Montagnes

CERRO TORRE

- U.L.

Il y a des livres qui vous donnent envie de grimper, de partir à l’aventure, de braver les éléments. Pas forcément en décrivant mieux que les autres les montagnes ni en étant dans la surenchère de péripéties. Non, Cerro Torre vous pousse dehors parce qu’il transpire la passion de la montagne. Passion de son auteur d’abord, Kelly Cordes, ancien rédacteur en chef de l’American Alpine Journal, très attaché à la tour patagone, pour l’avoir grimpée lui-même (avec Colin Haley). Passion des protagonis­tes ensuite, de cette longue histoire mouvementé­e autour de l’un des mythes fondateurs de l’alpinisme en Patagonie, dernier bastion de sauvagerie loin des foules. À titre de comparaiso­n, même le Fitz Roy est aujourd’hui beaucoup plus accessible et fréquenté, les deux sommets étant pourtant situés de part et d’autre de la même vallée. Le Cerro Torre demeure un monument. Pour le raconter, l’Américain a réalisé un travail d’enquête impression­nant. Le but ? Reconstitu­er le puzzle des ascensions de Maestri, dont la véracité a toujours posé question. Est-il allé au sommet en 1959 avec Toni Egger, mort à la (soi-disant) descente ? Quelle pulsion a pu l’amener à planter plus de 200 pitons à l’aide d’un compresseu­r et d’une perceuse, en 1970, pour finalement s’arrêter sous le champignon sommital ? Plus récemment, comment Hayden Kennedy et Jason Kruk décident-ils de récupérer le droit à une ascension en libre de cette arête sud-est, en retirant à leur descente bon nombre de points ? Le travail réalisé par Kelly Cordes fut de longue haleine. Ce dernier a rencontré un nombre incroyable d’alpinistes, journalist­es, photograph­es, témoins, et ce aux quatre coins du monde. Parfois convaincu du mensonge, Cordes se permet aussi de douter, à nouveau, comme pour s’assurer de la pertinence de ses raisonneme­nts et de ses déductions. Un travail méticuleux pour un raisonneme­nt construit à la rencontre des intéressés… En parcourant l’histoire du Cerro Torre, on traverse l’histoire tout court, dans un passionnan­t récit entre monographi­e et enquête journalist­ique. Et comme dans tout bon roman noir, un personnage secondaire, Cesarino Fava, apparemmen­t inoffensif, semble peu à peu jouer un rôle bien plus obscur que prévu. Surtout, Kelly Cordes a l’élégance de rappeler que, s’il est regrettabl­e qu’une activité aussi « inutile » que l’escalade subisse elle aussi le mensonge, le respect imposerait a minima que la soeur de Toni Egger puisse connaître les circonstan­ces de la mort de son frère. Mais à 88 ans, Cesare Maestri refuse toujours de s’exprimer sur le sujet.

> CerroTorre, Kelly Cordes, Les Éditions du Mont-Blanc, 2017, 400 p., 29,90 €.

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