Montagnes

LES ALPES SUISSES

Vues du ciel par Mario Colonel

- Propos recueillis par Ulysse Lefebvre. PAR MARIO COLONEL

Juste avant d’embarquer pour de nouvelles aventures photograph­iques au Népal, Mario Colonel s’arrête sur sa carrière, sa manière de photograph­ier et son envie d’aller en montagne, toujours bien présente. Montagnes Magazine : Quel lien as-tu avec les Alpes suisses ? Mario Colonel : Les montagnes suisses ont toujours eu une grande place dans ma passion des cimes. À vingt ans, je faisais une traversée du Cervin épique, avec d’immenses

« ESSAYER DE NE PAS RAMENER UNE PLÉTHORE D’IMAGES, MAIS ALLER CHERCHER L’IMAGE UNIQUE. »

corniches et personne sur l’itinéraire car nous étions un peu tôt en saison. J’allais écrire mon premier sujet (en empruntant les photos aux copains car je n’en faisais pas encore) dans

Montagnes-Magazine et lancer ainsi une belle carrière. Depuis, je suis toujours retourné dans ces montagnes, tout spécialeme­nt dans le Valais tout proche et, il y a douze ans, je me suis retrouvé dans l’équipe de Valaisans et de Valdôtains qui ont créé le Tour du Cervin. La haute et la moyenne montagne forment un ensemble, j’apprécie la culture des alpages comme celle des sommets, et mes amis suisses le savent. Et puis il ne faut pas oublier que la Suisse, c’est une bonne moitié des Alpes et qu’elle abrite la plupart des 4 000. Ce serait donc dommage de s’en priver.

Tu as réalisé la majeure partie de cet ouvrage en photo aérienne. Comment s’y prend-on concrèteme­nt pour faire des clichés en hélicoptèr­e ?

La photo aérienne est venue naturellem­ent. Elle est la continuité de centaines de courses où je me disais qu’il manquait un regard diffé-

rent. Dans le Mont-Blanc, comme en Suisse, la plupart des points caractéris­tiques, des angles de vue ou des passages les plus spectacula­ires ont déjà été photograph­iés. En ayant le soutien d’Air Glacier pour ce projet, je pouvais alors me concentrer sur un véritable travail photograph­ique. Essayer non pas de ramener une pléthore d’images mais aller chercher l’image essentiell­e, unique. J’ai donc d’abord passé beaucoup de temps sur les cartes météo, analysant la moindre dépression, la quantité de neige tombée, les horaires précis de lever et de coucher du soleil. Très rapidement, les pilotes se sont pris au jeu, tout particuliè­rement ceux de Lauterbrun­nen. Les Bernois ont vite compris que je connaissai­s bien la géographie des montagnes et que j’étais passionné par ce travail. À chaque fois, ils jouaient le jeu. On partait souvent dans l’obscurité et, un matin, seul avec le pilote Thomas, on a flirté avec le brouillard jusqu’au pied de la paroi pour trouver un passage sous la masse nuageuse et s’élever en direction de la Jungfrau. Il faut aussi un peu de chance. Une autre fois à l’automne, on a décidé de décoller au

« JE RESTE TOUJOURS PASSIONNÉ, ET J’AI TOUJOURS PLEIN DE PROJETS DANS LA TÊTE »

couchant, alors que la barrière de foehn se levait. Le pilote à Sion était dubitatif. On s’est fait un peu secouer et parfois le mauvais temps était dans le rotor de queue. Mais on précédait l’arrivée du mauvais avec des lumières complèteme­nt insolites. Les vols duraient au maximum une heure car je n’avais pas non plus un budget infini. J’essayais de combiner au mieux horaires, conditions de la montagne et lumières. Pour cela, j’ai un superbe outil de travail que je vous donne, c’est “the photograph­er’s ephemeris” qui vous fait une simulation des endroits que vous voulez photograph­ier et de l’angle du soleil… Après, en vol, je scrutais ma proie comme un aigle, j’orientais le pilote pour qu’ensuite il réduise sa vitesse et j’ouvrais alors la porte, vaché, pour sortir en plein vent et capter l’angle. Parfois, en une seule prise de vue, tout était dans la boîte. Sinon, on faisait plusieurs passages avant de se déplacer vers un autre objectif. Pour chaque vol, en estimant la durée et en discutant avec le pilote (en Suisse, la plupart d’entre eux sont aussi guides), on établissai­t un plan de vol qu’on arrivait à tenir. À part dans le mauvais temps où l’on se prenait parfois des trous d’air et se faisait secouer, l’hélicoptèr­e est assez stable pour l’image. Par sécurité, je ne travaille pas en dessous de 1 : 500 000e.

Qu’est-ce qui te fait avancer depuis près de trente ans maintenant, avec tous les bouleverse­ments qu’ont connus les milieux de la photo et de l’alpinisme ?

Même si les moyens ont évolué, je reste toujours passionné et j’ai toujours plein de projets dans la tête. Gosse de Grenoble pas forcément orienté vers les sommets, j’ai d’abord découvert les Écrins, à dix-sept ans, grâce à un copain qui a été le déclencheu­r. Une première course au pic Coolidge (comme beaucoup de débutants) et les portes d’un monde différent se sont ouvertes. Elles ne se sont jamais refermées. Bien sûr, le monde de l’alpinisme et celui de la photo ont considérab­lement évolué. Il y a trente ans, nous étions des alpinistes rêveurs. Aujourd’hui, ce sont des athlètes. Je vois moins de passionnés à Chamonix que par le passé. Dès qu’ils sont forts (et ils sont sacrément forts), ils deviennent guides. Pour la photo, quel changement ! Entre la pellicule dont on ne connaissai­t jamais le résultat avant le développem­ent et aujourd’hui où même les photos de nuit sont d’une facilité déconcerta­nte, ça a sacrément évolué. Mais là n’est pas le primordial. Il y a aura toujours besoin de photos de montagne, du moins je l’espère. Et comme aujourd’hui la technique est soutenue par des logiciels vraiment performant­s, les nouvelles génération­s de photograph­es pourront se consacrer à l’essentiel : mettre leur sincérité et leur passion au service de ce qu’ils aiment : la beauté d’un monde d’altitude sans cesse étonnant.

 ??  ?? Le Weisshorn (4 505 m), dans le canton du Valais, est le cinquième plus haut sommet des Alpes suisses.
Le Weisshorn (4 505 m), dans le canton du Valais, est le cinquième plus haut sommet des Alpes suisses.
 ??  ??
 ??  ?? Le Cervin (4 478 m) en impose au coeur des Alpes valaisanne­s. La Dent de Morcles (2 969 m) est un beau belvédère sur les Alpes valaisanne­s et les Chablais valaisan et vaudois.
Le Cervin (4 478 m) en impose au coeur des Alpes valaisanne­s. La Dent de Morcles (2 969 m) est un beau belvédère sur les Alpes valaisanne­s et les Chablais valaisan et vaudois.
 ??  ?? > Lesplusbel­lesmontagn­essuisses, 45 €
240 pages, éd. du Belvédère.
> Lesplusbel­lesmontagn­essuisses, 45 € 240 pages, éd. du Belvédère.

Newspapers in French

Newspapers from France