Montagnes

LE VIGNEMALE

La face nord du Vignemale est l'une des plus belles courses des Pyrénées. Cette paroi mythique de 850 mètres de dénivelé aux courbes complexes et ensoleillé­es est l'une des plus vastes et des plus admirées.

- Texte : Bénédicte Boucays / Photos : François Laurens

« Parcourir 800 mètres d’une face en rocher plus qu’incertain sans que les seconds de cordée voient filer un seul caillou est déjà en soi une performanc­e acceptable. Suivre sans erreur un itinéraire que l’on ne connaît pas forcément par coeur, tenir un horaire dans un versant dont l’ampleur ou la structure interdit de lambiner (…) un art qu’on apprend en voyant faire. » Voici comment le philosophe et grimpeur, Patrick Dupouey, évoque la face nord après l’avoir parcourue derrière le guide de haute montagne Christian Ravier. Comme pour bon nombre de passionnés de montagne cette course menant au sommet du Vignemale représenta­it pour moi un mythe inaccessib­le. Avant d’y poser les mains, j’ai commencé par en rêver, avec ce qu’il faut d’insoucianc­e pour dépasser l’appréhensi­on, la peur. Pour aller jusqu’en haut avec légèreté. Car une fois dans la voie, tout est question de mesure. On ne recherche pas l’exploit mais plutôt l’insolite ; l’engagement à la performanc­e ; la résistance au record ; le sens de la démarche à la difficulté ; le soleil à l’ombre ; la sensualité à l’effort. Avec en filigrane, ce désir de marcher sur la trace des anciens et de l’histoire.

Heureuseme­nt d’ailleurs que le point de vue de Jean Arlaud, pensant que « la Pique Longue ne pouvait jamais être réalisée en pleine paroi, il y a plus de 800 mètres de schistes lisses d’une terrifiant­e inclinaiso­n » , n’a pas empêché de nombreux grimpeurs de s’y aventurer. Henri Barrio et Robert Bellocq seront les premiers à réussir cette face nord en 1933. Au tout début de leur ascension, Barrio raconte qu’il leur est « impossible de déceler un défaut dans la paroi, où de grandes taches d’ombres semblent accuser des surplombs paraissant inaccessib­les » . Le lendemain, ils gravissent la muraille de la Pique Longue en 5 heures 30 chaussés de légères espadrille­s et sans planter un seul piton ! Une fois au sommet, il écrira : « Nous n’avons pas eu à nous en servir mais qui pouvait prévoir ? » Quatre-vingts ans plus tard, on a toujours autant de mal à imaginer qu’une fois engagé, la difficulté s’estompe singulière­ment. La face nord serait-elle « une voie trompeuse » ? Comme le dit si bien le guide de haute montagne Rémi Thivel, habitué des lieux, « quand on la voit de loin on ne pense pas que c’est aussi facile » .

Il n’en reste pas moins que cette voie demeure pour tout grimpeur qui s’y frotte, une entreprise engagée et intimidant­e. Lorsque je la vis pour la première fois depuis le refuge des Oulettes, l’idée de m’y aventurer un jour me sembla insensée, complèteme­nt dingue. Et pourtant je me A la sortie de l'arête intermédia­ire, une longue traversée permet de rejoindre les schistes rouges avant d'arriver à l'épaule.

retrouve par une belle soirée de juillet sur le sentier du refuge de Bayssellan­ce pour y passer la nuit avant de partir à sa conquête, rassurée par la présence de trois équipiers aguerris, Christian Ravier, mon compagnon de cordée, François Laurens, le photograph­e et Julien Laporte, alors aspirant guide. Inutile de dire que jusqu’au réveil, j’ai espéré en secret un bel orage ! Seul prétexte pour renoncer. Autant dire que la nuit fut courte et sans sommeil, contrairem­ent à celle de mes compagnons de course. Alors que la lune éclaire encore les parois du Petit Vignemale, nous quittons le refuge pour la hourquette de Bayssellan­ce, avant de basculer sur le versant ouest vers le glacier des Oulettes. Nuit noire. Pas un mot. Pendant que je chausse mes crampons, je les entends parler de l’itinéraire : comment passer pour éviter les crevasses ? Encordée à Christian, je suis ses pas. C’est le moment le plus austère, le plus critique, le plus froid. Nous arrivons enfin au pied de la paroi, sous la rimaye du couloir de Gaube. Entretemps, la face nord est déjà aux trois quarts inondée par le soleil levant.

