Un crachat sur les pompes
Le rugby est de sang anglo-saxon et prend parfois un malin plaisir à nous le rappeler. Le mois dernier, les dirigeants de la Sanzaar -reine mère du Super Rugby- ont ainsi cru bon de présenter le trophée du Rugby Championship aux côtés du Wallaby Michaël Hooper, du Néo-Zélandais Ardie Savea et du SudAfricain Kiya Kolisy, respectivement capitaines de leur sélection nationale. Sous le soleil de
Townsville, les trois skippers se sont fait tirer le portrait et la photo, censée promotionner la compétition, a circulé quelques jours durant dans une étrange indifférence. Ce faisant, les responsables de la compétition ont cyniquement accepté que le capitaine des Pumas Julian Montoya, alors en transit avec son équipe, ne soit pas représenté sur l’étendard d’un tournoi que l’Argentine fréquente pourtant depuis 2012. S’en est suivi un coup de gueule, légitime, de Mario Ledesma. Et des excuses, un rien foireuses, de la part de la Sanzaar, celle-ci plaidant « un changement de voyage tardif n’ayant pas permis au capitaine argentin de respecter l’heure prévue pour la séance photo ». Sans blague, les gars ? Mais si Ardie Savea, le Supremo des All Blacks, avait été retenu dans un quelconque aéroport au moment où se déroulait le shooting, auriezvous maintenu celui-ci ? Et auriez-vous pensé, comme vous l’avez manifestement fait au sujet de Julian Montoya : « Bof… C’est pas grave… Il sera là l’année prochaine » ?
Le malheur de l’Argentine, qui a attendu trente ans avant d’intégrer une compétition digne de ce nom, est qu’elle est encore considérée par la planète ovale comme un cousin attachant mais négligeable, un sparring-partner honnête mais inoffensif. ESPN, qui retransmet en Argentine les matchs des Pumas dans le Rugby Championship, finance pourtant aussi bien la farandole du grand Sud que les télés australienne ou néo-zélandaise. Au dernier recensement, la fédération argentine comptait aussi 140 000 licenciés, soit tout autant que la NZRU et beaucoup plus que ces Celtes omnipotents auxquels Agustin Pichot avait l’an passé déclaré la guerre. À l’automne 2021, l’Argentine vient pourtant de se faire ouvertement cracher sur les pompes par ses compadres et n’a pas eu son mot à dire, non plus, lorsque le Super Rugby a décidé de poursuivre sa route sans les Jaguares, une super puissance aujourd’hui sans adversaires. Pour que la grosse machine du sport pro puisse continuer de tourner normalement, pour coûte que coûte alimenter la bête, les Pumas viennent pourtant de jouer au rugby douze mois durant et sans la moindre coupure. À leur égard, un « gracias, hombres »* aurait été plus digne.
*merci, messieurs