IMPASSE AU CHAMBON
Le 10 avril 2015, la circulation sur la route départementale reliant Bourg-d’Oisans (Isère) à la Grave (Hautes-Alpes) est interrompue. La montagne a bougé au-dessus du tunnel du Chambon et menace de s’écrouler dans le lac du barrage. Les villages de La Gr
Y A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION?
La nouvelle est tombée la veille des vacances de Pâques. L’évolution d’une fissure dans la voûte du tunnel a conduit les autorités à fermer du jour au lendemain la départementale RD 1091 entre La Grave et Mizoën qui voit passer en moyenne 3 500 véhicules par jour avec des pics à 10 000 en période touristique. Les alternatives sont peu réjouissantes : le détour par Gap fait plus que doubler le temps de trajet (plus de 4heures pour relier La Grave à Grenoble), le passage par le tunnel du Fréjus rallonge la route avec des aléas de circulation fréquents et coûte très cher (près de 45euros l’aller simple). Quant à la route d’altitude du col du Galibier (2 642m), tardivement enneigée, elle n’a pas ouvert cette année avant le 5juin. Les habitants ont dû se débrouiller, notamment ceux qui travaillent de l’autre côté du tunnel. Des collégiens ont été hébergés à la semaine dans l’internat du collège de Bourg d’Oisans ou des familles d’accueil. Ceux qui le pouvaient ont emprunté les sentiers en rive droite ou gauche du lac, moyennant 30 à 45 minutes de marche, en ayant au préalable fait le grand tour pour déposer un second véhicule. Le quotidien s’est transformé en épopée. MariePierrette Fège, de la société «Taxi de la Meije», décrit le parcours éprouvant des patients qui se rendent à l’hôpital de Grenoble : « Leur transportestprisenchargeàconditionde prendrelaroutedeGap.Pouruneconsultationilfautcompterauminimumhuitheures detrajetaller-retoursanscompterletemps d’attentepourlemaladed’uneàdeuxheures ». Depuis le 17 avril, des zodiacs puis deux bateaux de transport fluvial affrétés par le département de l’Isère ont assuré une liaison de dépannage sur le lac. Sa course contre la montre pour conforter la voûte du tunnel a échoué. Le 22juin, le département a évoqué « unequasi-certitudequantàunglissement deterraindanslelacd’unezonereprésentant auminimum100000mètrescubes,àcourt oumoyenterme ». Le lendemain, les bateaux ont été stoppés et les sentiers fermés. Les travaux sur la montagne ont été arrêtés et un périmètre de sécurité mis en place. Les pouvoirs publics ont assuré aux habitants situés en aval du barrage qu’ils ne risquaient rien, études EDF à l’appui. Mais l’éboulement massif - 800 000 mètres cubes finalement attendus - annoncé entre le 4 et le 5 juillet n’a pas eu lieu, au grand dépit des riverains dont le sort est suspendu à cette montagne. Dans l’urgence, des navettes héliportées financées par la région PACA et l’État ont été mises en place pour les gens qui travaillent en Isère. La partie haute du GR 50 a été rouverte ainsi que le sentier des Aymes en rive droite du lac, placé sous la surveillance de capteurs.
ET MAINTENANT ON FAIT QUOI ?
Le département de l’Isère a débloqué cinq millions d’euros pour aménager une piste en rive gauche du lac, tout en reconnaissant qu’elle « necomporteraqu’unevoiedecirculation complétéepardeszonesdecroisement », mais qu’elle pourra « offriràcourtterme(automne 2015)unealternativepourlespopulations locales ». Cette proposition mécontente fortement les habitants qui assurent que l’économie de leurs villages ne résistera pas sans la venue des touristes l’hiver prochain. Ils demandent aux pouvoirs publics de provoquer l’effondrement de la montagne afin de reprendre les travaux sur la RD 1091, ou de créer une véritable route en rive gauche du lac. Tous ont en tête la montagne de Séchilienne dans la vallée de la Romanche, censée tomber… il y a trente ans. Pendant ce temps, l’économie des villages dégringole. Frédéric Julliard, patron d’un magasin d’article de sport dans lequel il a récemment investi face au téléphérique de La Grave, ne pense pas survivre à un hiver sans route. Rachel, propriétaire d’un magasin de fromage un peu plus haut estime avoir perdu 80% de son chiffre d’affaires. Les aides et mesures exceptionnelles annoncées sont jugées largement insuffisantes au regard des enjeux. Certains disent ne pas en voir la couleur. Une cellule psychologique a été mise en place. La perspective de l’hiver et d’un enclavement total inquiète avec la fermeture fréquente du col du Lautaret et il n’est pas certain que les paroles - « Dans lesservicesonsaitgérercegenredesituation » - de la Sous-préfète de Briançon, Isabelle Sendrané, suffisent à rassurer. La population s’interroge sur son avenir et dénonce l’inaction des pouvoirs publics et la « mollesseimpardonnable » de certains élus. Le 13mai, le Collectif du Chambon est né à l’initiative d’habitants décidés à faire bouger les choses. Pour Philippe Raybaudi, membre actif et habitant du Freney d’Oisans, « lesgenssontàboutdenerfs ». Dans une lettre ouverte, le maire de La Grave écrit qu’il se « sentbienimpuissantdevantlesinerties administratives,lesresponsabilitéscroisées etlescompétencesdéfiniesenpréscarrésque personneneveutperdre ».
UNE IMPRESSION DE DÉSORGANISATION
Joël Giraud, député des Hautes-Alpes et maire de l’Argentière-la-Bessée constate qu’ « iln’ya pasdepilotedansl’avion ». Le 15juillet, il a interpellé le premier ministre à l’Assemblée nationale afin de faire étendre le principe de catastrophe naturelle aux communes sinistrées des HautesAlpes bien que l’événement géologique se soit produit sur la commune de Mizoën en Isère. Le préfet des Hautes-Alpes et le président du département de l’Isère se sont écharpés au sujet de la piste prévue en rive gauche du lac par déclarations et communiqués de presse interposés. De son côté, le vice-président du département de l’Isère chargé de la voirie, Bernard Perazio, fustige l’État qui, dans le cadre de la décentralisation, a fait « cadeau » aux départements de routes en mauvais état et « n’estpasaurendezvous » en matière d’investissements néces- saires, notamment sur cet axe. Il dénonce l’inutilité de l’étude annoncée (à hauteur d’environ 600000euros) pour faire le point sur l’état de l’axe Grenoble – Briançon, assurant que ces études sont disponibles au département, et suspectant un « effetd’annonce ». Le communiqué de la Préfecture des Hautes-Alpes laissait penser que le département de l’Isère avait apporté son soutien à cette démarche. L’impression de désorganisation qui se dégage de l’ensemble ne contribue pas à rassurer les populations touchées. Quant à la récupération d’informations sur ce dossier auprès des administrations, elle relève souvent du parcours du combattant pour le journaliste.
DEPUIS LE 17 AVRIL, DES ZODIACS PUIS DEUX BATEAUX DE TRANSPORT FLUVIAL ONT ASSURÉ UNE LIAISON DE DÉPANNAGE SUR LE LAC