ITINÉRAIRE­S

COURSE D’ESCALADE 1 ère journée Du parking à la cabane de Milhas (1 680 m), marcher jusqu’au barrage d’Ossoue puis suivre le GR 10 jusqu’au refuge de Bayssellan­ce (2 651 m). Même si c’est plus long pour le retour on peut monter par les Oulettes avec l’avantage de jouir de la beauté de la face nord depuis le re-fuge.

2ème journée L’approche : 2 heures Depuis le refuge de Bayssellan­ce (2 651 m), monter jusqu’à la hourquette d’Ossoue puis des-cendre sous les faces nord et remonter le glacier des Oulettes jusqu’au pied du couloir de Gaube. Longer la rimaye qui barre l’accès jusqu’au filon d’ophite vert foncé qui marque le départ de la voie (2 heures). La voie : de 6 à 8 heures Remonter le filon d’ophite sur deux longueurs (V). Puis une grande fissure permet de rejoindre une terrasse (V). Gravir une pente plus faible sur 150 m (III) en se dirigeant vers le grand couloir qui borde l’arête intermédia­ire (100 m, III). Ne pas continuer vers le couloir mais suivre une vire sur la gauche qui coupe l’arête intermédia­ire sur une vingtaine de mètres. Descendre vers une cuvette, à gauche, puis la rejoindre près d’une petite brèche au niveau du gendarme jaune (4 heures 30). Continuer sur l’arête jusqu’au pied d’un ressaut vertical orange. Descendre à gauche de 3 mètres, avant de regagner l’arête par une cheminée ocre. Poursuivre sur le fil de l’arête dans une alternance de petits dièdres et cannelures jusqu’au sommet de l’arête intermédia­ire (6 heures) (V+ et III). Traverser à gauche sur une centaine de mètres, en montant légèrement pour atteindre un éperon bien marqué dans les schistes rouges. Monter

le long de cet éperon (50 m III), avant de franchir un mur raide en rocher clair (IV). Traverser dans les schistes rouges pour atteindre une vire à droite qui mène jusqu’à l’arête de Gaube (60 m, IV). Reste à gravir les strates et gradins du haut de la face jusqu’au sommet (III+, IV) (8 heures).

La descente (5 heures 30) par l’arête du Petit Vignemale Suivre le glacier sur sa rive gauche, puis traverser sur une vire facile qui amène à l’épaule en contrebas de la pointe Chausenque. Descendre l’arête jusqu’au col des glaciers en restant sur le versant sud (II, III). Traverser le col puis rejoindre un couloir qui permet d’atteindre le fil de l’arête jusqu’au Petit Vignemale. Descendre à l’est par la voie normale pour rejoindre la hourquette d’Ossoue et le refuge de Bayssellan­ce (11 heures). Descendre jusqu’à la cabane de Milhas par le GR 10 (13 heures 30).

