Montagnes

ANTHONY NICOLAZZI RETOUR AU NÉPAL

Rédacteur-en-chef adjoint de Trek Mag, Anthony Nicolazzi revient d’une expédition au Mustang (Népal). Quitte à rompre le climat d’apitoiemen­t général, il prône un retour rapide des voyageurs dans un pays qui redémarre déjà.

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Je vais faire hurler un peu dans les chaumières. Il le faut, parfois. J’étais à Katmandou un mois à peine après le séisme du 25avril. Non, non… je n’avais aucunement l’intention d’aller aider mes amis népalais. J’avais par bonheur réussi, jour après jour, à les joindre tous, un par un, et tous se portaient bien. Leurs familles également, même si certaines avaient tout perdu, ou presque. Non, j’étais simplement à Katmandou pour participer à une expédition. À un trek. Pour faire du tourisme donc. Le Népal venait de subir l’un des plus terribles tremblemen­ts de terre de son histoire, d’élever quelque 8 700 bûchers funéraires, et nous venions faire du tourisme, avec nos Gore-Tex rutilantes, nos cramponspi­olets et nos appareils photo à plusieurs centaines d’euros. A minima, c’était déplacé. Pour ne pas dire carrément abject. Dans les semaines qui ont précédé mon départ, j’ai eu des dizaines de fois à répondre à mes amis, parents, collègues sur le maintien ou non de cette expédition. « Jusqu’àaujourd’hui,cen’esttoujour­spas annulé », me contentais-je de répondre, finissant par douter un peu plus chaque jour de l’éventualit­é du départ. Et puis non. Paulo Grobel, qui venait de renoncer au sommet du Manaslu suite au séisme et aux risques encourus, était rentré à Katmandou. Après avoir pris le temps de s’informer précisémen­t auprès de ses contacts locaux, il avait jugé que le Mustang, où nous devions nous rendre, présentait toutes les conditions de sécurité nécessaire­s, et que le mieux que nous pussions faire était d’honorer les engagement­s que nous avions pris envers notre équipe locale, à savoir maintenir l’expé. Les onze porteurs, guides, porteurs d’altitude, cuisiniers, muletiers… qui composaien­t notre équipe auront été parmi les seuls à travailler normalemen­t ce printemps au Népal, dans le domaine touristiqu­e. En temps normal, cette activité saisonnièr­e constitue une part importante de leurs revenus. Un mois après le séisme, au vu de l’activité générale au Népal, ces quelques milliers de roupies tenaient même du miracle. J’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres amis népalais à mon retour de Katmandou. Ils étaient vivants, en pleine santé, et regardaien­t simplement passer le temps, faute d’activité. La vie à Katmandou avait l’air parfaiteme­nt normale, si l’on excepte les tentes dressées un peu partout dans les parcs (Ratna/Dhulikhel), les terrains vagues, les jardins ou les cours des monastères (Shechen). De loin en loin, les ruines d’un immeuble écroulé, qui avaient bien souvent été déjà déblayées, lorsque les bâtiments n’étaient pas en pleine reconstruc­tion. En forçant un peu le trait, quelqu’un qui serait arrivé de la planète Mars aurait très bien pu traverser Katmandou sans se douter que la terre avait tremblé un mois auparavant. Quand je demande à mon ami photograph­e GauravMan Sherchan s’il a besoin de quelque chose, il rigole. « Jenesaispa­s. J’aimeraisbi­enavoirlen­ouveliPad. » Fin mai, un article du Kathmandu Post, journal de langue anglaise, relatait les effets pervers de la couverture médiatique du tremblemen­t de terre, sur l’image que l’on se faisait du Népal à l’étranger. « Lemonde imagineque­leNépaln’estqu’untasde ruines », relatait le quotidien d’un ton médusé. C’est vrai. Nous avons tous vu ces images tourner en boucle, les temples de Durbar Square dans un nuage de poussière, la tour Bishem, le village martyr de Langtang. Et la vision que nous avons du Népal est celle d’un amas de gravats et de bûchers funéraires alignés sur des kilomètres. Rien n’est plus faux. On se focalise sur les 5 % du pays qui sont détruits, et on oublie que le Népal est intact à 95 %. Durant les émeutes dans les banlieues françaises en 2005, les Américains parlaient d’une guerre civile, alors que l’immense majorité d’entre nous vivait absolument normalemen­t. Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de nier les destructio­ns subies par le Népal durant cet épisode. Ne serait-ce que par respect pour les 8 700 morts et 17 000 blessés, ou pour tous les autres, ceux qui ont tout perdu, leur maison, leur bétail, leurs champs. Ceux qui dorment dehors, à cette minute même, ou sous une bâche de fortune, en pleine mousson. Non, le Népal a souffert d’une véritable catastroph­e et nous devons tous, nous qui aimons ce pays comme aucun autre, ne serait-ce que pour ce qu’il représente dans notre imaginaire de montagnard, poursuivre nos efforts pour l’aider au mieux à se reconstrui­re. En lui apportant, bien sûr, une éventuelle aide financière, par l’intermédia­ire des ONG engagées sur le terrain, par exemple. Mais également en retrouvant vis-à-vis du Népal et des Népalais le regard que nous avions avant le séisme. Le Népal est prêt à nous accueillir demain. Peut-être pas partout, évidemment. Il faudra du temps avant de fouler à nouveau les sentiers du Manaslu, du Langtang ou de l’Helambu. Mais rien ne s’oppose, dès la fin de la mousson, à partir autour des Annapurna, au Mustang, au Dolpo, au Khumbu et au camp de base de l’Everest, au Makalu, au Kangchenju­nga. Il y a des dizaines, des centaines de porteurs, guides, sirdars, cuisiniers, qui espèrent nous voir dès cet automne descendre sur le tarmac à Katmandou, Pokhara, Lukla. S’abstenir de retourner au Népal cet automne, pour la première saison touristiqu­e post-séisme, ou au printemps prochain, sur les plus hauts sommets, reviendrai­t à infliger au peuple népalais une double peine dont il n’a vraiment pas besoin. À ce jour, tout indique que les sentiers du Népal seront déserts cet automne. Alors il est urgent d’agir, de nous mobiliser, tous, que nous soyons guide, journalist­e, agence de trek, blogueur, grimpeur, alpiniste ou simple citoyen. Ne pas être au Népal cet automne serait la pire des répliques à ce tragique 25avril 2015.

NE PAS ÊTRE

AU NÉPAL CET AUTOMNE SERAIT LA PIRE DES RÉPLIQUES

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