L’ARRÊTE PASSET
L’arête Passet est une course classique située en plein coeur du cirque de Gavarnie. Un parcours aérien sur le fil de l’arête et sur le calcaire gréseux de ce paysage éloigné du monde. Récit d’une journée particulière, à contretemps.
J’aime ces voies classiques et éloignées. Ces itinéraires plus difficiles et intéressants que les voies dites normales, si l’on se réfère à la définition de cette expression entrée dans le dictionnaire. L’arête Passet appartient à ce monde, à ces voies ouvertes au siècle dernier, immuable, racée, engagée, oubliée et sauvage. À contretemps. Loin de tout. Résonnant comme l’éloge d’un temps perdu. « L’arête Passet est l’itinéraire le plus classique du Marboré. De difficulté moyenne, c’est une course harmonieuse et complète : elle conduit à un beau et haut sommet, sa marche d’approche est pittoresque, son escalade intéressante » , écrit Patrice de Bellefon dans son inventaire des plus belles courses des Pyrénées. Peu convoitée aujourd’hui, il faut être un peu esthète et rêveur pour s’aventurer sur ce fil aérien. Dans Passages pyrénéens, cet « arc-boutant érigé au milieu du massif » avait même été oublié tant il est discret. « À quelques heures du dénouement de ce marathon descriptif où dalles, surplombs, couloirs et autres obstacles se superposent, nous nous sommes rendu compte qu’oublier l’arête Passet érigée au coeur d’un massif-sanctuaire du pyrénéisme était une faute de goût. La présence d’un numéro bis efface tous nos regrets. » Oui, oublier cette belle arête veillant sur les à-pics du cirque et délimitant la rive droite du glacier de la Cascade aurait frisé la faute de goût dans ce topo dont le choix de courses se veut exigeant et esthétique. Oui, l’arête Passet marque par sa singularité, par la beauté des paysages traversés, par la couleur de son rocher, blanc, gris et ocre, par la vue imprenable sur Gavarnie depuis le fil de son éperon, par sa situation au coeur de l’amphithéâtre et par le plaisir de pouvoir marcher sur les pas des anciens, sur ceux qui ont écrit les premières pages de l’histoire de ce massif majestueux.
À commencer par Célestin Passet. Qui n’a jamais entendu parler de cette famille de guides dans les Pyrénées et même dans les Alpes ? Au cours d’une grande partie du XIXe siècle, le métier de guide dans la famille Passet de Gavarnie est l’unique voie à suivre. Laurent, Hippolyte, Henri et Célestin marquent chacun, à leur façon, l’histoire du pyrénéisme. Mais celui qui accomplit les exploits les plus incroyables et qui acquiert une réputation au-delà des frontières de la chaîne, c’est Célestin, fils aîné d’Hippolyte. Il est le premier à escalader la Meije avec Pierre Gaspard, dans la journée, et à réaliser la quatrième ascension des Drus. Mais son exploit le plus retentissant de-meure la première du couloir de Gaube au Vignemale en 1889 où il taille à la hache un escalier de 1 300 marches ! La première ascension du Marboré par cette crête est réalisée par Henri Brulle et son fils avec Célestin Passet le 21 août 1907. Mais il semblerait, comme l’indique Brulle dans le récit de cette première, qu’ils aient emprunté la large corniche sur le versant nord, c’est-à-dire le boulevard Passet et le couloir d’Angle pour y arriver. C’est donc un peu plus tard, en 1938 que la course sur le fil de l’arête sera réalisée par Robert Chevalier, Jean et Robert Mailly.
