Montagnes

IRRÉVERSIB­LES

- Point de vue (cécité). Ulysse Lefebvre

Vous l’avez déjà fait ce geste, commise cette erreur, prononcé ce mot ? Celui ou celle qui tombe comme ça et qui change tout, à un cheveu. Un petit rien voulu ou non, qui bascule du noir au blanc, du tout au rien, des larmes au rire. Sans retour possible. Florilège récent et subjectif de ces bons et mauvais points irréversib­les, rencontrés en montagne ces derniers temps.

Poing final. Celui de Caroline Ciavaldini dans la voiePetit au Grand Capucin, début juillet : «J’ai trouvé une méthode intéressan­te dans le crux du8b, avec un coince ment de poing, qui m’ évite un très grand mouvement. S té phanieBod et ne l’ avait pas trouvé, elle est passée à un cheveu d’enchaîner.» Un cheveu et surtout un mouvement qui inscrit le nom de Ciavaldini en gras en tant que première femme à gravir la voie en libre. Le très haut niveau a cela d’épatant qu’il repose sur une analyse tellement fine des difficulté­s qu’un simple placement de main évite la chute et ouvre les portes d’un sommet. Précis.

L’analyse du ministère de l’Écologie a, elle, été moins fine. Du moins a-t-il écouté trop tard les scientifiq­ues. Alors qu’elle décidait d’abattre massivemen­t les bouquetins dans le massif du Bargy dès 2012, pour cause de brucellose, la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, a finalement indiqué au préfet de HauteSa voie de modifier son arrêté pour «quen’apparaisse plus la notion d’ abattage d’ animaux non testés quine présenter aient pas, par ailleurs, de signe clinique de la maladie ». C’est bien, mais un peu tard pour les 430 animaux abattus qui ne s’en relèveront pas, leur disparitio­n étant moins révocable qu’un arrêté ministérie­l.

Point de non-retour. Comme lorsque l’on continue de négocier la destructio­n d’un espace en en protégeant un autre. Mis en forme par la moulinette réglementa­ire, cela donne des « mesures compensato­ires » qui consistent de plus en plus à acheter un bout de terrain, dont la nécessité de protection est parfois discutable, pour mieux en aménager un autre. Avec ce système, est mise en place une sorte de banque d’espace, aux tarifs réglementé­s à l’hectare, que tout aménageur peut consulter pour acheter de la compensati­on et mieux anticiper ses futures petites anicroches avec l’environnem­ent. Lisez donc notre enquête page 14. On y marche sur la tête, à rebroussep­oil et les yeux fermés.

Point de rupture. Celui d’une corniche qui, comme trop souvent, cède sous le poids d’un alpinistep­hotographe passionné comme Jean-François Hagenmulle­r et l’emmène avec elle bien trop bas pour qu’il ne s’en relève. Ou celui d’une plaque de neige sous les pieds de deux alpinistes et qui déclenche une avalanche dans la face nord du Tacul, encore une, la première de l’été. Un mort. Circulez, y’a plus rien à voir.

Plus qu’ailleurs, c’est décidément ça la montagne : un endroit entier, plein, dans tout ce que ça implique de beauté et de brutalité. Sans édulcorant, ni marche arrière ; sans fausses excuses ni arrière-pensées. Fragile aussi, qui laisse peu de place aux expériment­ations hasardeuse­s. Un endroit sans réponses, bourré de belles questions. Allez, l’été sera chaud. En avant toute…

C’EST DÉCIDÉMENT ÇA LA MONTAGNE, UN ENDROIT ENTIER, PLEIN, DANS TOUT CE QUE ÇA IMPLIQUE DE BEAUTÉ ET DE BRUTALITÉ, SANS ÉDULCORANT, NI MARCHE ARRIÈRE

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