AU-DELÀ DE LA VERTICALE
DE GEORGES LIVANOS
La parution, vers la fin des années cinquante, du n° 35 de la prestigieuse collection « Sempervivum » aux éditions Arthaud fit sensation. Cette couverture bleu nuit portant dans son coin supérieur gauche un graphisme stylisé détonnait par son dépouillement. Et puis ce titre en lettres écarlates, frappé au pochoir ainsi qu’une vulgaire pancarte de chantier ne manquait pas d’intriguer : que pouvait-il bien y avoir dans cet Au-delà de la verticale ? Georges Livanos est sans doute le plus Grec des Marseillais, du moins du côté de ses grandsparents, puisqu’il a vu le jour au coeur de la cité phocéenne en l’an 1923 et non dans quelque coin retiré du Péloponnèse. Il n’hésite pas à s’octroyer lui-même un surnom qui claque : « Le Grec », avec un L majuscule. Jusque-là, les récits d’ascensions donnaient une image dramatique de l’alpinisme, une activité marginale propice aux catastrophes, ou bien scénarisaient des héros si invincibles qu’ils en devenaient ridicules. Livanos produit un livre résolument décalé. Tout en dressant un bilan de l’évolution des techniques, il use d’un ton primesautier et manie l’humour grinçant. Souvent accompagné de sa moitié, Sonia, «un mètre cinquante de faible femme», et de son alter ego Robert Gabriel, le Grec ne se prend pas la tête, tourne en dérision la moindre situation tendue : « Je passe à la
« ON VOIT PARFOIS GEORGES LA CLOPE AU BEC, TEL UN ESPIÈGLE LUCKY LUKE »
Dülfer sur des écailles branlantes, avec l’impression de grimper en m’accrochant à une porte qui s’ouvre. » « Ça passe partout », se gausse la cordée, dès lors que l’artillerie lourde se met en branle. Le compteur affiche 18 000 pitons, 5 000heures pour 150 000 mètres du IV au VI supérieur, 700 rappels, 300 premières et 38 bivouacs ! Sur les photos, on voit parfois Georges la clope au bec, tel un espiègle Lucky Luke qui se demande s’il «marche en fumant ou fume en marchant ? » L’OMS interdirait aujourd’hui cette abomination ! N’empêche, il a bien du talent ce Grec, au bout de ses espadrilles et à la pointe de son stylo, qu’il manie tel un mousquetaire ! Ce tchatcheur méridional a tracé d’innombrables pointillés directement de la terre vers le ciel. Suivez-le maintenant qu’il est parti làhaut pour toujours, en dévorant ses pages guillerettes ! On se doute que cet in-octavo ne se trouve plus que chez les bouquinistes, à un prix proportionnel à votre désir ! Fort à propos, les éditions Guérin – les Livres Rouges – ont établi en 1997 une version illustrée de beaux noirs et blancs, qui sera rééditée à la rentrée de septembre2014, dans la collection Terra Nova.