Montagnes

ACTU L’HUMEUR DE… MAX BONNIOT

PREMIER 8 000

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Le 14 mai dernier, Max Bonniot foulait le sommet du Shishapang­ma (8 013 m) avec le Groupe militaire de haute montagne (GMHM). À vingt-six ans seulement, et un an passé au GMHM, le « chasseur » Bonniot entre dans la cour des grands de l’Himalaya et foule un 8 000 en style alpin. Une expérience initiatiqu­e qui oscille entre mystique et pragmatism­e.

À 5heures du matin, entre deux bourrasque­s et deux orteils qui s’engourdiss­ent, dans la lueur blafarde d’une lune bien pleine, les premiers sanglots sont venus en repensant à «pourquoi ?»… Pourquoi je laisse ma copine, pourquoi je sens mon bide se serrer à l’idée d’un chiffre ? J’ai toujours dénigré cette barrière métrique, préférant l’intérêt technique ou l’esthétisme à un superlatif. Et pourtant, je m’apprête à pleurer plus fort que jamais sur un sommet qui n’aurait jamais eu cette aura, ni cette liste de mecs morts flottant sur ses flancs s’il faisait treize mètres de moins. D’aucuns penseraien­t que je suis victime de ce désir mimétique expliqué par René Girard (N.D.L.R. : philosophe français contempora­in). De cet apprentiss­age que nous faisons tous par copie sur les autres, jusqu’à copier leurs désirs et se les approprier. Peut-être ai-je malgré moi intégré ce désir inachevé de gravir cette muraille chinoise, le désir du Groupe. Depuis que son histoire et celle du Shisha se sont percutées, il y a onze ans, y retourner est devenu une évidence1. À l’est, les étoiles s’éteignent peu à peu et le paysage apparaît lentement, comme cette photo baignée dans le révélateur. Le Langtang s’allume alors que nous subissons le froid le plus mordant, assis côte à côte dans le couloir sommital, pour une énième pause. Déjà, l’arête faîtière qui nous surplombe rougit, elle est à portée de main, magnétique. Camus écrivait : « Ausommet,ilf autimagine­rSis yphe

heureux.» Lui qui a tant de fois roulé sa pierre et sa peine jusqu’au bout de sa bosse. Pris de convulsion­s de joie, après la souffrance et la peur, chacun goûte tant bien que mal à cette première fois. Et qu’elles sont marquantes ces premières fois qui jalonnent nos vies ! Première course, premier sommet. Sans elles, nul pas dans le vide, nul inconnu et surtout nul avenir. Et même si, à cet instant, il est difficile de se projeter, cette étape est une nouvelle marche franchie dans notre progressio­n. Pour ma part, j’ai besoin de le partager avec ceux sans qui je ne serais pas là, un besoin maternel dans cet univers hostile. Rien de bien reluisant que d’appeler sa mère au sommet de son premier

« AU SOMMET, IL FAUT IMAGINER SISYPHE HEUREUX » ALBERT CAMUS

8 000. Rien à dire si ce n’est qu’on est au sommet. Et le dire à bout de souffle, en sanglotant. Un sommet qu’on a atteint à quatre pattes après les cinquante mètres de dénivelé les plus durs de la terre… Trop de souffrance à évacuer et encore tant de risques à prendre pour ne pas rester scotché là-haut. Et pourtant, c’est beau là-haut ! Pour Tonio, en larmes, «c’est beauce putain d’Everest!» Je ne vois pas si loin je crois. En revanche, j’ai l’impression de voir la courbure de la Terre… C’est possible ça docteur ? ! Se répandre entre rires et larmes, comme si la plus grande tristesse précédait la certitude d’un bonheur momentané… Vous avez dit bizarre ? Qui l’a dit ? Parce que c’est sûr qu’il y a des gens sur le sommet central. Je les ai sentis m’observer… Il y en a aussi sur le petit sommet, à l’est. Ratiche (N.D.L.R. : Sébastien Ratel) me tape sur le casque, coup de buzzer qui me ramène d’un coup dans la réalité du moment. Moatt’ (N.D.L.R. : Sébastien Moatti) vient d’arriver et nous sommes tous les quatre au sommet, seuls et loin au-dessus de ce Tibet légendaire, de ses misères et de ses joies. L’occasion d’un point bilan à mi-parcours, l’impression d’être tout à coup cet apnéiste qui touche sa limite, largue son lest et remonte vers la vie. Ce moment de suspension sommital se vit, se ressent. Il est difficile à exprimer. Un simple coup d’oeil avec ceux qui vous ont aidé à grimper ici suffit. Ces instants avec eux restent gravés dans la tête comme ces deux noms dans les pierres du Shisha, ceux d’Antoine et de Philippe. Pourtant, nulle pensée pour eux au sommet, juste une nouvelle saveur de la vie, franchemen­t égoïste mais si rare. Un moment privilégié dont on sait qu’il est là en partie grâce à la chance, grâce à cette montagne docile qui s’est simplement laissée grimper, sans s’ébrouer.

Le 27 septembre 2003, une corniche s’écroulait sous les pieds du lieutenant Phillippe Renard et du capitaine Antoine de Choudens, alors qu’ils s’acclimatai­ent sur le Pemtang Ri (6 725 m) un sommet proche de la face sud du Shishapang­ma.

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