Midi Olympique

Perpignan - Tarbes la finale des sacrifiés

LA FINALE DU CHAMPIONNA­T 1914 GAGNÉE PAR PERPIGNAN FACE À TARBES RESTE À NOS YEUX LA PLUS ÉMOUVANTE DE L’HISTOIRE, PAR SON SCÉNARIO, SON CONTEXTE ET SA CONCLUSION TRAGIQUE.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

● 1823 - 2023 - 5/52 EN CETTE ANNÉE 2023, LE RUGBY FÊTE SES 200 ANS. MIDI OLYMPIQUE VOUS PROPOSE DE CÉLÉBRER CET ÉVÉNEMENT À TRAVERS UNE SÉRIE D’ARTICLES QUI RETRACERON­T L’HISTOIRE DE NOTRE SPORT DEPUIS 1823. LE VENDREDI NOUS ÉVOQUERONS LES MOMENTS LES PLUS FORTS ET LES PLUS ÉMOUVANTS DE DEUX SIÈCLES DE PASSION OVALE, EN TOUTE SUBJECTIVI­TÉ.

Une récente introspect­ion nous a mis devant cette évidence. La finale la plus indélébile, la plus émouvante et la plus tragique, ce fut bien celle du 3 mai 1914 à Toulouse entre l’AS Perpignana­ise et le Stadoceste Tarbais. Le dernier titre décerné avant la Guerre de 1418, dont beaucoup de protagonis­tes allaient épouser le destin tragique de leur nation. Ce fut d’abord une partie de feu gagnée d’un point (8 à 7) par les Catalans devant 10 000 spectateur­s grâce à une ultime transforma­tion en coin d’un demi d’ouverture de 18 ans et demi, Aimé Giral. Malgré le contexte incandesce­nt, il avait pu se concentrer dans un silence de cathédrale. Face à la solennité du moment, les passions s’étaient tues au moins pendant une minute, comme une paix des braves au milieu d’un après-midi bouillant. Les Bigourdans n’étaient plus que treize, car leur talonneur Félix Fauré avait été expulsé dès la septième minute pour ce qu’on avait appelé un « geste d’énervement » sur le numéro 8 adverse, Jean Roques, accusé illico par les Tarbais d’avoir simulé une blessure.

À la 30e, nouveau coup dur, le capitaine du

Stado René Duffour s’était relevé en chancelant, côte fracturée. Il resta sur la pelouse, mais dans la peau d’un comparse, sans pouvoir prendre part aux actions. Et pourtant, Tarbes menait encore 7 à 0 à la 65e, après l’essai du pilier Jean-Marcellin Lastegaray et le drop du centre Amédée Gardeix. Le match bascula donc dans la dernière demi-heure, à mesure que les Catalans prenaient la mesure d’une défense fatiguée pour se lancer dans de folles offensives, le deuxième ligne François Nauté et le capitaine et centre Félix Barbe réussirent à pointer dans l’en-but pour fournir à Aimé Giral la chance de passer le coup de pied de sa vie. Cette partie ne fut pas un lit de roses, surtout après coup de sifflet final. Les Tarbais étaient pleins de ressentime­nt au sujet de Charles Gondouin, l’arbitre, qui fut, paraîtil, menacé de mort par des supporteur­s ulcérés. Il fut tellement choqué qu’il arrêta sa carrière sur-le-champ. Les Perpignana­is n’en revenaient pas de ce premier titre après un parcours homérique. La formule ne prévoyait pas de demi-finales. Il fallait émerger d’une poule de quatre et Perpignan avait terminé sur une égalité à trois avec Bayonne et Toulouse. L’ASP fut obligée de jouer un match d’appui contre Bayonne, qu’il fallut rejouer à deux reprises, la première fois car l’arbitre avait été trop médiocre (!!!), la seconde pour cause de match nul (6-6) à l’issue d’une partie magnifique, tellement exigeante que l’arbitre avait fait une syncope. Le troisième match tourna enfin en faveur de Perpignan (3-0) qui dut se fader un… quatrième match supplément­aire face à Toulouse.

HUIT MORTS D’UN CÔTÉ, TROIS DE L’AUTRE

Mais la dramaturgi­e de cette phase finale ne fut qu’une paille à côté de ce qui se passa dans les mois qui suivirent sur les champs de bataille du Nord et de l’Est. Le bachelier Aimé Giral n’entreprend­ra jamais les études d’architectu­re dont il rêvait. Un peu plus d’un an plus tard, en Champagne, un éclat d’obus vint trancher sa jeune vie en perforant son poumon. En souvenir de sa transforma­tion et de son sacrifice, on baptisa le stade de sa ville à son nom. Mais semblable honneur aurait pu revenir à six de ses coéquipier­s (Lida, Couffé, Lacarra, Nauté, Schuller, Fournier), tous morts durant le conflit, ainsi que Jean Laffon, vice-président. Aucune autre équipe ne vécut semblable saignée. Le tribut des Tarbais fut moindre, même s’il compta trois martyrs : Lastagaray, Fauré et Pourteau.

Pourquoi une telle saignée à l’Usap ? L’historien Renaud Martinez en a donné les raisons objectives à l’Académie Jean-Michel Canet (Cercle des historiens du rugby catalan). L’équipe de 1914 cumulait tous les facteurs de risques statistiqu­es : la tranche d’âge la plus exposée, la forte proportion de sous-officiers qui chargeaien­t en avant de leurs troupes et la fatalité de la régionalis­ation des unités jusqu’en 1916. Les hasards des engagement­s et des batailles pouvaient faucher d’un seul coup des villages ou des cantons entiers. Hélène Legrais, qui a écrit un roman sur Aimé Giral*, nous avait précisé en 2014 : « Le Maréchal Joffre, général en chef, était de Rivesaltes. Il aimait à envoyer des Catalans en première ligne car, disait-il très fier, ils ne reculaient jamais. C’était un général offensif et sa tactique a prévalu au début de la guerre, jusqu’à son remplaceme­nt en 1916. Tous les joueurs de l’Usap sont morts en 14 et 15. » Sur le terrain des passions nationalis­tes, l’offensive à outrance fut bien moins gratifiant­e que sur les pelouses…

* « Les Héros perdus de Gabrielle », Éditions Calmann Lévy.

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