LES MARQUES MONTAGNES
Des vêtements de montagne éco-conçus, durables et faciles à recycler. Voilà la promesse faite aux consommateurs par nombre de fabricants. Mais derrière le message marketing, relayé notamment au travers d’événements bien rodés, comment les marques outdoor
2 septembre 2016. Une centaine de bénévoles se sont donné rendez-vous au pied de la Mer de Glace au petit matin. Objectif : collecter les déchets accumulés sur le glacier et remontés à la surface avec la fonte estivale. Après quelques heures, câbles, boîtes de conserve et débris de verre s’entassent dans de grands sacs poubelles, avant d’être acheminés dans la vallée pour y être retraités. Portée à l’origine par la mairie de Chamonix, l’opération est orchestrée depuis 2008 par le groupe Lafuma, en partenariat avec le CAF de Haute-Savoie, la Compagnie du MontBlanc, l’UCPA et Mountain Riders. Un événement reconduit annuellement sous le nom d’Outdoor Cleaning Program et qui fait appel, chaque édition, au grand public et aux salariés volontaires du groupe, assurant au passage un vaste relais médiatique au niveau local et national. Lafuma n’est pas le seul fabricant d’équipement outdoor à organiser depuis quelques années des événements « verts ». Depuis 2013, la marque Patagonia propose au travers de son opération Worn Wear un atelier itinérant de réparation de vêtements et matériel montagne. Le concept ? Permettre à chacun, détenteur d’un produit Patagonia ou non, de venir faire réparer gratuitement, et d’apprendre à réparer, une veste déchirée, une zippette cassée ou un bouton pression endommagé. « Worn Wear a pour objectif de changer notre relation aux choses que nous achetons. Si on peut donner envie à plus de monde d’être un acheteur conscient de ce qu’il possède et de ce dont il a besoin, alors nous aurons un impact positif », souligne Alex Weller, directeur marketing Europe chez Patagonia. Idem du côté de Quechua, qui organisait à l’automne dernier le premier événement Second Life, un atelier de réparation, au sein de son Mountain Store de Passy. De manière générale, l’ensemble des plus gros fabricants d’équipement outdoor et montagne, de Millet à Eider, en passant par The North Face, Salomon, Lafuma, Mammut ou Patagonia, affichent un engagement environnemental. Quelques clics sur leurs sites Internet permettent de lister actions et promesses dans le domaine. Chez Eider, c’est « la protection du canard eider qui nous a donné notre nom ». Pour the North Face : le programme de recyclage « Clothes the Loop ». « La réduction de 20 % de notre empreinte carbone d’ici 2020 » chez Salewa. Ou encore, l’histoire du premier sac éco-conçu pour Lafuma, sorti en 2000. Positionnement désormais largement partagé, l’engagement environnemental des marques résiste-t-il à l’épreuve des faits ? De l’extraction des matières premières à la fabrication, gourmande en eau et en produits chimiques, jusqu’à l’acheminement depuis les pays de production et la gestion du recyclage des produits, comment les industriels appliquent-ils les principes mis en avant dans leur discours marketing ?
