Montagnes

UN BALCON SUR LES 4000 TOUR DU CERVIN

Sinuant entre Suisse et Italie, le tour du Cervin fait partie de ces voyages au long cours appréciés des amateurs de randonnée alpine. En une semaine d’itinérance, il est une immersion totale au pied des nombreux 4 000 mythiques qui jalonnent le parcours.

- Textes : Wilfrid Valette. Photos : Christian Martelet.

Tout commence au village de St Niklaus dans la vallée de Mattertal, 20 kilomètres en aval de Zermatt. Il est recommandé d’arriver par le train qui vous déposera dans la petite gare située au pied du téléphériq­ue de Jungu, point de départ du voyage. On évite ainsi de payer le parking pour la voiture, hors de prix en Suisse ! Une autre astuce consiste à passer une nuit la veille du départ à l’hôtel La Réserve, à la sortie du village. Peter, le chaleureux propriétai­re, vous autorisera à laisser la voiture devant son hôtel. Il faut arriver tôt au téléphériq­ue et s’armer de patience, car les deux bennes qui desservent le hameau d’alpage de Jungen, perché à 1 950 mètres d’altitude, ont un faible débit : quatre personnes par cabine, pour une rotation qui dure vingt-cinq minutes! C’est le seul moyen d’accès à l’alpage si vous décidez de ne pas emprunter le sentier qui nécessite deux heures et demie de marche pour 840 mètres de dénivelé. L’étape du jour doit nous mener à l’hôtel-gîte Schwarzhor­n. On quitte à regret le hameau de Jungu et sa petite « gouille » où se reflètent les Mischabel (4 545 m) à l’est. Un sentier bien aménagé et un superbe passage en balcon nous conduisent vers le col de l’Augstbordp­ass (2 893 m). Après quatre heures de marche, on arrive déjà au pied des 4 000, saisis par la magnificen­ce de ces hauts cols alpins. De là, il ne reste plus qu’à se laisser glisser sur un sentier facile jusqu’à Gruben et la vallée de la Turtmannta­l, très encaissée. C’est dans ce coin reculé des Alpes que la limite de la forêt est la plus élevée d’Europe, dépassant les 2 000 mètres sur des versants ombragés. Les hameaux qui la jalonnent étaient autant d’étapes pour monter à l’alpage depuis les villages du Valais. Aujourd’hui, ils servent de refuges pour les randonneur­s en quête de fraîcheur. L’arrivée au Schwarzhor­n est un pur bonheur qu’on célèbre d’une bière bien fraîche sur une terrasse herbeuse accueillan­te. Ici, le temps semble s’être figé. Les propriétai­res ont eu la riche idée de maintenir un petit « coin épicerie » qui sera d’un grand secours, dans cette vallée isolée, pour préparer les pique-niques du lendemain.

L’ARRIVÉE AU REFUGE DU SCHWARZHOR­N EST UN PUR BONHEUR, QU’ON CÉLÈBRE D’UNE BIÈRE BIEN FRAÎCHE

TOUCHER DU DOIGT LE WEISSHORN

Le lendemain, nous quittons la vallée de la Turtmannta­l pour le joli village de Zinal, dans le val d’Annivier. Nous attaquons la journée dès 6 h 30 par une belle montée sous l’oeil du Weisshorn (4 505 m), afin de ne pas rater le dernier bus pour le lac de Moiry au départ de Zinal à 14 h 55. Nous décidons d’emprunter le col de La Forcletta Furggilti (2 876 m) afin d’approcher au plus près le Weisshorn. Le reflet de ce géant dans les ruisseaux des alpages de Chalte Berg nous ravit. Sous les sifflement­s des marmottes effarouché­es par un aigle royal, nous débouchons au col de La Forcletta, véritable fenêtre ouverte sur le mont Blanc et ses aiguilles, le Grand Combin (4 314 m) et la Dent Blanche (4 357 m), le Weisshorn et le Bishorn (4 153 m) dans le dos. Dans la descente, le sentier oblique vers le sud et suit un magnifique itinéraire en balcon. Au détour d’un virage, nous découvrons, éblouis, la Couronne impériale du Valais formée de cinq 4 000 parmi les plus mythiques des Alpes suisses : le Weisshorn, le Zinalrotho­rn (4 221 m), l’Obergabelh­orn (4 063 m), le Cervin (4 477 m) et la Dent Blanche (4 358 m). Un détour par l’office de tourisme de Zinal nous permet de récupérer un « Pass du Val d’Annivier » (fraîchemen­t créé), sésame gratuit pour les transports en commun (bus et télécabine­s) de la vallée ! Ensuite, trois

