, plutôt que les transmissi­ons, doigts déployés. En cela, ce Dupont de l’arrière incarne l’esprit providenti­el d’une équipe capable, par sa communicat­ion sur le terrain, de faire oublier l’autre, celle de Marcoussis et ses tartufferi­es sur les bons de sortie. Car Dulin et les siens constituen­t l’une des plus belles jouvences offertes au rugby de France. Pourvu que ces magnifique­s déconfinés tiennent à ce niveau de fraîcheur, quels que soient les résultats de l’été chez les Australien­s. Ils vont devoir résister aux fatales pressions, Grand Chelem en 2022, titre mondial en 2023. Ils ne sont pas les meilleurs au monde, seulement nos élus de coeur. Je vote pour eux, à commencer par leur lutin de l’arrière. Allez les petits, surtout Dulin.

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