Montagnes

MÊME PAS PEUR

- Ulysse Lefebvre

L’actualité nous rappelle plus que jamais que la montagne n’est pas un monde à part, loin des vicissitud­es des basses vallées et des bas de plafond. Elle représente bien un espace géographiq­ue à part entière mais connecté aux plaines, aux littoraux, c’est un lieu de vie, de passage, de joies et de peines. De crimes aussi. Le 24 septembre dernier, un innocent était sacrifié par des barbares sur l’autel de la folie. Juste un de plus, certes, parmi la longue liste de civils syriens, ukrainiens, palestinie­ns, érythréens mais aussi britanniqu­es et américains, tués gratuiteme­nt. Mais cette fois, la victime, Hervé Gourdel, était un membre de notre petite communauté de montagnard­s, un guide du Mercantour. Soudain, nous prenions en pleine face la réalité du terrorisme, celui qui se terre dans le maquis, à l’ubac de l’humanité mais aussi à l’adret des beaux sommets. Vermine qu’il est. Alors qu’aujourd’hui beaucoup annulent leur séjour à l’étranger, se pose la question du risque acceptable. On évitera évidemment de se jeter dans la gueule du loup, d’autant que les terroriste­s de l’État islamique (qui n’est pas plus état qu’ islamique d’ailleurs) sont protéiform­es. Mais l’exemple du Nanga Parbat est intéressan­t. Après la tuerie de juin 2013, au camp de base, les alpinistes sont peu à peu revenus sur les flancs du géant pakistanai­s. Le risque objectif restera toujours une donnée inhérente, à accepter, si l’on veut continuer à aller en montagne. Le fait que, ces dernières semaines, des dizaines de cordées sont descendues en face sud des Grandes Jorasses, alors que le sérac Whymper n’a jamais craché autant de glace, est assez révélateur. «La montagne n’est pas juste ou injuste. Elle est dangereuse.» Les mots de Messner résonnent différemme­nt ces derniers temps. L’histoire de ce monstre sacré, semée de coups d’éclats et de tragédies, en dit long sur les capacités de résilience d’un homme. Mais quid de ce nouveau risque «humain» (même si l’humanité n’est pas le trait caractéris­ant le terrorisme) ? Comment accepter le risque ? Comment refuser la terreur ? Comment ne pas s’avouer vaincu avant même d’avoir relevé les

MAIS QUID DE CE NOUVEAU RISQUE « HUMAIN » ? COMMENT REFUSER LA TERREUR ?

épaules ? Comment, dans le même temps, ne pas abandonner des civils qui n’ont rien demandé et vivent du tourisme de montagne ? Sans prétendre apporter une réponse, il semble sain de garder en tête cette question, d’en discuter de manière ouverte, de ne pas accepter les réponses préfabriqu­ées par les agitateurs de chiffon rouge. Tout cela, surtout, pour ne pas se replier dans le petit chalet douillet mais étriqué de la peur. Souvent bas de plafond lui aussi.

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