« UN CHOC ÉMOTIONNEL »
Retour en 2012. Avec sa campagne Detox, l’ONG Greenpeace lance un pavé dans la mare de l’industrie textile, en particulier dans le secteur de l’outdoor. L’ONG dénonce alors l’utilisation des PFC, des hydrocarbures perfluorés, dans la plupart des vêtements et équipements, vendus sur le marché. « En raison de leurs propriétés déperlantes, les PFC sont généralement utilisés pour rendre les équipements outdoor
UNE FOIS RELÂCHÉS DANS L’ENVIRONNEMENT LES PFC DISPARAISSENT TRÈS LENTEMENT
imperméables, explique Mirjam Kopp, en charge à l’international de la campagne Detox chez Greenpeace. Sur tous les produits testés, des vestes aux chaussures, en passant par les tentes, les sacs à dos ou les sacs de couchage, 90 % contenaient alors des PFC. » Des PFC qui sont pointés du doigt par l’ONG pour leur impact sur l’environnement : « Une fois relâchés dans l’environnement, les PFC disparaissent très lentement. Il faut des centaines d’années pour qu’ils soient éliminés. Certains ont été retrouvés dans des lacs de montagne, et même dans l’organisme de certains ours polaires en Arctique », poursuit-elle. Selon les études menées par Greenpeace, certains PFC pourraient également avoir des conséquences sur le système hormonal et favoriser le développement de tumeurs. Le rapport « Chemistry for any weather » (Des produits chimiques pour tous les temps) vise en particulier la filière outdoor, en épinglant plusieurs marques, pour leur utilisation des PFC. Parmi elles, The North Face, Patagonia, Jack Wolfskin, Mammut et Vaude. « La campagne de Greenpeace a été à l’origine d’un choc émotionnel pour la filière, observe Camille Rey-Gorrez, directrice de l’association Mountain Riders, qui publiait jusqu’en 2012 l’Éco-guide du matériel de montagne. Elle a été vécue comme un bouleversement. Les marques se sont dit qu’elles devaient agir. » Un choc émotionnel qui semble avoir abouti, cinq ans après, à certains engagements de la part des fabricants. En atteste l’annonce réalisée en janvier 2017 par le géant Gore Fabrics, leader en matière de produits imperméables avec sa marque Gore-Tex et qui a annoncé l’arrêt total de l’utilisation des PCF dans ses produits d’ici 2020. « L’engagement de Gore-Tex est fondamental, car si un des leaders du marché bouge sur ces sujets, les autres suivront », observe Benjamin Marias, fondateur de l’Agence Innovation Responsable (AIR), qui accompagne des acteurs du sport, du tourisme et du textile (parmi lesquels Millet, Eider, Salomon, Rossignol, Quiksilver ou Picture) dans une démarche de transition environnementale. Un avis partagé par Mirjam Kopp de Greenpeace : « Si Gore Fabrics va jusqu’au bout des engagements annoncés, pour éliminer les PFC, cela pourrait potentiellement être un moteur pour le secteur outdoor, étant donné qu’il s’agit d’un acteur majeur de la filière. » D’autres marques se sont également engagées ces dernières années dans l’élimination des PFC de leurs produits. Parmi elles, les marques du groupe Lafuma, qui rassemble également Eider et Millet. « Il fallait qu’on prenne le virage, explique Pierre Desmottes, Communication Projects Manager chez Eider. Nous essayons aujourd’hui de tendre vers plus d’éco-conception. » Outre l’élimination des PFC, annoncée à l’horizon 2020, les trois marques du groupe ont mis en place une charte interne « Low Impact », garantissant aux consommateurs, des produits conçus avec des matières plus respectueuses de l’environnement et qui se recyclent facilement. La charte s’appuie notamment sur l’utilisation de matières labellisées Bluesign, un label indépendant qui existe depuis 2000 et qui s’appuie sur cinq critères principaux : la sécurité du consommateur, la limitation des émissions atmosphériques, ainsi que de la pollution des eaux, l’hygiène et la sécurité professionnelle et la productivité des ressources. Des produits plus durables, qui ne concernent cependant qu’une partie des collections. Chez Lafuma, sur 24 vestes homme proposées sur le site, seules 4 proposaient le label, quand Eider et Millet proposaient environ la moitié de produits certifiés sur leur gamme de vestes homme.
« LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DOIT AIDER LA MARQUE À SE DÉVELOPPER »
Au-delà de la suppression des PFC dans la fabrication de leurs produits, les marques outdoor ont-elles pris le tournant d’une production plus responsable ? Oui, selon Benjamin Marias. « Il y a cinq ans, on aurait pu parler de greenwashing, mais aujourd’hui, la plupart des marques montagne ont pris de réels engagements en la matière. » À la tête de l’agence AIR, il accompagne certaines marques dans leurs engagements environnementaux. « On essaie d’établir ensemble les points sur lesquels travailler et sur la manière de se différencier ou de se rapprocher de la concurrence », explique-t-il. Car si les marques décident de s’engager dans une démarche plus verte, le business n’est jamais loin. « Nous nous inscrivons dans une dynamique où le développement durable doit aider la marque à se développer. »Aux côtés de Millet et Eider, l’agence a donc mis en place la charte interne Low Impact visant à réfléchir globalement aux procédés de fabrication. « On veut que le développement durable soit pris en compte globalement par les marques et pas seulement sur une collection capsule ou sur une gamme spécifique », précise Benjamin Marias. Certaines marques ont ainsi concentré leurs efforts sur l’élaboration de matières exemptes de PFC et basées sur des matières recyclées. C’est notamment le cas du fabricant suédois Fjällräven, qui a mis au point il y a plusieurs années une matière conçue en polyester recyclé et employant un imperméabilisant sans PFC, utilisée depuis 2015 dans toute sa gamme de vestes imperméables. « Nous avons conçu un système d’imprégnation sans PFC dans notre revêtement Eco-Shell, qui est très imperméable à l’eau, mais moins à l’huile et à la poussière, c’est le prix à payer pour avoir une matière plus respectueuse de l’environnement, explique Philipp Kloeters, du département international de Fjällräven. Dans l’industrie textile, on a toujours tendance à ajouter des propriétés à chaque produit, mais il faut garder en tête que chaque propriété a des conséquences, notamment sur l’environnement. » Si certains fabricants font aujourd’hui le choix de matières plus respectueuses de l’environnement dans leur gamme de textiles, difficile de mesurer la part de conviction de chacune d’elles dans la démarche. Car les contraintes poussant les fabricants à évoluer sont là. Depuis 2016, la Responsabilité sociétale et environnementale (RSE) des entreprises est obligatoire pour les sociétés de plus de 500 salariés et dépassant un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros. La RSE oblige ces entreprises à engager une action concrète en faveur du développement durable et à l’intégrer à l’ensemble de leur organisation. Lafuma et The North Face sont notamment concernés par la démarche qui rend obligatoire la publication d’un rapport mentionnant ces actions. Si elles ne sont pas toutes d’ordre légal, d’autres contraintes pèsent également sur les équipementiers. « Il y a une contrainte concurrentielle pour les marques outdoor, car la plupart cherchent à développer une image plus verte, il est donc plus difficile pour une marque de rester à l’écart », explique Camille Rey-Gorrez. D’autant plus que pour les géants du secteur, la comparaison avec certaines marques émergentes se fait rude. « Il y a une vraie différence d’approche entre les entreprises historiques, qui sont forcées de s’adapter et les petites marques qui ont fait du développement durable leur ADN et le prérequis à leur développement », ajoute-t-elle. Au premier rang de ces nouveaux venus, la marque Picture, lancée en 2008, joue clairement la carte verte en mettant en avant des produits en coton biologique, en polyester recyclé et aux émissions de carbone maîtrisées. Pour les marques, la contrainte vient donc de la concurrence, mais se trouve également de plus en plus imposée par les consommateurs. Une étude publiée en mai 2017 par GreenFlex, en partenariat avec l’Ademe, montre que 71,5 % des Français se disent concernés par une consommation plus responsable qui passe, pour près de 53 % d’entre eux, par le fait de consommer autrement et en particulier des produits éco-labellisés et moins polluants. « Nous observons
IL Y A CINQ ANS, ON AURAIT PU PARLER DE GREENWASHING
une vraie demande de nos clients vis-à-vis de produits qui respecteraient mieux l’environnement », note Pierre Desmottes, de Eider. « Les clients de ces marques outdoor vivent en lien avec la nature, ils sont forcément plus sensibles aux questions d’environnement », ajoute Benjamin Marias. Notamment à l’initiative de Patagonia, l’une des marques les plus engagée sur le sujet, la Sustainable Apparel Coalition a vu le jour en 2010 pour rassembler les marques de l’industrie textile les plus investies sur le sujet. Toujours porté par Patagonia, au sein de ce groupe rassemblant des leaders du marché, d’Adidas à Columbia, en passant par H&M et Levi’s, un nouvel indice permettant de mesurer l’impact environnemental et social des produits, des entreprises et des fournisseurs de la filière se développe peu à peu. « Le Higg Index permet d’évaluer la consommation en eau, la gestion des déchets ou encore les émissions de gaz à effet de serre générés par la production et les conditions de travail dans les usines de fabrication », explique Benjamin Marias. Si l’objectif est de permettre à chaque marque d’évaluer les points d’amélioration possibles, le Higg Index devrait surtout permettre aux consommateurs d’accéder à des informations claires dans un avenir proche. « D’ici 2020, les données rassemblées par cet outil devraient être accessibles au public, qui pourra faire son choix de manière éclairée en fonction des scores obtenus par chacune des marques », ajoute Benjamin Marias.
