Midi Olympique

« Une blessure jamais refermée »

PIERRE BERBIZIER (Sélectionn­eur du XV de France en 1995) L’ANCIEN PATRON DES BLEUS NE MÂCHE PAS SES MOTS AU SUJET DE CE MATCH QUI A FAIT COULER TANT D’ENCRE. POUR LUI, LE TRAQUENARD ÉTAIT ÉVIDENT.

- Propos recueillis par J. P.

Cette demi-finale contre l’Afrique du Sud en 1995, est-ce le pire regret de votre carrière ?

Plus qu’un regret, c’est une blessure qui ne s’est ja- mais refermée.

Faites-vous référence à l’arbitrage ?

À un certain contexte disons. Il n’y a pas eu que l’ar- bitrage, il y a eu aussi une préparatio­n bien ficelée.

On a dit que vous avez voulu jouer coûte que coûte…

Je voulais jouer, d’accord, mais pas à tout prix. Les Sud-Africains auraient été éliminés s’ils n’avaient pas joué pour des questions de règlement. C’est pour cela qu’on a vu toute cette activité sur le terrain. Ils ne pouvaient pas se permettre de ne pas jouer.

On a entendu dire qu’on vous a proposé, à l’amiable, de repousser le match de vingt-quatre heures et que la France n’a pas voulu. Ce qui, au final, aurait été un bon plan puisque le lendemain, il faisait un temps radieux…

Non, pas du tout. Je vous répète, le règlement était clair : l’Afrique du Sud aurait été éliminée (elle avait eu deux expulsés au premier tour, la France zéro, N.D.L.R.).

Notre début fut difficile mais, petit à petit, nous avons pris le dessus. Jusqu’à la fin, nous y avons cru mais avec tous ces faits de jeu, il y avait de quoi se poser des questions. Mais j’ai arrêté de m’en po- ser puisque j’ai déjà la réponse. On a beaucoup parlé du non-essai de Benazzi, le même quasiment que celui de Kruger qui, lui, a été accordé. À la pause, Philippe Sella est venu me dire : « Il n’a pas mar- qué, j’étais dessous. » Abdelatif Benazzi a cru d’abord qu’il n’avait pas marqué mais une image de Marc Métairon, notre caméraman, a bien prouvé qu’il avait aplati sur la ligne. Sur l’essai de Ntamack, avec le vidéo-arbitrage d’aujourd’hui, ça ne ferait plus un pli. André Joubert avait un pansement vert à un doigt, on voit bien que c’est lui qui dévie le ballon. Et que penser de la fin du match ? L’arbitre nous annonce qu’il reste trois minutes. Dans la fou- lée, il y a une touche pour nous à 5 mètres de la li- gne adverse et M. Bevan arrête le match là-dessus.

Le pensiez-vous sous influence ?

Plus que ça, il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé au ban- quet. Je pense aussi aux joueurs sud-africains de cette équipe, morts prématurém­ent*. En fait, tout ce contexte m’a montré que la dimension politique se devait de l’emporter. Ce qui me gêne, c’est de voir les gens au pouvoir faire les mêmes choses que ce qu’on leur faisait auparavant. Voilà la morale de cette histoire.

Cette défaite (19-15), vous en avez souffert personnell­ement puisque votre contrat n’a pas été reconduit. Et de plus, vos ennemis se sont déchaînés…

Oui, j’avais la presse et plus particuliè­rement cer- tains journaux vent de face. Cette équipe ne bénéficiai­t pas d’une énorme adhésion, j’ai peut-être eu le tort de ne pas la chercher, je le reconnais. Quand je vois tout l’engouement autour du XV de France actuel, je me dis que nous, on faisait tout pour nous déstabilis­er. Je l’ai ressenti comme ça. D’autre part, on a fait croire que j’ai été viré alors que je suis parti. J’avais proposé des choses à Bernard Lapasset, il ne les a pas acceptées. Il faut se souvenir que pour le Tournoi des 5 Nations, je récupérais les gars le mercredi à 11 heures pour jouer le samedi. Nous avions besoin de temps. J’avais concocté un projet pour avoir beaucoup plus de temps, au moins la dernière année. Regardez ; quand nous avons battu deux fois les Néo-Zélandais chez eux en 1994, il fallut attendre décembre pour se retrouver et affronter le Canada. Dans ces six mois, j’ai eu les gars quatre jours. Le groupe aurait mérité d’avoir davantage de préparatio­n.

N’avez-vous pas regretté de ne pas avoir fait jouer Franck Mesnel au lieu de Christophe Daylaud ?

Non, après coup, c’était facile de penser à ça. Mais quand j’ai donné l’équipe, le jeudi, personne ne parlait d’orage. À Durban, il pleut rarement. Oui, Franck était disponible mais j’ai maintenu Christophe.

Avez-vous revu M. Bevan ?

Non, je ne le reverrai pas. À quoi ça servirait ? Je ne veux pas rencontrer ce personnage. Je rappelle que c’est lui qui avait fait aussi le match d’ouverture Afrique du Sud - Australie avec son assistant et qu’on les a retrouvés les deux pour la finale comme juges de touche.

* Allusion au fait que quatre joueurs de 1995 sont décédés prématurém­ent : James Small, Joost van der Westhuisen, Ruben Kruger et Chester Williams.

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Quid du match en lui-même ?
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