« Dans tous les stades, j’ai été frappé par l’émotion »
JACQUES RIVOAL - Président du GIP France 2023 A L’AUBE DE LA PHASE FINALE ET DANS L’ATTENTE DE CONNAÎTRE LE MONTANT DE L’HÉRITAGE LAISSÉ AU RUGBY FRANÇAIS, CELUI QUI PRÉSIDE LE COMITÉ D’ORGANISATION DRESSE UN PREMIER BILAN DES MATCHS DE POULE. IL NE BOUDE
Que retenez-vous de la première phase du Mondial qui vient de s’achever ?
Nous avions posé trois dimensions comme au- tant de lignes directrices pour réussir la Coupe du monde de rugby : un succès sportif, une fête po- pulaire et un impact positif au plan RSE. Et tous les voyants sont au vert, avec des chiffres extrê- mement positifs : 1,8 million de spectateurs dans les stades (+6 % vs la totalité du mondial japo- nais en 2019), 1,1 millions de personnes dans les fanzones, 600 000 visiteurs étrangers (242 000 au Japon), 45 % des billets vendus à l’étranger dont 17 % en Angleterre, 25 % des acheteurs ont moins de 30 ans, 165 millions de téléspectateurs cumulés en France, 120 000 packages hospitali- tés, 29 séances d’entraînement ouvertes au public et 72 000 personnes concernées. Sans oublier 123 000 pintes de bière vendues au stade de France le jour du match Irlande - Afrique du Sud.
Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose ?
Le plus grand enseignement, c’est la fraternité qui s’est emparée de l’événement. Les gens sont venus au stade, souvent en famille, pour faire la fête et vivre pleinement le Mondial. On l’a vu partout, avec des ambiances folles dans les neuf stades. Partout, j’ai rencontré des élus et des responsables locaux qui m’avouaient leur bonheur de voir des gens heu- reux autour d’eux. Ce n’est pas neutre dans une société tourmentée. Il n’y a que la Coupe du monde qui peut le faire.
Ressentiez-vous une attente particulière ?
Après les incidents survenus en marge de la finale de la Ligue des Champions 2022 (football, match Real Madrid – Liverpool), il y avait effectivement une pres- sion très forte pour démontrer qu’on savait, en France, organiser un grand événement sportif. Résultat, tout s’est bien passé en termes de sécu- rité notamment.
À part pour l’un des premiers matchs, Angleterre-Argentine à Marseille, où l’accès au stade fut très compliqué…
(Il coupe) Il n’y a pas eu un seul problème de sé- curité. Il s’agissait là d’un problème de gestion des flux de supporters qui sont rentrés tardive- ment dans le stade. Et cela n’a pas, je le répète, déclenché d’incident. Dès ce jour-là, et immédia- tement, nous avons analysé les difficultés, identifié le plan d’action et réglé le problème dès le match du lendemain.
Le début de la compétition a semblé chaoti- que avec, en plus de ce problème de gestion du public, la question des buvettes qui ne pouvaient répondre à la forte demande et les hymnes inaudibles parce que chantés en « canon »…
S’il n’y a que ça. Ecoutez, la gestion de tels évé- nements éphémères conduit à des réglages, parfois minimes. D’emblée, l’organisation a été mise sous tension et s’est adaptée pour répondre aux enjeux et communiquer, faire de la pédagogie. Cela nous a permis d’élever notre niveau d’exigence. Mais il n’y a pas eu de défaut d’organisation.
Parlons des hymnes.
La mêlée des coeurs est une très belle idée con- ceptuelle, que nous avons dû adapter pour la ren- dre opérationnelle. Il se trouve ensuite que nous avons été confrontés à la réaction des supporters qui ne viennent pas au stade pour écouter de la musique mais qui veulent chanter, si je schéma- tise. On l’a découvert lors des premiers matchs et on a donc arrêté le chant en canon… Depuis, ce beau projet se déroule magnifiquement.
Il nous est remonté l’incompréhension du public de voir des places vides dans les stades alors que depuis de longs mois l’événement était annoncé à guichets fermés. Comment l’expliquez-vous ?