MICRO-PLASTIQUES ET MATIÈRES ANIMALES
Contrainte ou convaincue, la filière textile outdoor semble progressivement prendre le pli et réfléchir de plus près à une production présentant plus de garanties en matière environnementale et sociale, même si le chemin reste encore long : « C’est une bonne chose que la question des PFC soit en tête des priorités pour beaucoup de marques, note Philipp Kloeters de Fjällräven, mais pour que tous les acteurs abandonnent les PFC et entament une vraie révolution, il faudra encore du temps. » D’autant qu’au-delà des PFC, d’autres enjeux majeurs s’annoncent. Parmi eux, la question des micro-plastiques et leur rejet dans l’environnement. « Ces microplastiques sont issus des vêtements en polaire et s’échappent à chaque lavage pour finir dans l’océan », explique Benjamin Marias. Selon les chiffres de Patagonia, qui a financé l’an dernier un programme de recherche au sein de l’Université de Californie à Santa Barbara, « le nombre de microfibres libérées par lavage [s’élèverait] à 250 000 ». Toujours selon le rapport de Patagonia, ces micro-plastiques « représentent une menace pour les écosystèmes marins et selon des preuves de plus en plus nombreuses, une portion importante de cette pollution aux micro-plastiques est composée de milliards de minuscules fibres synthétiques, issues notamment des vêtements en polaire ». Également sur la table, la question de l’utilisation des matières animales, comme le duvet ou la laine, fait également partie des enjeux à résoudre pour la filière. « La traçabilité des matières d’origine animale dans les vêtements outdoor est une question essentielle, notamment pour le consommateur », poursuit Benjamin Marias. Deux labels ont vu le jour ces dernières années, pour garantir notamment le fait que les animaux ne soient pas plumés à vif : Non Live-Plucked Products Guarantee et Responsible Down Standard, créés à l’initiative de The North Face. Mais malgré les engagements portés par ces labels, les choses ne semblent pas avoir beaucoup bougé sur le terrain. En mai 2016, l’association PETA révélait ainsi que plusieurs élevages installés en Chine, pays qui rassemble 80 % de la production de duvet, et labellisés Responsible Down Standard poursuivaient le plumage à vif des oies. « Il n’y a tout simplement aucune garantie que les plumes garnissant n’importe quel veste ou coussin n’ont pas été arrachées à la peau d’une oie hurlante », avait alors déclaré Cyril Ernst, porte-parole de PETA France. Enfin, si la production textile fait désormais l’objet, sur certains points, d’efforts de la part de la filière, la question d’une fabrication plus responsable des équipements « hard » de montagne, cordes, casques, piolets, mousquetons ou crampons, semble loin de trouver l’ébauche d’une solution. « On est encore vraiment au stade de l’enjeu sur cette question, explique Camille ReyGorrez. Beaucoup de marques y travaillent, mais il s’agit de filières complexes à maîtriser, comme le plastique ou les métaux, et pour le moment il n’existe pas beaucoup de solutions pour développer une approche plus durable sur ces produits. » Le mousqueton estampillé « éco-conception » n’est pas pour demain.