Montagnes

LA CORSE ALPINE

Boucler les plus beaux paysages aériens de la Corse en 5 jours, telle est notre invitation. Tout commence par le seigneur des lieux, le Monte Cinto. Puis viennent des incursions dantesques et vertigineu­ses avant de doux instants de quiétude entre pozzines

- Texte & photos : Philippe Royer

La Corse n’est pas une montagne comme les autres. Chaque jour les dénivelés sont imposants avec des sentiers très tourmentés où les pas d’escalade ne sont pas rares. Nous sommes loin des terres d’alpage de la Savoie. Puis, la proximité de la mer fait naître des phénomènes météorolog­iques extrêmes. Alors nous commençons cette boucle par le morceau le plus tonique. L’ascension du Cinto à 2 706 m. Méfiez-vous de cette altitude moyenne. Les références ne sont pas les mêmes que sur le continent. En sus le point de départ, Lozzi, est à 1 400 m. Ainsi au pied de l’édifice vous guettez la bonne fenêtre météo pour que cette journée soit un régal. Il faut dire que la fin de cette face sud est assez tortueuse. Il n’y a pas de boulevards. Pourtant tout commence de bon augure avec un sentier tracé juste au-dessus du refuge de l’Erco. Puis viennent des éboulis et des méandres rocheux. De rares panneaux fixés sur des blocs. Il faut ouvrir l’oeil et repérer l’usure au sol. De nombreuses variantes vous ramènent à la voie principale. On croit arriver et un nouvel éperon ou une nouvelle barre apparaît. Chemin faisant vous comprenez l’âpreté de la montagne corse. Bien sûr il y a des cairns mais comme le dit Charly Santucci, ancien gardien de refuge : « Tout le monde édifie des cairns. Cela devient n’importe quoi. Parfois je monte pour nettoyer et ne garder que l’essentiel !! » Cette première journée de grande envergure peut se diviser en deux avec une pause au refuge de l’Erco à 1 667 m, soit deux heures de marche depuis Lozzi. La descente de ce monument s’opère par l’arête des Éboulis pour rejoindre le refuge de Tighjettu.

PARTIE PRATIQUE J1 : Lozzi 1 080 m – Monte Cinto 2 706 m – Refuge de Tighjettu 1 680 m

Première étape exceptionn­elle à n’entreprend­re que par grand beau et sans vent. Départ du petit hameau de Lozzi au-dessus du village de Calacuccia (parking tranquille). On peut faire une pause au refuge de l’Erco, 1 667 m, pour la nuit. Vu les dénivelés il faut partir très tôt, les bâtons sont les bienvenus. Malgré une exposition sud, fin juin vous pouvez encore rencontrer des névés.

Itinéraire : De Lozzi, suivre un large chemin carrossabl­e. Des sentes permettent de couper les longues épingles à cheveux. Après le refuge le sentier prend de l’altitude. Il se dessine de moins en moins. Sur de gros blocs quelques panneaux vous remettent dans le bon chemin. Puis c’est une succession de cairns plus ou moins bien placés. Il faut aussi se fier à l’usure au sol. On louvoie sans cesse entre de petits éperons rocheux. Enfin vous rejoignez les points rouges de l’arête des Éboulis (votre sentier de descente), vous montez sur la droite au sommet du Cinto. On gagne en descente Tighjettu par la pointe des Éboulis (2 607 m) et le nouvel itinéraire du GR 20 depuis la fermeture du Cirque de la Solitude. Dénivelé à la montée : 1 800 m Dénivelé à la descente : 1 020 m Temps : de 7 à 8 heures dans la version longue. 5 à 6 heures si vous dormez à Erco.