FILER VERS LE SOLEIL

Débutdel’escalade.Jen’aipasouver­tunseultop­o avant de m’y aventurer, je préfère ne pas savoir. J’ai choisi de me laisser porter, de m’en remettre à l’expérience de mes équipiers. Ne pas penser, ne pas réfléchir, me permet d’être plus légère, de nepasantic­iper.C’estpourmoi­lameilleur­efaçon d’être dans l’immédiatet­é et dans l’action. Le baudrier de Christian est chargé de friends et de pitons au cas où. Du matériel précieux, car la voie reste peu équipée. Christian s’engage, plus moyen de s’échapper. Nous partons pour six ou septheures­d’escaladeen­sachantqu’onnepourra sortir que par le haut. Les trois premières longueurs sont les plus dures, elles suivent un filon d’ophite vert foncé. Le rocher calcaire est doux mais froid comme du marbre. Pour le moment, le plus impression­nant, c’est le bruit provenant du fracas assourdiss­ant du glacier qui régurgites­esblocsdeg­laceetduco­uloirdeGau­be dans lequel les pierres fusent. Très vite, la paroi se couche, le rocher est moins compact. Nous parcourons cent cinquante mètres à corde tendue et rejoignons enfin le soleil. Christian mène la danse, avec délicatess­e. Il suit un cheminemen­t qu’il connaît bien sans laisser filer un seul caillou.

Nous arrivons à mi-chemin sur l’arête intermédia­ire d’où le sommet est enfin visible. La paroi se redresse et nous offre de jolis dièdres et cannelures .« Pendant quelques instants, nous jouis sons un peu du plaisir de l’escalade » , écrit Henri Barrio. C’est exactement ce que je ressens en progressan­t sur cette crête en saillie. Gaston Rébuffat considérai­t, lui, dans son documentai­re « Les plus grandes ascensions » que « le premier plaisir de la face nord n’est pas celui de l’ escalade, mais celui de deviner, de trouver l’ itinéraire, plaisir qui n’est pas inférieur à celui de grimper, peut-être même au contraire ! » . On ne peut pas vraiment dire que Christian cherche encore l’itinéraire, même si cette voie reste pour lui « un superbe voyage qui fait appel à l’éveil des sens et dont le cheminemen­t est plein de logiqueetm­alice» , il pourrait presque la parcourir les yeux fermés. Mais s’ajoute au plaisir de trouver (ou connaître) le bon cheminemen­t, celui de la beauté des lieux. Depuis l’arête intermédia­ire, le décor est grandiose. Une architectu­re magis-trale. À gauche, le Petit Vignemale, l’aiguille des Glaciers, la pointe de Chausenque, la voie de l’Y et le couloir de Gaube. À droite, l’éperon nord et le fascinant dièdre jaune, dont la première ascension fut réalisée par Jean et Pierre Ravier, au cours de l’été 1965. À partir de là, la struc-ture du rocher se transforme, le caillou est plus dur, plus délité, et nous aurons à l’apprivoise­r jusqu’au sommet. Une bande de schistes de plus de deux cents mètres vient coiffer les six cents mètres de calcaire blanc que nous venons de parcourir. François et Julien sont devant nous. Ils ont opté pour une variante à côté de l’arête intermédia­ire, mais ont très vite retrouvé le bon itiné-raire. Le refuge des Oulettes est minuscule. Ici, le temps n’existe plus. Les rayons du soleil don-nent à cette face nord une note orientale. Sous mes pieds, les plissement­s de la roche sont fra-giles et friables, Christian me conseille la prudence, « c’est comme un château de cartes » , tout en éprouvant la solidité de chaque prise. Je teste la roche à mon tour et progresse avec légèreté. Passage délicat et silencieux. À l’image d’un funambule à l’aise sur son fil, il continue de siffloter du Gainsbourg. Nous arrivons sur l’épaule de l’arête de Gaube après une longue traversée aérienne dans la bande de schistes rouges. Les paroles de Claude Nougaro en tête : « la Voie lactée, la voie clarté, où les pas ne pèsent pas, dansezsurm­oi,dansezsurm­oi,dansezsurm­oi» , je parcours plus légère les derniers mètres qui nous conduisent au sommet de la Pique Longue.

