LA SAGA DES ÉCRINS
DE FRANÇOIS LABANDE
Joliment préfacée par Lionel Daudet, Lasaga
desÉcrins récapitule l’histoire de l’alpinisme dans ce massif. Du capitaine Durand au Père Daudet, du Pelvoux 1828 à la grande traversée des Écrins 2004 (dite Skyline), voici une somme remarquable, écrite par François Labande. Président d’honneur de Mountain Wilderness, auteur ou coauteur de topos guides dans des formats divers depuis plus de quarante ans, François Labande est une autorité de la montagne. Beaucoup d’alpinistes qui n’ont jamais ouvert une Bible, ont ouvert le Labande un j our ou l ’autre et, faute de temps ou de photocopieuse, lui ont arraché quelques pages, les mains déjà moites d’un soleil orageux ou d’une approche qu’on disait très exposée aux chutes de pierres. Exceptionnelle, l’iconographie de la saga est mise en pages avec beaucoup de talent par Stéphanie Thizy. Souvent inédites et frappantes (très beau portrait de Jacques Kelle, à la sortie de la Tête de l’Ours en 1967 !), l es photos du dernier demi-siècle sont significatives d’un style d’escalade ou d’une période de la société française. Cheveux longs qui frisent sous un casque, grosses chaussures, grosses chaussettes, sangles américaines en vrac sur le buste, Bernard Francou brandit un drapeau rouge avec la faucille et le marteau de l’Union soviétique au sommet de Barre Noire (1976). C’est un moment du costume alpin et de l’après 68. Le drapeau rouge, brandi trop haut par un porte-drapeau à l’air chafouin, est déjà là pour la dérision, pour la guignolade. Feu la révolution ! Quelques manques inévitables lorsqu’on remonte une aussi longue période dans une histoire aussi riche. Olivier Challéat, par exemple, architecte et guide grenoblois aux regards rivés sur l’Oisans, compagnon de cordée de Pierre Béghin en hiver à l’Ailefroide, foudroyé par l’orage dans une ascension en solo à l’Olan (1975) dans la voie Couzy-Desmaison, méritait quelques lignes d’évocation. Un météore du solo et de l’hiver, d’autant plus digne d’un souvenir que la mort l’a frappé bien jeune, trop jeune. Dans un registre moins grave, on se serait délecté de quelques détails sur le canular de
LaRaiedesfesses. Son auteur, qui fête bientôt ses cinquante ans d’escalade, brillant historien des Calanques et du Verdon, aurait raconté le « crime », avec le rire et les goguenardises qui s’imposent. LaRaiedes
fesses : qui a baptisé cette voie ? Rabelais ? Le Père Ubu ? Le professeur Choron ? Un magazine trop spécialisé ? Un lecteur de Pierre Chapoutot, mis en train par les dalles fessues d’un récit de Chapoutot ? À gauche de LaRaie, le pilier Chapoutot (ouvert en 1 969 avec JeanJacques Prieur, aujourd’hui trésorier du GHM) fut longtemps une référence du glacier Noir. Dalles compactes dans ce qui est peut-être le plus beau cirque des Alpes françaises, avec le cirque d’Argentière dans le massif du Mont-Blanc. Oisans noir de moraines, dur de casses, fabuleusement pierreux en fin de saison. Mon ami Jacques Perrier, dit Pschitt, aurait aimé gravir en solo tous les grands itinéraires du glacier Noir dans un même hiver, au départ d’une tente enfouie dans la neige et retranchée du monde par des froids qu’on a oubliés, eux aussi entrés dans l’Histoire. En préambule ou en postface, un petit chapitre sur les changements du climat et le recul des glaciers serait le bienvenu dans la prochaine édition de ce superbe livre.
BEAUCOUP D’ALPINISTES QUI N’ONT JAMAIS OUVERT UNE BIBLE ONT OUVERT LE LABANDE UN JOUR OU L’AUTRE