OSEZ LE MONT BLANC SANS GUIDE
Le mont Blanc attire les alpinistes de manière irrépressible. Les moins aguerris aiment à se mettre dans les pas rassurants d’un guide. Pourtant, quelle belle idée ce serait de fouler la cime en alpiniste autonome. Projet réaliste et qui, paradoxalement,
L’été sera chaud. Sous les piolets, sous les crampons. Prendre de la hauteur paraît salutaire. Transhumances libres mais pourquoi pas au mont Blanc ? Et tant qu’à faire, tout seuls comme des grands ! Carrément. Sauf que notre envie de fraîcheur va en prendre un coup avec ce choix hautement inflammable : faire le mont Blanc sans guide. Tout est réuni pour que ça jazze. Un sommet – magnifique – saturé d’une mythologie bien entretenue, le statut sacré du guide de haute montagne gardien du temple, et un choix, l’autonomie, sur lequel chacun aura sa vérité absolue, profanes y compris, surtout les jours de drame au Tacul ou dans le couloir du Goûter. Dans ce désir individuellement motivé, collectivement partagé de gravir le mont Blanc, deux variables fortes interpellent et attisent la discussion. Avec ou sans guide ? Avec ou non une expérience de la montagne ? Croisons ces interrogations et n’apportons surtout pas de réponse sauf celle de vous guider (!) vers la vôtre.
SANS FILET
Certains sont cumulards. La haute montagne leur est terra incognita et quand bien même ils s’exonéreront de l’aide du guide. Par éthique, par méconnaissance, par défi ou par défaut (de moyens). Inconscience égoïste et irresponsable pour les uns, renaissance de l’esprit d’aventure pour d’autres, cocasse cette société qui déplore le manque d’audace, la pétoche collective et tape bien fort sur les premiers ne s’entourant pas d’un luxe sécuritaire. Y aurait-il un bon et un mauvais risque ? Chaque jour, on entend les mêmes commentaires, le mont Blanc est une bosse à touristes, montagne à vache – à lait bien sûr – où traînent les baskets du premier trailer venu et où l’on joue du piano. Alors on le croit et on s’invite à la fête. Le plus souvent, ce sera par l’aiguille du Goûter. Du monde, c’est rassurant et malgré tout plein de guides qui ont fait voeu de secours même aux plus frondeurs. Plus rares ceux à l’esprit si pionnier qu’ils suivront les traces de Paccard et Balmat via la Jonction et les Grands Plateaux. Souvent le bivouac, anar jusqu’au bout de la nuit. Le plus souvent, ça passe. D’imitation en miracles, on parvient au sommet, inconscience et intrépidité ont leurs anges gardiens. En revanche, si échec il y a, drame ou appel aux secours, on vous tombera dessus à morales raccourcies et sans doute justifiées. Plus qu’à la raideur du
« LE PLUS SOUVENT ÇA PASSE. D’IMITATION EN MIRACLE ON PARVIENT AU SOMMET, INCONSCIENCE ET INTREPIDITE ONT LEURS ANGES GARDIENS. »
mont Blanc, c’est à celle de la vindicte populaire qu’il faudra se préparer. Le plus souvent, l’alpinisme s’arrêtera là avant le prochain défi, le pari suivant. Un peu de désert pourquoi pas. Mais certains y prendront goût et voudront approfondir. Il sera alors grand temps que le guide leur enseigne que brouillard, crevasses et séracs se contrefoutent de l’éthique et de l’audace.
STAGE MONT BLANC, TOUT, TOUT DE SUITE
L’autre pôle de l’inexpérience alpine abrite ceux et celles n’envisageant pas un seul instant la tentative sans guide. Souvent sportifs, ultra-motivés mais pour la plupart novices en alpinisme. L’opinion publique les préfère, plus sages (à tort ou à raison, le point de vue vaut le détour). Les compagnies des guides ouvrent grand leurs bras à ces clients d’une semaine. Mer de Glace le premier jour, traversée des Crochues le second, Petite Verte ensuite pour faire du globule rouge puis mont Blanc si tout va bien. Parfois une nuit en refuge pour apprendre le dortoir. Cramponnage, encordement, mouflage, on digère les rudiments et, plus que tout, on souhaite réussir le jour de l’examen final. Presque toujours par le refuge du Goûter, dortoirs attitrés, privilège de l’encadrement local. Régulièrement, ça passe. Summit ! Mais pas tout le temps. Météo, niveaux et fatigues sont plus écoutés que chez les sans-guides, et c’est le guide chef qui décidera au final quelles que soient les objections des prétendants aux 4 810 mètres. L’orage sur l’arête des Bosses se prolonge parfois au service comptabilité de la Compagnie. C’est sur ce point du sommet à tout prix que sont souvent raillés les stagiaires mont Blanc, pour le coup davantage par la communauté montagnarde. Ils (et elles) ne seraient tournés que vers le garnissage de leur CV sportif, d’aventures préfabriquées en défis monnayés et risques fantasmés. Saut à l’élastique 2014, mont Blanc 2015, marathon de New York 2016 (ou l’UTMB pour les monomaniaques de Chamonix). Tee-shirt finisher ou selfie sommital, si loin des vrais alpinistes, aucune culture montagne, et l’impatience de ceux qui ne veulent pas apprendre. Leur première expérience de là-haut sera, parie-t-on la dernière, zapping des intérêts. Bizarre ce dédain. Tous les alpinistes du monde ne partagent-ils pas cette avidité de réussite dès lors qu’ils ont un projet en tête ? Et si l’on se plaint à longueur d’assemblées générales de la désaffection du grand public pour la montagne, un stage mont Blanc même pour débutant convoiteux ne peut pas être une porte d’entrée? Ça dépend du guide! Pas faux. Voyez comme son rôle est essentiel.