La marche d’approche est tout aussi singulière. Longue, très longue. Bien choisir son chemin d’accès pour rejoindre la brèche Passet où débute l’escalade requiert de l’attention. Nous hésitons entre le versant espagnol et la traversée horizontale sur une succession de vires au milieu du cirque de Gavarnie, juste à la base du troisième gradin. La plus belle des façons de rejoindre le pied de l’arête selon François Laurens, mon complice et compagnon de cordée. Mais sur les conseils avisés de Lionel, le gardien du refuge des Sarradets, considérant que le passage est trop dangereux lorsqu’il vient de neiger, nous optons finalement pour le versant espagnol par la brèche de Roland. Début du voyage. Nous aurions préféré rester dans le cirque et nous sentir plus vite dans l’ambiance ; mais la longue marche pour atteindre le col de la Cascade où nous bivouaquerons le soir se révèle sublime. Nous commençons par longer l’envers du cirque, passons au-dessus du col des Isards et sur le versant sud du Casque et de la Tour, marchons sur la crête frontalière, escaladons des passages délicats, descendons dans des pierriers bicolores, évitons les puits et dolines — le rocher calcaire est un véritable gruyère — admirons les murailles d’Ordesa, l’empilement du Descargador, l’intrigante Pena Montanesa et la vallée d’Anisclo avec les Sestralles en arrière-plan de ce long poème géologique. Arrivés au col de la Cascade, nous installons le bivouac et profitons des derniers rayons du soleil sur le Casque du Marboré et le mont Perdu qui semblent tout près. Me reviennent alors à l’esprit ces récits de sensations si particulières, que provoquent ces nuits en montagne, à plus de 3 000 mètres d’altitude, comme celui d’Alphonse Lequeutre, sur la cime du Maucapéra, dans Les petites heures du pyrénéisme : « J’étais abrité du vent qui gémissait, et fumant une cigarette lorsque le frisson me prenait, je passai la nuit, sans dormir, il est vrai, la roche se chargeant de me rappeler la réalité, mais en somme sans souffrir. La nuit était si belle qu’il y avait réellement plaisir à se sentir seul, tout seul à l’admirer. » Au petit matin, nos deux duvets sont recouverts de givre, et même si nous avons compté les étoiles une bonne partie de la nuit, nous sommes restés au chaud dans nos sacs de couchage en plume d’oie ! Un luxe qui nous permet de repartir en forme vers le glacier de la Cascade. À partir de là, les sensations et les images reviennent par bribes : la pente gelée et le bout de corde fixé à un rocher sur lequel nous avons installé un rappel pour gagner quelques mètres ; l’attention particulière pour ne pas glisser et se retrouver en bas, la peur, le temps infini avant de rejoindre la brèche Passet, le sentiment d’être minuscule et perdu dans cette immensité, dans ces innombrables plis et éboulis,
CAHIER PRATIQUE : Itinéraires
Course de montagne et d’escalade 1re journée Du parking du col des Tentes, suivre dans un premier temps la route goudronnée désaffectée jusqu’au port de Boucharo (direction sud-ouest). Du col, partir plein est en suivant le chemin sous la face nord du Taillon jusqu’au col des Sarradets ; attention au passage de la cascade (terrain glissant, mais présence de chaînes). Rejoindre ensuite le refuge des Sarradets (1 heure 30). Monter à la brèche de Roland, traverser versant espagnol jusqu’au col de la Cascade (5 heures). Pour l’approche, il existe deux autres solutions : - Du refuge des Sarradets, partir à flanc vers l’est sur des éboulis, puis traverser une barre rocheuse jaune par des vires cairnées. Toujours à l’horizontale, gagner la base gauche de la face nord de la Tour par des éboulis malcommodes. Viser ensuite la vire qui sépare la partie inférieure en rochers jaunes, de la supérieure en rochers gris, et la suivre pour traverser le cirque (très exposé). Remonter légèrement pour gagner une moraine sous le col de la cascade, puis traverser un cirque pour gagner le pied du couloir qui remonte à la brèche Passet (3 heures). - De la cabane de Pailla et des Rochers Blancs, gagner le glacier ouest du Marboré puis se diriger au sud pour remonter un couloir qui mène à la brèche Passet (4 heures). 2e journée Du col de la cascade, descendre dans le cirque en longeant l’Épaule, puis remonter par un couloir vers le pied de la brèche Passet (1 heure 30). L1 : de la brèche, traverser en descendant légèrement pour gagner la rive droite d’une large cheminée rouge, puis remonter droit en longeant cette rive jusqu’en haut de la cheminée (40 m, III). L2 : traverser à droite par des vires faciles avant de poursuivre vers le fil de la crête, jusqu’au pied d’un ressaut (40 m, II+). L3 : continuer par le fil, puis passer au sud pour remonter une cheminée. Remonter un mur et suivre facilement par la crête (50 m, III+). L4 : toujours sur l’arête (45 m, II). L5 : suivre la crête (40 m, III). L6 : suivre la crête pour arriver au pied d’un grand gendarme, sur une vire qui s’échappe sur le versant nord (40 m, II). L7 : ne pas