J2 : Refuge de Tighjettu 1680 m – refuge Ciottulu di i Mori 1 991 m – ascension du Tafunatu

Étape moins tonique et plus humaine. Orientatio­n facile sur le GR 20. Le temps de marche de cette journée est assez court. Mais le clou de cette escale est la montée très aérienne et exposée (cela sera fonction de votre expérience sur terrain d’aventure) au Tafunatu. Itinéraire : Entre les deux refuges on suit tout bonnement le GR 20. On peut faire une pause collation aux bergeries de Ballone. Pour le Tafunatu il faut ciel bleu et pas de vent. Du col des Maures on repère une petite fissure oblique et un petit cairn. C’est le point de départ. Un pas en 4 inf. Puis on suit des cairns et de fines et rares marques jaunes. On passe sous la paroi pour une grande épingle à cheveux. Ambiance verticale sur une vire étroite. Aucune chute n’est possible. On redouble de vigilance avec des sections un peu branlantes. On repart dans une traversée descendant­e vers l e trou. Grosse ambiance montagne. Il ne faut pas emmener n’importe qui !!! On aura mémorisé le parcours pour le retour. On ouvre l’oeil pour repérer l’usure au sol. En Corse il faut de l’analyse et de l’humilité. Dénivelé de refuge à refuge à la montée : 620 m Dénivelé à la descente : 80 m Temps de marche entre les deux refuges : 4 heures Du refuge au trou du Tafunatu : 1 heure 30 à 2 heures en aller-retour (sans sac lourd).

CRÉATION DU DIABLE

Au deuxième jour vous rejoignez ce point d’asile (Tighjettu) au refuge de Ciottulu di i Mori. Une étape bien plus sage. Au passage vous remarquez qu’il est possible de jongler avec des bergeries (Ballone en J2 et Radule ou Vaccaghja en J3) pour le gîte et le couvert. De bonnes options avec parfois moins de monde que dans les refuges, tentes en location. À la fin de cette étape si la météo est bienveilla­nte la montée au trou du Tafunatu s’impose depuis le col des Maures. Une petite course de montagne où il faut savoir lire le terrain et redoubler de vigilance sur vos placements de pieds et parfois même de mains. La légende de ce lieu d’exception est variable. Certains disent que dans une de ses colères, le diable jeta son marteau et troua la montagne. D’autres disent qu’il jeta son soc de charrue. Toujours est-il qu’il faut se méfier des colères insulaires. L’arche mesure dix mètres de haut sur trente mètres de longueur. De chaque côté le vide est total au loin (au nord-ouest) on aperçoit la longue vallée du Fango, là où tous les habitants du Niolo allaient passer l’hiver. Avec son rocher marron et rouge avec des parcelles jaune et verte, l’ensemble Tafunatu et Paglia Orba représente les plus beaux sommets de la Corse. Un mélange d’austérité et de grandeur.

LE MINÉRAL COMME RÉFÉRENCE ABSOLUE

Au troisième jour tout est plus paisible avec l’exceptionn­el lac Nino et ses vastes pozzines parcourues par les chevaux et les vaches en totale liberté. Tous savent où ils habitent. Lorsque le froid arrive à l’automne ils redescende­nt. Le lac Nino est à la douceur des paysages ce que le Tafunatu est à la beauté sauvage et austère. Avec cette étape de 8 heures vous chuintez le gîte du col de Vergio (petite épicerie). À vous de doser ! Au quatrième jour le minéral est la référence absolue. Tantôt c’est un chaos de pierriers, tantôt ce sont de grandes dalles compactes qui filent vers les cieux. Cela donne de fines voies d’escalade où les pieds en adhérence sont à l’honneur. Résidus des périodes glaciaires les lacs

Capitello et Melo trônent au coeur de ce granite. Hors sentier convention­nel notre boucle passe par la brèche de Goria pour plonger vers le lac du même nom (1 852 m). Les bâtons sont très utiles sur ces pentes raides. Une longue marche en forêt au milieu des pins laricio géants mène au refuge de Sega. Le dernier jour vous ramène à Lozzi, votre point de départ, par un bout du sentier mare a mare Nord.

J3 : Refuge de Ciottulu di i Mori 1 991 m – lac Nino 1 743 m – refuge de Manganu 1 600 m

Étape très contrastée avec une descente le long des sources du Golo, baignade possible pour les plus téméraires, puis un somptueux passage au lac de Nino et ses verdoyante­s pozzines. Sous vos pieds, la marche est feutrée. Vous croisez des dizaines de chevaux et bovins qui se régalent de ce tendre parterre. Un lieu à classer dans les plus beaux paysages de l’île.

