UELI STECK EST MORT EN HIMALAYA
Il y a des nouvelles qui ont forcément traversé l’esprit de tout alpiniste, de tout journaliste. De ces craintes qui vous effleurent puis s’échappent rapidement, poussés que l’on est par la volonté de ne pas y penser, de ne pas y croire, de ne pas porter la poisse. La mort de Ueli Steck en faisait partie. Comme si Tabarly disparaissait subitement en mer. Et pourtant tout arrive.
Dimanche 30 avril 2017, un alpiniste est décédé et c’est à sa famille et ses proches que nous pensons avant tout. Comme c’est le cas à chaque fois que le petit monde des montagnards perd l’un de ses membres. Bon nombre d’alpinistes trouvaient en Ueli Steck une source d’inspiration profonde et sincère.
CHUTE AU NUPTSE
C’est le quotidien népalais anglophone Himalayan Times qui a le premier transmis l’information en milieu de journée, rapidement confirmée par Alan Arnette, alpiniste spécialisé dans le relais d’informations en provenance de l’Everest. Ueli Steck était au Népal pour tenter l’enchaînement Everest-Lhotse, via le couloir Hornbein. Il était accompagné de Tenzing Tenji Sherpa pour cette tentative. Depuis un peu plus d’une semaine au camp 2, (6 450 m) le Suisse s’adonnait à une acclimatation active. Il avait déjà atteint l’arête ouest (7 250 m) en reconnaissance et ne cachait pas son plaisir et son excellente forme physique via son compte Facebook.
L’ACCIDENT
Ueli envisageait ensuite de monter au col sud de l’Everest (7 904 m) pour s’acclimater, alors que Tenzing Tenji Sherpa était rentré à Katmandou pour soigner ses gelures aux mains, sans grand espoir de rétablissement rapide lui permettant de continuer
le projet avec Steck. Mais ce 29 avril, les prévisions météo pour le lendemain étaient très bonnes et le Suisse décida finalement de tenter le Nuptse, pour lequel il avait un permis. Il a donc quitté le camp 2 de l’Everest (6 450m) vers 4 h 30 du matin en compagnie de Yannick Graziani. Le Français était lui aussi en phase d’acclimatation pour son projet d’Everest sans oxygène par la voie normale népalaise, avec Ferran Latorre et Hanz Wenzl. N’ayant pas le permis pour le Nuptse, Yannick Graziani a seulement effectué la marche d’approche avec le Suisse, avant de rejoindre le camp 3 de l’Everest. Ueli Steck a continué, seul, sur le Nuptse.
VERS 7 600 M…
Vers 9 h 30, il a chuté à 7 600 m sur près de 1 000 m de dénivelé. Des témoins cités par Alan Arnette affirment avoir vu un alpiniste chuter, seul, sur les pentes du Nuptse. Les raisons de sa chute restent inconnues à l’heure où nous bouclons ce numéro. Tout comme l’endroit exact où son corps a été retrouvé. Les premières informations indiquaient le pied de la face ouest, même si la face nord, donnant sur la combe ouest de l’Everest semble plus plausible. C’est le pilote d’hélicoptère italien Maurizio Folini qui a retrouvé le corps vers 6 600 m. L’identité des témoins et les circonstances dans lesquelles ils ont vu chuter Ueli Steck ne sont pas précisées pour l’instant. Avalanche, chute de sérac ou de blocs, glissade, leur témoignage pourrait potentiellement apporter des précisions sur la cause de la chute.
BON NOMBRE D’ALPINISTES TROUVAIENT EN UELI STECK UNE SOURCE D’INSPIRATION PROFONDE ET SINCÈRE
AU SOMMET
Ueli Steck était l’un des plus brillants représentants du club fermé des alpinistes de haut niveau. Du plus haut niveau sans doute. Depuis une quinzaine d’années, il repoussait sans cesse les limites des difficultés techniques, de la vitesse et de l’endurance à haute altitude. Rapide et léger, Steck avait fait du « fast & light » sa marque de fabrique. Rocher, glace, mixte et plus récemment trail : Steck excellait partout. Si c’est dans son jardin de l’Eiger qu’il fourbissait ses armes, avec notamment le record de vitesse d’ascension de sa face nord, ainsi que dans les Alpes en général, c’est en Himalaya que Ueli a rapidement décidé de tracer ses routes. Pumori, Tengkampoche, Cholatse, Tawoche, Shishapangma, Annapurna, Nuptse, Everest, autant de sommets qui auront été marqués par ses pas ou ses foulées. À l’été 2015, l’alpiniste de Grindelwald avalait les 82 sommets de plus de 4 000 m des Alpes en 62 jours, sourire aux lèvres. Une manière de retrouver une certaine forme de simplicité après une altercation violente avec des Sherpas au camp 2 de l’Everest en 2013, qui l’avait profondément marqué.
CONTRAINTES DU PROFESSIONNEL
Passionné mais aussi très au clair dans ses projets de vie et de carrière, il était l’un des rares alpinistes (le seul ?) à vivre de son activité de haut niveau, ce qui le rendait aussi plus redevable en termes de preuves de ses ascensions, de ses chronos, des itinéraires empruntés. Mais du jamais vu au jamais cru, il n’y a qu’un pas. Surtout lorsque la négligence d’un alpiniste professionnel revenu sans preuve laisse certains y voir de la désinvolture ou, pire, du mensonge. Ueli Steck a toujours suscité un mélange d’admiration et d’incrédulité. Célébré par la majorité de ses pairs, considéré comme un modèle par bon nombre de jeunes loups, le Suisse a toujours été sujet aux critiques, proférées le plus souvent très timidement, à voix basse, par des observateurs sceptiques. Récemment, la rumeur s’était muée en grondement. Chacun se fera sa propre opinion sur la véracité de ses performances.
STECK ÉTAIT TOUT SAUF UNE MACHINE
Son humilité et son accessibilité auprès du public n’étaient plus à démontrer. Ses livres témoignent bien plus de sa personnalité et de ses faiblesses que la simple énumération de son palmarès. Un événement tragique le rappelle mieux que n’importe quel record : la tentative de sauvetage d’Iñaki Ochoa en 2008 et le décès de ce dernier, toujours dans cette face sud de l’Annapurna (avec Simon Anthamatten) pour une nouvelle tentative avortée (Steck avait lourdement chuté l’année précédente, ce qui mit un terme à sa tentative). Steck veilla sur l’Espagnol à 7 400 m, dans le mauvais temps, jusqu’à son dernier souffle. Tous ceux qui ont eu la chance d’entendre Ueli se souviendront de son sympathique accent suisse, tranchant radicalement avec la vertigineuse teneur de ses propos lorsqu’il parlait de ses projets. Un soir de 2013, un mois après l’Annapurna, accoudé en très petit comité, bière en main, vint la question des preuves de l’exploit annoncé, comme ça, entre nous pour commencer. Tranquillement, avec son éternel sourire en coin, Ueli répondit droit dans les yeux qu’il n’avait que faire de ceux qui ne le croyaient pas. Il aura eu le fin mot de l’histoire, emportant avec lui tout dénouement au débat. Comme une ultime prise de vitesse de ses contradicteurs mais aussi et surtout de ses admirateurs et amis qui auraient aimé voir encore les montagnes à travers ses aventures.