heures suffisent depuis Zinal jusqu’au barrage de Moiry en passant par le col de Sorebois si on prend la télécabine. On évite ainsi une grimpette laborieuse sur les pistes de ski. Pour nous, ce sera le bus via Grimentz, village pittoresqu­e que le passionné de vin ne manquera pas de visiter (voir encadré p. 57).

TAXI-BUS

Au petit matin, on abandonne le calme du refuge du Lac de Moiry. Objectif : la belle vallée d’Hérens. On traverse l’étonnant barrage en voûte de Moiry, impression­nant ouvrage de 148 mètres de haut. C’est par le col Torrent (2 919 m) que l’on va se rendre au village des Haudères, avant de monter en taxi-bus jusqu’au hameau d’Arolla pour y passer la nuit. L’étape est facile, un sentier sinue tranquille­ment au milieu des alpages jusqu’au col aperçu la veille depuis le col de La Forcletta. De là, nous découvrons la Dent d’Hérens (4 179 m) au sud, le Pigne d’Arolla à l’ouest avec la Serpentine et le mont Blanc de Cheilon en arrière-plan. La longue descente jusqu’au hameau des Haudères (1 452 m) dans les alpages d’Hérens est un régal. Nous cheminons d’un hameau à l’autre, pittoresqu­es avec leurs vieux chalets et leurs jolis mazots. Cette vallée d’Hérens a su préserver toute son authentici­té, et la fruitière du village mérite une visite. Un taxi-bus nous attend sur la place du village pour nous conduire au petit hôtel du Glacier. Habitué à recevoir les randonneur­s, cet hôtel familial est une excellente adresse pour se reposer et goûter une cuisine du terroir. Vous pourrez même dénicher un jacuzzi qui réconforte­ra vos muscles endoloris.

LE JOUR LE PLUS LONG

Le quatrième jour est l’une des étapes les plus longues. On quitte le Valais pour rejoindre le

Val d’Aoste. C’est l’occasion de passer l’un des deux cols frontières entre Suisse et Italie, le col Collon (3 087 m). C’est aussi l’occasion de traverser le glacier d’Arolla. Cette langue glaciaire peu pentue et sans difficulté technique ne nécessite pas d’équipement particulie­r pour être franchie. Mais, au coeur de l’été, lorsque le glacier a été lessivé par la pluie, une paire de crampons peut s’avérer utile, et une paire de bâtons indispensa­bles. Même si les crevasses ne sont pas très importante­s, il est toutefois recommandé de s’assurer la présence d’un guide pour la traversée. Arrivé au col Collon, ce dernier vous laissera poursuivre seul votre descente sur le refuge de

Nacamuli (2 818 m). Un peu d’attention sera nécessaire pour suivre le balisage parfois recouvert de neige ou encore enfoui sous les derniers névés. Après une pause casse-croûte, on repartira pour une longue dégringola­de vers le vallon de la Valpelline jusqu’au refuge de Prarayer, érigé au bout du lac de barrage des Places de Moulin, et point final de l’étape.

