Montagnes

BIBLIO COLLECTOR : LES PAROIS DU DESTIN

- Par Jean-Louis Laroche

Voilà bien longtemps que Jean-Mi écrit. Dès le départ, sa plume était là. Certes, le journalism­e permet de peaufiner au jour le jour la capacité à produire de la bonne copie, mais chez lui, c’est un peu bluffant. Rappelons qu’il a marqué de son empreinte les rédactions des trois périodique­s consacrés à la montagne, la grimpe et le ski, pendant un paquet de… décennies. Bien sûr il manie avec autant de talent l’attirail alpinisto grimpeur que le calame et sait aussi causer dans le poste, qu’il soit de radio ou de télé. La classe… On l’a également vu apposer sa trace sur les montagnes de la terre entière, avec une prédilecti­on pour l’Everest, qui n’a pas été très courtois avec lui. Cinq veto, dont un, si je me rappelle bien, à cinquante mètres en dénivelé du sommet ! Renoncer pour vivre est un exploit remarquabl­e. Son petit tour du côté du roman donne la mesure d’un homme amoureux de la vie, et de celles qui la donnent. Voyez Nil, sauve-toi. Et il est toujours là, avec ce regard myosotis de gamin qui vient de faire un bon coup…

SAGA MONTAGNA…

Les parois du destin présente onze récits d’aventures vécues, dont le thème central nous est présenté dans la préface « Une idée très simple sert de fil conducteur… Une passion peut entraîner la mort ». Le propos pourrait paraître racoleur, mais il n’en est rien. Un peu plus loin, l’auteur précise : « On se trouve là, immensémen­t petit, dans la démesure de la tempête, du froid, de la peur, et pourtant quelque chose brille qui n’est autre que l’amour de la vie et nous projette vers cette sensation d’exister enfin, d’exister jusqu’au vertige de l’éternité. » Quel bonheur de lecture ! Ce sont d’abord des hommes qui sont racontés par l’un d’entre eux qui sait de quoi il parle. Bataille aux Courtes est en effet le récit autobiogra­phique d’un drame fondateur pour le reste de son existence. Le mort a vite fait de saisir le vif et il faut réagir. Le sommaire regroupe des épisodes relatés dans divers ouvrages par les acteurs euxmêmes, mais j usque-là dispersés. Les regrouper permet d’en souligner la cohérence : on a toujours besoin de modèles. Les protagonis­tes sont costauds et les objectifs sont à la mesure de leur ambition. La brochette de noms prestigieu­x donne l e ton et l eur confrontat­ion avec les parois les plus difficiles du moment i ncite à tourner les pages. Chaque situation est d’abord une quête du bonheur d’aller en montagne, de se confronter aux difficulté­s, de relever un défi, d’aller parfois plus loin que les limites de la raison.

L’ART DE LA NARRATION

« Mayer et Nothdurft enfourchen­t la vieille Puch 250cm3 et filent à Alpinglen », peuton lire dans Enquête dans la face nord de l’Eiger. On se croirait dans un biopic de Lawrence d’Arabie, avec une BO signée Barbara. On est sur les chemins cahoteux, et l’on connaîtra le sort des motocyclis­tes en fin d’épisode, « Dans un des sacs à dos on découvre un carnet bleu… » Les derniers pas de Mallory sont le prétexte pour raconter l’himalayism­e balbutiant. Rappeler d’où vient le rationnel Everest, au lieu du poétique Chomolungm­a, signifier l’esprit de Mallory « perfect weather for the job », laisser planer le doute sur la réussite du sommet, sachant que depuis la rédaction de ce livre, le corps de l’alpiniste britanniqu­e a été retrouvé conservé par le froid, à 8 290 m, en 1999. Mais le suspense est bien entre-

RENONCER POUR VIVRE EST UN EXPLOIT REMARQUABL­E

tenu par Jean-Mi : le boulot d’abord. Terray dit quelque part de Lachenal : « Le salaud, il a tout réussi, même sa mort ! » et Jean-Mi prend des accents à la Bashung : « On le verra radieux au sommet du Chacraraju », un peu comme dans le Vercors, sauter à l’élastique… Rien que les noms, ça vous file le tournis… Un petit tour au pilier du Frêney ? « Il est cinq heures et la peur est désormais présente. Sur les deux petites terrasses de bivouac, on n’ose plus rien se dire. La foudre les bat comme de vulgaires épouvantai­ls. » Et si vous vous prenez trop le chou à propos de ce que vous allez chercher là-haut, lisez Asselin à la veille de la nord des Courtes, dans le dortoir d’Argentière : « Sous les couverture­s, le silence très pesant, je me demande ce que je vais faire là-bas. Aller voir, aller chercher la réponse en accompliss­ant la question… »

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Les parois du destin, Éditions Glénat, 1993, 206 pages.

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