LE MONT BLANC, C’EST DIFFÉRENT
Parfois en plein mur de la Côte ou entre les deux bosses, on est doublé par une cordée
«L’ORAGE SUR L’ARETE DES BOSSES SE PROLONGE PARFOIS AU SERVICE COMPTABILITE DE LA COMPAGNIE. »
homogène qui avance à bons pas. Et pourtant un guide devant. Les seconds pour sûr sont aguerris. Alpinistes expérimentés, ils ont toutefois réclamé l’accompagnement pour le mont Blanc. Ils ont appris la montagne, ont progressé, se sont émancipés et grimpent désormais sans guide. Ils ont foulé les sommets phares d’autres massifs (mont Rose, dôme des Écrins, Grande Casse…). Les pentes abordées se sont raidies, les techniques étoffées, les cotations durcies, mais là, c’est le mont Blanc. La logique est perturbée, subjectif et irrationnel s’en mêlent. Mythologie, altérité des lieux, drames médiatisés, pression familiale… ils ont fait plus dur mais là, on rappelle le guide, souvent celui des débuts et des fondamentaux. L’itinéraire du Goûter sera délaissé, peu digne de leurs progrès. On met à profit l’expérience et l’unité de la cordée guidée pour explorer d’autres chemins moins courus (voie italienne du Pape) ou plus exigeants (les trois monts : Tacul-Mauditmont Blanc depuis les Cosmiques voire l’aiguille de Bionnassay et la traversée
Royale). Le toit de l’Europe mérite un coup d’éclat. Qui sait, pourra-t-on faire appel à Christophe Profit et un de ses itinéraires perso autour des Grands Mulets pour cumuler les sommités. Leur carrière alpinistique sera ainsi jalonnée de paliers de décompression, encadrés, rassurants, retrouvailles avec le guide formateur. Prochain tutorat : la Verte ou une face nord mythique. Ou l’Innominata si le mont Blanc a le goût du reviens-y.
SAVOIR ET SAVOIR FAIRE
Comme souvent lorsque l’on s’interroge sur la justesse d’un choix (avec ou sans guide ?) la réponse est… dans le dictionnaire. « Guide : personne qui met sur la voie, oriente, inspire. » Dans notre typologie d’aspirants summiters, notre dernier groupe l’a bien entendu. Se former, acquérir de l’expérience grâce au(x) guide(s) et faire de l’ascension du mont Blanc l’occasion de valider joliment progrès et autonomie. Sans guide mais permis par celui-ci promu temps propédeutique. Ces alpinistes en construction considèrent qu’un mont Blanc, déjà unique en soi par l’esthétisme de ses voies, l’émotion singulière qu’il procure, aura d’autant plus de saveur et de sens s’il s’envisage seuls. Mais formés. Mérite et satisfaction supplémentaires. Il faut alors prendre le temps. D’attendre et d’apprendre. Pour savoir. Qu’il faut une météo favorable, étudiée : bon regel, faibles chutes de neige récentes, vent timide, risque réduit d’arrivée brutale du mauvais temps. Que les risques objectifs sont là malgré l’aspect débonnaire de l’entreprise : plaque à vent au Tacul, rimayes et ponts de neige un peu partout, séracs sous les Petits Plateaux, pierres dans ce fameux Grand Couloir, on en passe et des pareils. Que tout n’est pas permis là-haut (zones de bivouac, réservation des refuges). Pour savoir faire. S’assurer en mouvement dans l’aiguille du Goûter, tirer une longueur si glace au col du mont Maudit, allonger, raccourcir l’encordement à bon escient, progresser pieds sûrs et corde tendue sur l’arête effilée des Bosses, s’orienter en haute montagne si nécessaire, gérer son effort, trouver l’allure ad hoc, ne pas négliger la descente, gérer une cordée – prendre les décisions et savoir renoncer – reconnaître les premiers signes du mal des montagnes… Autant d’apparents poncifs pour qui sait mais pouvant sauver la vie et la rendre plus belle, plus sereine un jour de sommet. Les courses de rodage se feront avec guide puis sans mais où sa présence n’aura jamais été aussi forte. Refuges des Conscrits et Albert 1er feront de bons camps d’entraîne- ment. Quelques séances de rattrapage si besoin puis lorsque la marge est là pour apprécier, le grand saut. Comme dans d’autres activités en milieu naturel incertain (plongée, parapente) la mission du professeur est de vous accompagner vers l’autonomie. Le guide devient passeur de compétences et n’est plus ce traîne monchus comme aiment à le réduire les non médaillés. Accompagnateur… c’est encore plus joli mais c’est déjà pris par l’étage du dessous.
ALORS BON MONT BLANC !
On a envie de vous dire que ce sommet est magnifique, tous ses itinéraires esthétiques, variés et techniquement intéressants. On a envie de vous dire que ce sera une expérience merveilleuse, unique et inaltérable. Mais si on vous a – et heureusement – laissé libres de choisir le mode d’ascension, quelle drôle d’idée ce serait de vous imposer l’émotion à y trouver et le souvenir à en ramener. On vous encourage simplement à oser vivre votre mont-Blanc.