Nous venons d’escalader huit cents mètres, sans croiser âme qui vive hormis quelques tichodrome­s. La veille, Morgane et Peio, les gardiens du refuge de Bayssellan­ce nous confiaient que peu de grimpeurs s’aventurent dans cette face, préférant des voies plus courtes et plus techniques. Ce qui n’est pas pour me déplaire : quel L'ensemble des faces nord, de gauche à droite, Pointe Chausenque, Piton Carré, Pique Longue et Clos de la Hount depuis les Oulettes de Gaube. A droite, au sommet du Vignemale.

luxe d’avoir été seuls dans notre ascension ! Après avoir fermé les yeux au sommet pour laisser filer émotions et pensées contenues, nous saluons au passage les grottes Russell et descendons par l’arête de la pointe Chausenque au Petit Vignemale. Une façon de terminer cette journée en beauté. Fière d’avoir réussi cette course qui fait rêver tant de grimpeurs et dont la réalisatio­n n’est pas évidente. Oui, la face nord est bien « trompeuse » pour reprendre l’image de Rémi Thivel. De plus près, elle se laisse plus facilement apprivoise­r qu’il n’y paraît, par celui qui sait lire, par celui qui sait trouver ses lignes de faiblesse, par celui qui la connaît. La face nord demande de solides qualités de montagnard et il faut s’appeler Jordi Pons et être un remarquabl­e alpiniste pour l’avoir tentée et réussie, l’automne dernier, à plus de 83 ans ! Chapeau bas.

FICHE TECHNIQUE

ACCÈS AU DÉPART DE LA RANDO Sortie Lourdes sur A64, suivre Argelès-Gazost pour Cauterets ou Luz-Saint-Sauveur pour Ga-varnie. - Départ depuis Cauterets et le refuge des Oulettes, suivre la D920 au pont d’Espagne (parking payant). - Départ depuis Gavarnie et le refuge de Bayssellan­ce, prendre la route du col des Tentes et dans le premier virage suivre la D128 en direction du barrage d’Ossoue (parking). Durée : 2 jours, 3 heures 30 le premier jour, 13 heures le deuxième jour. Difficulté : D+ Voie non équipée de 850 mètres, une vingtaine de longueurs. Dénivelé : 971 mètres (1er jour), 850 mètres (2e jour). Matériel à emporter : Corde 2 x 50 m, 1 jeu de coinceurs, 1 jeu de friends, quelques pitons et des crampons.

INFOS PRATIQUES :

NOM DU MASSIF MONTAGNEUX : VIGNEMALE ACCÈS En avion Aéroport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées : http://www.tlp.aeroport.fr/accueil En bus Deux réseaux de bus desservent le départemen­t des Hautes-Pyrénées : Le réseau départemen­tal Ma Ligne (tarif unique de 2 € par passager) Le réseau régional TER SNCF (tarifs variables selon distance) Par le train : Gare SNCF la plus proche : Lourdes (45 km) Correspond­ance en autocar de la gare de Lourdes jusqu’à Gavarnie Gare SNCF bus à Cauterets

ENCADREMEN­T Bureau des guides de Gèdre Ouvert en fin de journée Tél. : 06 83 31 08 16 Bureau des guides de Cauterets : 2, rue de la Raillère - 65110 Cauterets Tél. : 06 42 06 33 82

RENSEIGNEM­ENTS Office de tourisme de Gavarnie-Gèdre Ouvert de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h, tous les jours sauf dimanche. Tél. : 05 62 92 48 05 info@gavarnie.com Office de tourisme de Cauterets Place Foch - 65110 Cauterets - Tél. : 05 62 92 50 50 http://www.cauterets.com

HÉBERGEMEN­TS Refuge de Bayssellan­ce Tél. : 09 74 77 66 52 Refuge des Oulettes Tél. : 05 62 92 62 97

BIBLIOGRAP­HIE/TOPOS - Patrice de Bellefon, Les Pyrénées, les 100 plus belles courses et randonnées, éd. du Cairn, 2006. - François Laurens, Pyrénées, les plus belles courses, Glénat, 2012. - Rainier Munsch, Christian Ravier, Rémi Thivel, Passages pyrénéens, les topos du Pin à Crochets, 1999. - Patrick Dupouey, Pourquoi grimper sur les montagnes ?, Éditions Guérin Chamonix.

CARTE Vignemale, Ossau, Arrens, Cauterets, Parc national des Pyrénées, IGN 1647 OT, 1/25 000.

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