Montagnes

3 QUESTIONS À… JACQUES DALLEST, PROCUREUR GÉNÉRAL À GRENOBLE

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Depuis 2015, Jacques Dallest confronte le regard de la justice avec celui des pratiquant­s de la montagne, à partir de cas concrets. Il a répété l’exercice le 18janvier à Grenoble lors d’une conférence avec le guide de haute montagne Erik Decamp, le guide et expert auprès des tribunaux Alain Duclos, le guide et professeur à l’École nationale de ski et d’alpinisme (ENSA) Alexis Mallon et le capitaine Patrick Poirot, commandant du PGHM de l’Isère.

Pourquoi ces temps d’échange sont-ils importants ?

Jacques Dallest : Pendant longtemps le monde de la montagne et de la justice ne se sont côtoyés que dans le contexte d’accidents. Il est intéressan­t que les deux univers se comprennen­t et d’envisager la justice dans un rôle préventif plutôt que punitif. Pour les pratiquant­s, c’est une tentative de comprendre le type de comporteme­nts qui pourraient être considérés comme fautifs. Il est plus facile de faire de la pédagogie à partir de cas réels qu’avec de la théorie.

En 2015, vous constatiez que la judiciaris­ation de la montagne était moindre que pour la société en général. Est-ce toujours vrai ?

J. D. : Oui. Les condamnati­ons au pénal sont très rares. La plupart des affaires sont classées sans suite parce que la personne potentiell­ement responsabl­e est décédée, ou que la faute n’a pas été jugée assez grave pour justifier une condamnati­on. L’affaire des Orres [ndlr : onze personnes meurent dont neuf adolescent­s dans l’avalanche de la crête du Lauzet en juillet199­8], qui a valu au guide Daniel Forté de la détention provisoire et deux ans de prison avec sursis, reste l’une des condamnati­ons les plus lourdes prononcées à l’encontre d’un profession­nel. Un encadrant doit renforcer ses exigences de sécurité quand il encadre des mineurs, car la société sera d’autant moins tolérante en cas d’accident.

La justice est-elle trop clémente avec les profession­nels ?

J. D. : Depuis la loi « Fauchon » de juillet 2000, voulue par les maires, on a réduit les cas engageant la responsabi­lité pénale d’une personne physique auteur indirect d’un dommage. Une faute lourde, délibérée ou caractéris­ée doit être identifiée pour prononcer une condamnati­on. Dans le cas de l’avalanche qui a coûté la vie à un lycéen en 2015 dans le Vercors, la justice a relaxé le professeur encadrant, estimant qu’il n’avait pas commis de faute lourde. L’absence du port d’un DVA ne suffit pas à condamner si un lien de causalité n’est pas établi avec le décès. Il peut y avoir discussion­s entre les juges. Une cour d’appel peut revenir sur la décision d’un tribunal, comme pour ce guide autrichien condamné pour la mort d’un client sur le mont Blanc en 2011, finalement relaxé. La justice n’a la volonté ni de punir excessivem­ent, ni de tout abandonner à la fatalité.

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