Midi Olympique

Un mental en béton

- Par Nicolas ZANARDI nicolas.zanardi@midi-olympique.fr

ETHAN DUMORTIER - AILIER DU XV DE FRANCE S’IL A INSCRIT UN ESSAI DÈS SA PREMIÈRE SÉLECTION À 22 ANS À PEINE, ET MOINS DE QUATRE ANS APRÈS SON TITRE DE CHAMPION DU MONDE U20, LE PARCOURS DE L’ACTUEL MEILLEUR MARQUEUR D’ESSAIS DU TOP 14 FUT TOUT SAUF UN LONG FLEUVE TRANQUILLE, HANDICAPÉ DANS SA JEUNESSE PAR D’IMPORTANTS TROUBLES DE L’APPRENTISS­AGE QU’IL A SU SURMONTER À FORCE DE VOLONTÉ.

Ce serait peu dire que chez les Dumortier, le sport est une affaire de famille. Parce que le papa Jérémy, dit Jimmy, ancien footballeu­r passé jusqu’à ses 17 ans par les catégories jeunes de l’OL en compagnie d’un certain Ludovic Giuly, est un entraîneur de basket particuliè­rement reconnu au niveau régional, pendant dix ans aux commandes de Pont-de-Chéruy qu’il fit monter de la Nationale 3 à la Nationale 1, avant de prendre il y a peu les rênes de l’équipe féminine de Caluire (Nationale 2). Parce que la maman Élodie, originaire de Launaguet, basketteus­e, fut joueuse profession­nelle sous les couleurs de Villeurban­ne puis d’Istres, jusqu’à sa rencontre avec Jimmy. Et désormais parce que le fils aîné Ethan, ailier du Lou rugby, est devenu ce dimanche un joueur internatio­nal de rugby… Le premier aboutissem­ent d’une vie pour laquelle le sport n’est pas seulement un moyen d’expression, mais pratiqueme­nt une thérapie. « Faire du sport, pour Ethan, c’était une nécessité absolue, sourit Élodie Dumortier. Il faut savoir qu’il a souffert de troubles de l’apprentiss­age et d’un déficit d’attention, qui l’ont confronté à des difficulté­s scolaires. Très jeune, il a fallu le faire suivre. Il s’est avéré qu’il avait un QI de 130 et se trouvait à la limite de l’hyperactiv­ité. Regarder un film avec lui, c’était impossible, c’est pour cela qu’il a fallu très tôt le mettre au sport pour lui permette de canaliser son énergie. Son premier mot, ça n’a été ni papa, ni maman, mais « ballon » ! Il bougeait tout le temps, toujours à escalader des trucs, à se mettre en danger. » Le petit Ethan Dumortier se retrouvant de fait très rapidement en difficulté scolaire, parce qu’il ne rentre pas dans le moule. « Ce sont des enfants qui sont délaissés par l’éducation nationale, assume Élodie. Par exemple, comme il était incapable de rester assis, il jetait volontaire­ment ses stylos à travers la classe pour se lever et aller les ramasser. Jusqu’au lycée, à chaque réunion parents-profs, je rasais les murs car si certains l’adoraient, la plupart des autres le détestaien­t. Tout le monde s’accordait à dire qu’il était très gentil, très intelligen­t, mais impossible à gérer. Ça peut être très dur pour ces enfants, c’est pour cela qu’ils ont besoin de quelque chose pour leur prouver qu’ils ne sont pas bons à rien, qu’ils valent quelque chose. »

DAVID JANIN, UNE RENCONTRE COMME UN PREMIER DÉCLIC

Pour Ethan ? Ce fut donc le sport, et en particulie­r le rugby dont sa famille ne connaissai­t pas grand-chose, sinon que son grandpère Hervé y avait goûté du côté de Pézenas, où se trouvent les racines de la famille. « Pour être exact, le premier sport d’Ethan a été le foot, comme moi, qu’il a commencé dans un tout petit club du Nord’Isère, le FC Lauzes, précise Jimmy Dumortier. Mais un jour, quand il avait une dizaine d’années, un copain qui jouait à Saint-Savin au rugby l’a attiré par le biais de l’opération « invite un copain ». Ça lui a plu, il n’en a plus jamais démordu. Au début, il était rigolo, Ethan. Il était plus là pour ramasser les pâquerette­s que pour courir après le ballon ! C’était le plus petit, le plus frêle, il avait peur du contact… Avec sa mère, on s’amusait à le voir faire, et jamais on n’aurait pensé qu’il fasse carrière. » Et pas seulement ses parents, à dire vrai… « À Saint-Savin, l’entraîneur des avants de son équipe ne le faisait parfois pas jouer, se souvient Élodie. Un jour qu’Ethan était puni, il m’avait appelé pour que je l’emmène parce que l’équipe avait besoin de lui, et il ne l’avait finalement pas fait entrer en jeu. Quand on lui avait demandé des explicatio­ns, il nous avait répondu qu’Ethan ne comprenait rien, qu’il n’y avait rien à en faire. Je n’ai rien dit mais dans la foulée, nous sommes allés l’inscrire à Bourgoin… » Le vrai départ d’une carrière qui ne demandait qu’à décoller, en parallèle d’une crise de croissance si rapide qu’elle le priva de sport pendant six mois, mais lui valut d’intégrer le prestigieu­x lycée Sports-Études de l’Oiselet de Bourgoin-Jallieu, où tant d’internatio­naux sont passés… « C’est à l’Oiselet qu’il a rencontré David Janin, l’ancien ailier de Bourgoin et Perpignan, qui avait des notions d’athlétisme et qui lui a fait travailler sa vitesse, se rappelle Jimmy. Non seulement il adorait ça, mais c’est clairement ce qui lui a permis de franchir un palier. » « Toutes les semaines, la section rugby se voit proposer une séance d’une heure, qui peut aller des gammes athlétique­s à la course avec ballon, confirme Janin, professeur d’EPS et responsabl­e de la section rugby du lycée. Et c’est vrai que si Ethan est passé au travers des radars du Lou ou de Grenoble de par sa maturation tardive, on a rapidement décelé chez lui un gros potentiel. Malgré son grand gabarit, il conservait de fortes qualités d’explosivit­é et une excellente coordinati­on. Et sur le plan scolaire, s’il avait certes du mal à rester concentré en cours, ça restait un élève sérieux, qui faisait ses devoirs. » « À force d’efforts, il a réussi à décrocher son bac STMG avec mention, souligne sa maman. Pour réussir, Ethan a toujours su qu’il devait travailler plus que les autres, il a fait preuve d’une énorme volonté pour apprendre à se contrôler. Au final ses difficulté­s lui ont permis d’apprendre à ne pas subir la pression des éléments extérieurs, à ne pas écouter ce qu’on peut dire sur lui. La critique, il y a été confronté très jeune et tout ça a contribué à lui forger une carapace. Il n’en retient que ce qui le fait avancer. »

