DROIT DE RÉPONSE
Suite à l’enquête parue dans notre numéro de juin et intitulée « Équipement des refuges. Matériel de secours et formation des gardiens aux premiers gestes », le Dr Frédéric Champly a souhaité apporter sa vision sur le secours en montagne.
Médecin et chef de service des urgences des hôpitaux du Pays du Mont-Blanc, il me semble important, aux vues de l’article des docteurs Jérôme Colonna d’Istra et Antoine Pierre d’apporter quelques précisions relatives aux organisations de la médicalisation des secours sur le massif du Mont-Blanc ainsi qu’à l’équipement en matériel médical de ses refuges. La régulation sur le massif du MontBlanc, comme les interventions médicalisées sont assurées 24h/24 et 7 j/7 par une équipe de huit médecins urgentistes qui constituent l’Unité médicale de haute montagne de Chamonix (UMHM). Tous font partie de l’équipe des vingt-trois médecins qui composent l’équipe des urgences des hôpitaux du Pays du Mont-Blanc.
DES COMPÉTENCES SPÉCIFIQUES
Ces médecins sont sélectionnés sur des critères d’aptitudes de compétences médicales comme des capacités à évoluer de manière autonome dans des milieux où les contraintes environnementales sont difficiles. Ils ont tous plusieurs années d’expériences en “urgences classiques”, ont des diplômes spécifiques à la prise en charge des traumatisés graves. Leurs compétences techniques en montagne sont évaluées par des guides secouristes du Centre national d’instruction de ski et alpinisme de la gendarmerie de Chamonix (CNISAG). Par dérogation préfectorale et dans le cadre du plan ORSEC montagne, toute demande de secours sur le Mont-Blanc est régulée par un médecin issu de
l’UMHM présent à la drop zone des Bois à Chamonix. La médicalisation du secours, si elle se justifie, est assurée par ce même médecin, par voie héliportée ou terrestre en fonction des conditions météorologiques. S’il est vrai que tous les refuges du massif du Mont-Blanc sont équipés par Pharefuge de trousses de secours (certaines dites de “hautes altitudes” possèdent des médicaments indispensables au traitement des pathologies de haute altitude) de DSA (Défibrillateur semi-automatique) gérées par l’IFREMMONT, seuls les refuges de haute altitude sont équipés de caissons hyperbares portables. Du fait du niveau de compétence que leur utilisation impose, les refuges sont volontairement dépourvus de matériel médical lourd ou de réanimation.
L’ACCIDENT
Pour revenir sur l’accident décrit dans l’article de juin 2014, ce dernier illustra hélas parfaitement mes propos concernant l’utilisation du matériel médical mis à disposition de personnel non formé. Médecin de l’UMHM ce jour-là à la DZ des Bois, je peux par conséquent relater précisément le déroulement des faits. La demande de secours a eu lieu aux alentours de 22 heures. Elle a été effectuée par un jeune médecin encore interne (en cours de formation) présent sur place. Ce dernier nous a fait état d’une personne inconsciente du fait d’un coma éthylique sur une des passerelles du refuge. Les conditions météorologiques complexes au moment de l’alerte et la “gravité relative” de l’état du patient aux vues du bilan du témoin nous a décidés, après discussion avec le pilote de la sécurité civile, de différer la médicalisation de quelques dizaines de minutes de manière à attendre un créneau météo favorable. Des conseils de protection contre le froid en mettant la victime dans un bâtiment ont donc été donnés aux personnes présentes. Des conseils de secourisme basique de mise en PLS (Position latérale de sécurité) et de surveillance ont également été transmis. Une quinzaine de minutes après, l’interne sur place nous a recontactés, paniqué, nous informant que le patient avait fait un arrêt cardio-respiratoire à la mobilisation mais qu’il avait repris une activité cardiaque après massage cardiaque externe. Devant l’incohérence du bilan et la grande panique ressentie lors de la deuxième alerte, nous avons décidé de précipiter l’intervention pour évaluer la situation sur place. Il s’est avéré que ce jeune menuisier souffrait d’un traumatisme crânien grave avec coma profond qui n’avait été évoqué ni à l’alerte ni après, et qu’il n’avait vraisemblablement pas fait d’arrêt cardiaque lors de sa mobilisation (un arrêt cardiaque dans ce contexte ne se récupère pas au simple massage cardiaque). Le reste de l’intervention a de fait nécessité des gestes de réanimation et une évacuation très tardive en raison des contraintes météorologiques qui interdisaient toute récupération avant le petit matin.
SEULS LES REFUGES DE HAUTE ALTITUDE SONT ÉQUIPÉS DE CAISSONS HYPERBARES PORTABLES
DEUX OBJECTIFS
Les précisions apportées ont deux objectifs. Le principal est de rassurer la famille de la victime, si celle-ci venait à lire l’article initial, en lui affirmant qu’au vu du contexte géographique et des contraintes météorologiques le jour de l’accident, il n’y a pas eu de perte de chance pour leur parent. Que le secours, s’il a été effectué dans des conditions difficiles et sans bilan initial pertinent, a permis la prise en charge la plus optimale qui soit sans perte de temps. Le deuxième objectif est d’affirmer que l’équipement systématique des refuges en matériel médical lourd n’a pas de sens dès lors que des équipes spécialisées peuvent intervenir dans les meilleurs délais (en montagne ces “meilleurs délais” ne sont pas superposables à ceux de la plaine et sont à prendre en compte par les pratiquants). Que la mise à disposition d’un tel matériel est une chose, que la décision d’utilisation comme l’utilisation elle-même en est une autre et nécessite une expérience particulière.