C’est minime. Nous sommes à des taux de rem- plissage aux alentours de 95 %, c’est exception- nel. Il peut y avoir eu des « No show », mais pour moi tout était vendu.
Il n’y a pas eu de défections de la billetterie ou des hospitalités, notamment en provenance de l’étranger ?
Non. Les objectifs sont atteints. Certains volumes de places nous sont revenus, notamment de World Rugby, mais tout a été écoulé.
Avez-vous une première approche des retombées financières ?
Il faut attendre les phases finales pour y voir véri- tablement clair, car leur impact est majeur notam- ment en termes d’hospitalités où nous ne sommes pas au niveau de ce qui avait été budgété initialement, mais où l’on peut encore avoir de bonnes surprises si l’Angleterre et la France vont loin dans la compétition. On va aussi avoir des revenus sup- plémentaires sur la vente de bière dans les sta- des. À l’inverse, il y a des risques que nous avons dû couvrir, dont le renforcement de la sécurité au- tour des camps de base.
L’objectif reste donc de 40 millions d’euros de bénéfices pour le rugby français ?
J’espère que nous serons à peu près là. Nous avons dû faire face au déficit du CFA Campus qui perd 10 millions, et renforcer certains postes de dépen- ses à hauteur de 30 millions d’euros pour livrer la Coupe du monde.
Vous pouvez détailler ?
Essentiellement des ressources humaines, sachant que cela représente 50 % de nos frais de fonction- nement si l’on intègre nos prestataires. Il a fallu renforcer les moyens pour livrer le Tournoi, en fai- sant appel à du privé et en renforçant certains pos- tes en interne.
Venons-en au sportif. Comment avez-vous vécu la compétition ?
J’ai vu des matchs exceptionnels de par l’intensi- té sportive et d’autres rencontres plus décousues mais j’ai été surpris par le Portugal, le Chili ou l’Uruguay. Particulièrement par le Portugal, par la qualité de son jeu et sa générosité. Je ne sais plus qui l’a dit mais c’est le rugby que l’on aime.
Avez-vous été inquiet par certains scores fleuves ?
Non, c’est le lot de tous les mondiaux de rugby, sport qui n’a pas la capillarité du football. Mais tout de même, relativisons : il n’y a pas eu 10 matchs avec des très gros écarts… Ceci dit, l’enjeu du développement mondial et de la progression des nations du Tiers 2 est effectivement majeur et, ce n’est pas un secret, World Rugby travaille à l’évolution du format.
Quelles sont vos attentes pour la phase finale qui commence ce week-end ?
Nous devons maintenir notre niveau d’exigence pour continuer à répondre aux enjeux de fan expérience et prolonger la dynamique festive ; ça c’est pour l’organisation. Pour le reste, nous allons assister à des affiches qui s’annoncent exceptionnelles et le sportif va devenir très, très important. On va certainement battre des records sur les audiences télé. Ce qui est très rassurant jusqu’à maintenant, c’est que le Mondial n’est pas « Bleu dépendant » : il ne se résume pas aux quatre matchs de l’équipe de France.
On verra. Les billets sont vendus et, à part le coup de fouet sur l’hospitalité, tout est joué… Mais, encore une fois, le financier n’est pas le seul sujet. On fera le bilan à la fin. L’enjeu est aussi, pour moi, lié à l’ambiance, à l’adhésion du public ou aux au- diences télé. Sans l’équipe de France, les choses seront forcément différentes.
Il faut donc vous souhaiter que les Bleus aillent au bout, jusqu’en finale ?
Je ne peux pas faire de pronostics, vous le com- prendrez. Je peux juste vous dire que sur le plan spor- tif la finale qui me paraît aujourd’hui légitime c’est France - Irlande.
Regrettez-vous que le tirage au sort des poules ait été effectué aussi loin de l’événement ?
Oui, clairement ce n’était pas une bonne solution et les choses vont changer à l’avenir même si cela sera moins profitable à la billetterie. Quoi qu’il en soit, la compétition est très attractive, ne boudons pas notre plaisir. Et je dois vous dire que dans tous les stades, j’ai été frappé par l’émotion qui se dégageait, à chaque match. Même chose dans les fanzones !