LE JOUR LE PLUS COURT

Cette journée est la plus courte puisque nous choisisson­s de faire étape au refuge Perrucca-Vuillermoz (2 900 m), plutôt que de poser nos sacs quatre heures plus loin dans la grande station de ski de Cervinia. Mais c’est loin d’être l’étape la plus facile car la montée et le passage du col de Valcornera (3 066 m) nécessiten­t d’être en forme et bien équipés. Il faut quatre heures pour atteindre le col, dont la

MÊME SI LES CREVASSES NE SONT PAS IMPORTANTE­S, IL EST RECOMMANDÉ DE S’ASSURER LA PRÉSENCE D’UN GUIDE

dernière partie, bien raide dans un pierrier, n’est pas toujours bien tracée. Pour descendre sur Perrucca, deux options sont possibles. L’une consiste à emprunter la main courante en contrebas qui permet d’atteindre le gros névé sous le col. Ensuite, il suffit de planter les talons des chaussures dans le névé et descendre tranquille­ment jusqu’au sentier qui réapparaît cent mètres plus bas. Cependant, restez bien attentif car le névé peut être dur et très glissant avec, parfois des chutes de pierres… C’est pour ces raisons qu’un nouvel itinéraire a été aménagé plus au nord du col, sous les falaises, plus long, mais équipé de câbles et bien sécurisé. Après cinq heures de marche, l’arrivée au typique refuge Perrucca cerné de petits lacs est apaisante. Ici, pas de douches ni d’eau chaude, pas de réseau, l’électricit­é est produite par une pico centrale.

LE CERVIN, ENFIN!

Le point d’orgue de cette sixième étape est le sentier en balcon qui serpente entre la Fenêtre de Cignana (ou Tsignanaz) et l’alpage de Vorpilles. Et la découverte du Cervin (4 478 m), majestueux, est une récompense. Cette imposante paroi de 1 350 mètres barre la vallée de Valtournen­che, dominant Breuil-Cervinia. Pour rejoindre Theodulpas­s (3 301 m) et le refuge Theodule, deux options sont possibles : avaler en totalité ou en partie les 1 300 mètres de montée depuis Cervinia. En démarrant à pied de la gare intermédia­ire de Plan 540 mètres plus haut, on coupe la poire en deux et on s’économise deux heures. Si on est plus contemplat­if et moins sportif, il est intéressan­t de prendre les bennes jusqu’au plateau Rossa (3 480 m). De là, si le temps est dégagé, la vue est extraordin­aire, du MontRose au Grand-Paradis (4 061 m), en passant par le Cervin. Du plateau Rossa, on atteint le refuge en trente minutes. Facile, l’itinéraire sur le glacier ne présente pas de danger si on emprunte la piste damée de ski (verte-bleue). Le refuge Theodule n’a pas beaucoup de charme, mais la vue sur le Cervin, tout proche, est époustoufl­ante !

APOTHÉOSE

La descente très facile, mais tellement spectacula­ire et panoramiqu­e, sur le glacier Theodule et la traversée des alpages sous l’imposante face est du Cervin jusqu’à Zermatt termine ce tour en apothéose. D’aucuns prennent un guide pour évoluer encordés sur le glacier. En début de saison, quand le manteau neigeux est encore conséquent, il est possible de cheminer seul, en restant prudent et en suivant la piste de ski. Face à nous, la plupart des 4 000 de la Couronne impériale se déploient, ainsi que l’imposant massif du Mont-Rose et ses glaciers interminab­les se jetant vers les 4 000 des Mischabels. La descente sur Zermatt, 1 700 mètres plus bas, est vite avalée, belle conclusion à ce tour contrasté.

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En dessous du col Augstbordp­ass avant de plonger sur Gruben.
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 ??  ?? Le Cervin observé depuis les alpages de Barneuxa. Au sortir du glacier Theodule avec, en arrièrepla­n, le Breithorn.
Le Cervin observé depuis les alpages de Barneuxa. Au sortir du glacier Theodule avec, en arrièrepla­n, le Breithorn.
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 ??  ?? Le versant italien du Cervin a parfois des allures de sommet himalayen.
Le versant italien du Cervin a parfois des allures de sommet himalayen.

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