« À 16 ANS, IL AVAIT APPRIS TOUT SEUL À DUNKER »

C’est là, pour tout dire, que réside l’aspect crucial de la personnali­té sportive d’Ethan Dumortier. « Ethan est un garçon foncièreme­nt gentil, pointe Élodie. En tant qu’anciens sportifs, avec son père, on s’est demandé s’il allait passer le cap du haut niveau à cause de ça. Mais on a compris qu’il était capable, à force de volonté, de se forcer à développer une certaine agressivit­é. » « Au contraire de quelqu’un comme Gabin Villière dont on sent qu’il déborde d’agressivit­é, Ethan, il n’est pas naturellem­ent teigneux, confirme Jimmy. Il a fallu qu’il passe un cap par rapport à ça pour mettre en valeur ses qualités physiques naturelles, notamment dans les duels aériens. À 16 ans, il avait appris tout seul à dunker, ce qui suppose qu’en plus d’une bonne détente il était capable de dextérité dans les airs !

Mais il a mis du temps avant de briller dans ce secteur, où il s’impose désormais de plus en plus. Et puis, ce que j’admire chez lui en tant qu’entraîneur c’est qu’il ne doute pas, jamais. Il tient ça de sa mère, car je ne suis pas du tout comme ça.

Dans le basket américain dont il est très friand, on a la culture du trashtalki­ng mais lui n’en pas du tout làdedans. En revanche, il est impossible à faire dégoupille­r. Il ne se laisse jamais perturber, il ne se pollue pas l’esprit avec ce qu’il a pu rater ou ce qu’il ne peut pas maîtriser. C’est sa grande force. Mais juste au rugby, hein ! Parce que lorsqu’on joue au golf ensemble, la soupape explose beaucoup plus rapidement…

Ethan ne conçoit pas de pratiquer un sport sans être performant. »

La faiblesse des surdoués, en somme, dont Ethan Dumortier fait assurément partie, ainsi qu’en témoigne l’anecdote qui suit. « Ethan m’a toujours suivi sur les terrains et dans les vestiaires de basket, mais il n’a jamais joué, sourit Jimmy.

Jusqu’à ce qu’une année, celle de son arrivée au Lou, il décide de jouer une demi-saison au basket avec ses copains de Pont-de-Cheruy, parce qu’ils manquaient d’effectif et que la trêve hivernale au rugby était assez longue… » « Je ne sais toujours pas quel poste il jouait, se marre Elodie.

Il faisait tout ! Il allait au rebond, il remontait le terrain, il shootait de loin, il courait partout… Au shoot, il avait la même gestuelle que quelqu’un qui aurait fait ça toute sa vie et pourtant, il n’avait appris à jouer au basket qu’en regardant les gars que son père entraînait. Je pense que pour le sport, il a quand même un don, qu’il a su faire fructifier grâce à son travail » La meilleure preuve en a évidemment été apportée par cette première sélection, quatre ans après son titre de champion du monde des moins de 20 ans en Argentine. Laquelle a bien involontai­rement déclenché un autre petit événement… « Ce week-end, pour la première fois en quinze ans de coaching, j’ai manqué le match de mon équipe, se marre Jimmy Dumortier. C’était d’autant plus important pour nous d’être là que son frère Noah, dont Ethan est très proche, n’a pas pu assister au match puisqu’il étudie depuis six mois en Australie. Il n’en parle pas souvent, mais je sais que ça a dû être un petit déchiremen­t pour lui de savoir qu’il fêtait sa sélection alors que son petit frère était à l’autre bout du monde… Alors, avec sa mère, on n’aurait raté ça pour rien au monde. » Que Noah se rassure, toutefois : au vu de sa prestation, il devrait avoir d’autres occasions de voir son aîné briller sur tous les terrains du monde…

« Petit, Ethan a souffert de troubles de l’apprentiss­age, faire du sport était pour lui une nécessité absolue. Il bougeait tout le temps... Son premier mot, ça n’a été ni papa ni maman, mais « ballon » ! »

Élodie DUMORTIER Sa mère « Ce que j’admire chez lui en tant qu’entraîneur, c’est qu’il ne doute jamais. Il doit tenir ça de sa mère : il ne se pollue pas l’esprit avec ce qu’il ne maîtrise pas, ne se laisse jamais perturber, impossible à faire dégoupille­r. C’est sa grande force. »

Jimmy DUMORTIER Son père

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