continuer par la vire et ne pas se diriger vers des pitons en place, mais monter 5/6 mètres dans un dièdre, à droite, puis traverser horizontalement à droite sur des dalles claires, avant de descendre pour gagner une petite plateforme (20 m, III). L8 : passer versant sud, en tra-versant un mur raide, puis remonter une fissure oblique vers la droite pour retrouver la crête (45 m, IV). L9 : suivre l’arête jusqu’au pied d’un gendarme surplombant (50 m, II). L10 : descendre côté sud, traverser sur des vires, puis remonter jusqu’à la crête, au pied d’un couloir (45 m, III+). Poursuivre par ce couloir, suivre une large vire au sud, avant de regagner le fil de l’arête que l’on suit (II). Contourner par la droite un ressaut de rochers sombres et emprunter un couloir pour arriver sur un plateau à droite du sommet (4 heures 30). Du sommet descendre plein sud des pentes et un large vallon détritique qui permet de rejoindre, après avoir contourné par le sud-est, les pics de la Cascade. Suivre plein ouest les corniches du sud de la Tour ; un vallon mène au col des Isards, situé au sud du Casque, de là rejoindre le refuge des Sarradets et le parking du col des Tentes (8 heures 30).
MONTÉE DIRECTE DU CIRQUE
Il est possible de franchir les trois étages du cirque de Gavarnie par des voies de difficulté moyenne. Une expérience qui permet de visiter le cirque sur toute la hauteur. On emprunte la Classique du mur (AD/250 m) suivie du Grand Dièdre (D/200 m) et le troisième étage (D+/200 m). dans cet amphithéâtre où il est nécessaire de progresser avec légèreté. En arrivant à la brèche, je me souviens avoir pensé naïvement que nous en avions presque terminé. L’arête Pas-set sait se faire désirer, le sommet du Marboré aussi ! La marche d’approche aura été aussi longue que les heures que nous passerons désormais sur le fil de l’arête. Je me rends compte que notre isolement constitue le charme et le piquant de cette course classique, dans un éloignement où la résistance est de rigueur. Une fois sur l’arête, c’est une tout autre ambiance : il faut jouer avec la verticalité, avec le vide, oublier le poids du sac, s’élever, s’adapter sans cesse sur ce relief changeant, poser délicatement ses pieds et ses mains sur le rocher, trouver l’équilibre ; flirter avec l’air et le vent, devenir aussi aérien que les oiseaux dont on retrouve quelques plumes au relais, chercher parfois le passage pour contourner le fil du rasoir ou éviter une dalle prometteuse mais finalement infranchissable. Je me souviens avoir aimé ce dièdre inattendu et cet éperon qu’il a fallu passer sur la droite, sans grande difficulté, mais avec du gaz ! C’est à ce moment-là que le sentiment du vide est le plus fort et que la vue sur Gavarnie est à couper le souffle. Depuis ce belvédère, nous sommes aux premières loges pour admirer la face nord de la Tour, devenue aujourd’hui une classique mais qui « pouvait passer à l’époque pour une des plus redoutables des Pyrénées ; sa réalisation a marqué une étape importante de cette histoire dont Gavarnie a été le cadre » peut-on lire dans 60 ans de Pyrénéisme de Jean-François Labourie. Tout aussi étonnantes ces traces de fossiles dessinant de curieuses formes sur le rocher. Au relais, je me souviens avoir imaginé des histoires, inventé des paysages, un peu comme quand on cherche à donner aux nuages une figure humaine ou animale. Et puis je me souviens du brouillard qui est tombé tout d’un coup juste avant notre arrivée au sommet. « Sur ce plateau de cailloux et de neige, si grand, si uni, si ferme, que l’on pourrait s’y promener en voiture, à 3 253 mètres au-dessus du niveau de la mer ! C’est une espèce de Champ-de-Mars : 20 000 hommes y tiendraient dessus. » On ne peut pas dire que nous ayons vraiment eu le temps d’apprécier les observations de Henry Russel qui, lors de cette première en 1865, donna son nom au plus haut sommet de Gavarnie, Marboré désignant l’ensemble du cirque « massif de marbre ». Il nous fallait faire vite, l’orage n’était pas loin et la fin de journée avançait à grands pas. Après avoir mis de côté notre projet initial qui était de redescendre par les Rochers Blancs et la cabane de Pailla, nous optons pour le versant sud et ses paysages lunaires. Avec A day in the life des Beatles, en boucle, pour alléger cette longue descente jusqu’au refuge des Sarradets où, alors qu’il fait nuit, nous ne manquerons pas de lever notre verre à cette petite victoire comme l’écrit si bien Henri Ferbos dans Un fil d’Ariane, un livre confidentiel édité à compte d’auteur : « Nous grimpons entre ciel et terre par la cassure, la fissure, le défaut qui
donnent prise à la main et au trajet. Toute la prudence risquée sur la dureté des choses nous invente des joies dans l’entre-deux du vide et du plein, « interstice », défaut de la cuirasse du réel, lieu de manoeuvre et du compromis efficace. Là nous pouvons jouer quelques petites victoires très savoureuses. » Et à contretemps, méditer sur cette très belle leçon de pyrénéisme.
