LES TROIS DERNIERS PROBLÈMES DES ALPES
La jaquette de l’ouvrage donne le ton : « Le nomd’ An derlHec km air […] est très étroite ment lié à une période historique ment capitale de l’ alpinisme moderne, où les meilleurs grimpeurs d’ Europe s’ affrontèrent en une compétition internationale […] pour la conquête des fac es nord du Cer vin, desJo ras se set de l’ Eiger .» Les enjeux étant posés, l’éditeur précise que l’ auteur des Trois derniers problèmes desAlpes n’est autre que celui qui a mené le combat décisif avec la plus exigeante, l’Eigerwand, la paroi de l’Ogre. C’est lui qui prit les commandes et conduisit la cordée victorieuse, composée de quatre guerriers : Vörg et Heckmair, qui acceptèrent sur leur corde Harrer et Kasparek, moins rapides et mal équipés (une paire de crampons dix pointes pour deux alors que les leaders bénéficiaient de douze pointes et avaient prévu une kyrielle de broches à glace).
UN PARCOURS BALISÉ PAR LES CADAVRES
Il faut dire que cette face est gourmande. Au début des années trente c’est le hallali. Les cordées se succèdent dans les startingblocks. Personne ne dépasse la mi-paroi. On a du mal à faire le compte des alpinistes qui périrent dans le mauvais temps ou après une chute fatale due au caractère particulier du terrain. Mille six cents mètres de dénivelée. Muraille à dominante calcaire, donc plus raide que du granite, la présence de plusieurs névés suspendus en plein vide la range résolument dans la catégorie glaciaire. Elle domine Grindelwald, dans les Alpes bernoises, dressée au milieu des alpages, comme« un pavé dans un champ defleurs» , selon Gaston Rébuffat, qui la gravit en 1952, bouclant ainsi la trilogie mythique avec les Jorasses et le Cervin. La célébrité de cette paroi vient du fait que, contrairement à la plupart des escalades en altitude qui sont cachées et d’accès délicat, l’Eigerwand s’offre aux spectateurs confortablement installés en terrasse et disposant de gros télescopes. Ainsi le spectacle est roi, et l’on peut détailler les célèbres passages : la traversée Hinterstoisser, le boyau de glace, le bivouac de la mort, la traversée des dieux, l’araignée et les fissures de sortie, deux cents mètres sous le sommet.
UN REPORTAGE COMPLET : DU QUASI-DIRECT !
Le livre vaut par le sujet central. Malgré le titre prometteur, l’essentiel est à l’Eiger. Heckmair raconte bien, sans pathos, avec un style plutôt descriptif, sans les considérations oiseuses que l’on trouvait parfois dans le genre. Action d’abord, constat plutôt qu’extrapolation ou mauvais suspense. On est en prise directe avec les héros qui se défoncent pour sortir dans le mauvais temps, avec une foi inébranlable. On sent qu’ils vont y arriver, en dépit des coulées de neige incessantes, du brouillard à couper au couteau et des obstacles, de quelques dévissages enrayés inextremis, je vous dis pas ! Invincibles. Notons l’accroche narrative qui consiste à raconter l’ascension via un article de journal, ce qui nous fait participer à l’exploit. Le texte est renforcé par de nombreuses photos en noir et blanc, dues à Vörg qui imposa son Contax, en dépit du rouscaillage de son leader. On y voit les passages de près, l’ambiance sordide du rocher lisse ou au contraire délité, les névés vitreux criblés d’impacts de cailloux, les bivouacs où tant de souffrances ont été endurées, le matériel simplissime… Chapeau bas ! On remarquera le portrait d’Heckmair en ouverture du premier cahier : mâchoire de gladiateur, yeux perçants et rictus de tueur. On peut regretter que la photo numéro dix ne donne pas le tracé complet de la voie. Enfin, quelle émotion dans la numéro vingtsix, dans l’échange de regards des deux hommes, sereins malgré l’unique piton «qui assuretout» .
LA SAGA DES PETITS POUCETS
Une fois la voie ouverte, l’engouement pour la paroi des parois ne cessa de croître. Toutes les formes de l’alpinisme y furent appliquées : hivernale (Habeler-Kinshofer) solitaire (M. Darbellay), trilogie enchaînée dans le même hiver (C. Profit), solo hivernal et féminine (C. Destivelle), directissime, et enfin record de vitesse en solo par Ueli Steck (2 h 22). Passons sur l’influence du nationalisme allemand. Restons dans l’exploit sportif. Heckmair s’est toujours défendu d’avoir adhéré au nazisme. Pour en savoir plus, deux ouvrages sont à explorer : Eiger, théâtreduvertige (D. Anker, Hoëbeke) et Alpiniste, a ut obiog ra phied’ Hec km air, (Guérin).
ON EST EN PRISE DIRECTE AVEC LES HÉROS QUI SE DÉFONCENT POUR SORTIR DANS LE MAUVAIS TEMPS, AVEC UNE FOI INÉBRANLABLE