Itinéraire : Orientatio­n facile puisque vous êtes sur la sixième étape du GR 20. Vous suivez la balise rouge et blanche et vous confirmez avec la carte. Deux bergeries vous accueillen­t pour moduler cette étape : Ballone et Vaccaghja. Aucun passage exposé. Au col de Vergio passe la route D 84 entre Porto et Calacuccia. Il y a un gîte, une épicerie et un hôtel - restaurant au bon rapport qualité prix. Très bon accueil. Tél. : 04 95 48 00 01 et www.hotel-castel-vergio.com. De quoi couper l’étape en deux si nécessaire. Dénivelé à la montée : 650 m Dénivelé à la descente : 1 050 m Temps : entre 7 heures 30 et 8 heures 30

J4 : Refuge de Manganu 1 600 m – refuge de Sega 1 168 m

Étape très tonique avec un passage au pied du lac Capitello et une escapade tonitruant­e par une brèche qui domine trois lacs : Melo, Capitello et Goria. Suit un très long parcours forestier vers le refuge de Sega. Ambiance montagne et isolement total au niveau de la brèche raide qui mérite applicatio­n et bonnes chaussures.

Itinéraire : Du refuge de Manganu on emprunte le GR 20 puis on plonge vers le lac de Capitello par une étroite brèche. Panneau indicateur. Le plan d’eau est visible. Descente raide. On longe le lac sur de longues dalles de granite avant de remonter la brèche raide au nord-ouest du lac, brèche de Goria. Montée tonique et raide. Sur l’autre versant on descend par la rive est du lac du même nom : Goria. Une épuisante sente permet de longer le Tavignano pour aboutir au refuge de Sega. Dénivelé à la montée : 1 100 m Dénivelé à la descente : 1 500 m Temps : entre 8 et 9 heures

J5 : Refuge de Sega 1 168 m – Lozzi 1 080 m

Étape moins fréquentée que le GR qui vous permet de regagner Lozzi, votre point de départ. Aucune difficulté. Parcours sur des terres autrefois très fréquentée­s par les bergers et les ovins.

Itinéraire : Du refuge prendre le sentier qui file vers le nord. Vers Bocca a l’Arinella à 1 592 m. Sur l’autre versant on descend vers Calacuccia après avoir emprunté le barrage. Du village vous apercevez la Paglia Orba. Sous vous coule le Golo qui a pris sa source au col des Maures. La D 218 et de petites sentes permettent de regagner le parking de Lozzi. Dénivelé à la montée : 800 m Dénivelé à la descente : 900 m Temps : entre 5 et 6 heures

INFOS PRATIQUES :

Réservatio­ns refuges : www.parc-corse.org et 04 95 51 79 10 Refuge de Sega : 06 10 71 77 26 Bergeries de Ballone : 06 12 03 44 65 Bergeries de Radule : e.radule@gmail.com Météo : 08 99 71 02 06 Secours : 112 Cartes géographiq­ues : IGN 4251 OT et 4250 OT

 ??  ?? Les belles pozines du lac Nino.
Les belles pozines du lac Nino.
 ??  ?? Les lacs au fond de la profonde vallée£ de la Restonica.
Les lacs au fond de la profonde vallée£ de la Restonica.
 ??  ?? Panorama du sommet du Cinto : à gauche l'arête des Eboulis et au fond la Paglia Orba, au premier jour.
Panorama du sommet du Cinto : à gauche l'arête des Eboulis et au fond la Paglia Orba, au premier jour.
 ??  ?? Le trou du Tafunatu dans le vent.
Le trou du Tafunatu dans le vent.
 ??  ?? Pour ravitaille­r les refuges les équidés sont encore de rigueu.
Pour ravitaille­r les refuges les équidés sont encore de rigueu.
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 ??  ?? Randonneur et son cochon sur le Golo au pied du Cinto.
Randonneur et son cochon sur le Golo au pied du Cinto.

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