FICHE TECHNIQUE
Accès au départ de la rando : A64 sortie 12. À Lourdes, prendre la N21 jusqu’à Argelès-Gazost puis suivre la direction Gavarnie, via Luz-Saint-Sauveur et Gèdre (D921). Au village de Gavarnie prendre la direction de la station de ski puis s’arrêter au parking du col des Tentes.
Durée : 2 jours, entre 5 et 6 heures le premier, entre 8 et 10 heures le second. Difficulté : AD sup, approche longue et exposée si l’on traverse le cirque. Dénivelé : 400 m (1er jour), 800 m (2e jour). Matériel à emporter : corde de 50 m, quelques coinceurs et friends, anneaux de sangle, crampons et poulet en début de saison. Infos pratiques Nom du massif montagneux : Gavarnie
Accès En avion : Aéroport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées : http://www.tlp.aeroport.fr/accueil
En bus Deux réseaux de bus desservent le département des Hautes-Pyrénées : Le réseau départemental Ma Ligne (tarif unique de 2 € par passager) Le réseau régional TER SNCF (tarifs variables selon distance) Par le train : Gare SNCF la plus proche : Lourdes (45 km) Correspondance en autocar de la gare de Lourdes jusqu’à Gavarnie Toutes les infos : http://ete.gavarnie.com/organisez/comment-venir
Encadrement : Bureau des guides de Gèdre Ouvert en fin de journée Tél. : 06 83 31 08 16
Renseignements : Office de tourisme de Gavarnie-Gèdre Ouvert de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h, tous les jours sauf dimanche Tél. : 05 62 92 48 05 info@gavarnie.com
Hébergements : Refuge de la Brèche de Roland – les Sarradets Topos et informations sur les activités autour de la Brèche de Roland Tél. : 06 83 38 13 24 http://refugebrechederoland.ffcam.fr/ Gîte « Le Gypaète » Très bon accueil et ambiance chaleureuse. Chambre avec petit-déjeuner à partir de 20 €. À Gavarnie, derrière l’office du tourisme. Tél. : 05 62 92 40 61 Les Cascades Cuisine locale. Beau panorama sur le cirque. Menu de 18 à 30 €. Au village de Gavarnie. Tél. : 05 62 92 40 17 Le Campbieilh Brasserie avec une belle terrasse ouverte toute la journée. Menu à partir de 13 €. Au village de Gèdre face à l’église. Tél. : 05 62 92 23 67 ou 06 83 71 63 04
Contact utile : CRS 29-Section Montagne Tél. : 05 62 92 48 24
Bibliographie/topos : - Rainier Munsch, Christian Ravier, Rémi Thivel, Passages pyrénéens, les topos du Pin à Crochets, 1999. - François Laurens, Sommets des Pyrénées, les plus belles courses de F à D, Glénat, Montagne Randonnée. - Gérard Raynaud, Les petites heures du pyrénéisme, collection Plume de pin. - Patrice de Bellefon, Les Pyrénées, les 100 plus belles courses et randonnées, Cairn.
Cartes : IGN 1/25 000 n°1748 OT Rando Édition 1/50 000, n°4 « Bigorre » ou n°24 « Gavarnie-Ordessa »