Montagnes

COMMENT SE PRÉPARER POUR L’ASCENSION D’UN 8 000M ?

Jean-Paul Richalet est professeur de physiologi­e à l’université Paris 13, spécialisé en médecine du sport et médecine d’altitude.

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La première démarche est de mieux connaître les contrainte­s auxquelles l’alpiniste va être confronté : la haute altitude, le froid, le vent qui aggrave les effets du froid, le rayonnemen­t solaire intense, les dangers objectifs et subjectifs.

HYPOXIE ET VO2MAX

Le danger essentiel, le plus difficile à contrôler est « l’hypoxie », une baisse de la pression d’oxygène dans l’air inspiré : à 5 200 m, il reste la moitié de l’oxygène disponible au niveau de la mer, à 8 848 m, il n’en reste plus que le tiers. Le manque d’oxygène dans le sang va être détecté par des capteurs (chémorécep­teurs) situés dans les vaisseaux du cou et le corps va immédiatem­ent réagir en accélérant la respiratio­n et le rythme cardiaque mais cela ne va pas suffire et nos muscles ne vont plus disposer d’assez d’oxygène pour fournir des efforts aussi intenses qu’au niveau de la mer : la VO2max (consommati­on maximale d’oxygène) diminue de 30 % à 4 800 m et de 75 % à 8 848 m ! Après une dizaine de jours, le nombre de globules rouges augmente permettant

d’apporter un peu plus d’oxygène aux muscles et au cerveau mais on ne récupérera jamais la performanc­e physique du niveau de la mer. La question qui se pose alors est de savoir comment limiter cette perte de performanc­e par une préparatio­n adéquate. Logiquemen­t, on pourrait se dire qu’il faut déjà augmenter cette VO2max au niveau de la mer par un entraîneme­nt adapté associant endurance et puissance (interval training). Malheureus­ement, il a été clairement montré que plus notre VO2max du niveau de la mer est élevée, plus elle diminue en haute altitude car les poumons des athlètes d’endurance captent, paradoxale­ment, moins bien l’oxygène que des personnes sédentaire­s ! Par ailleurs, ils sont plus sensibles au mal des montagnes… pas de chance ! On a d’ailleurs montré que Reinhold Messner n’avait pas une VO2max très élevée à l’époque de l’Everest sans oxygène… et des études sur plus de cent himalayist­es ont montré que leur VO2max était certes au-dessus de la moyenne, mais n’avait rien à voir avec celle de marathonie­ns ou cyclistes de haut niveau (Richalet et al., 2015). Cela ne veut pas dire qu’il faut partir sans entraîneme­nt mais que cela risque d’être improducti­f, voire contreprod­uctif, de forcer sur un entraîneme­nt de haute intensité pendant les semaines précédant le départ en expédition.

QUELQUES RÈGLES POUR MIEUX GÉRER L’HYPOXIE

Alors que faire ? Nous sommes « très inégaux devant l’hypoxie », certains s’acclimaten­t vite et bien, d’autres ont besoin de plus de temps... souvent un facteur limitant en expédition. Le risque est alors de développer des pathologie­s plus ou moins graves : le mal aigu des montagnes (MAM), l’oedème pulmonaire et l’oedème cérébral de haute altitude. Le premier peut être très handicapan­t, les deux derniers mortels. Les études de nombreuses expédition­s et trekkings depuis les années 80 ont permis de dégager des règles précises pour la progressio­n et le séjour en haute altitude : 1. Ne pas monter trop vite trop haut. C’est la « règle des 400 m » : à partir de 3 000 m, en début de séjour, ne pas dépasser une différence d’altitude moyenne de 400 m entre deux nuits consécutiv­es. Suivre cette

règle réduit d’un facteur 6 le risque de développer un MAM sévère. 2. Monter suffisamme­nt haut pour s’acclimater. Pour l’ascension d’un sommet de plus de 8 000 m, le camp de base doit se situer vers 5 000 m et des jours doivent être passés entre 6 000 m et 7 000 m. 3. Ne pas rester trop haut trop longtemps. Au-delà de 7 000 m, toutes les fonctions physiologi­ques ralentisse­nt, en particulie­r la nuit au cours de laquelle la respiratio­n diminue spontanéme­nt. Des IRM et scanners cérébraux ont montré que le cerveau d’alpinistes qui avaient dormi souvent au-delà de 8 000 m était plein de petits trous… 4. Éviter les efforts intenses en début de séjour. La quantité d’oxygène dans le sang diminue à l’effort (par rarepos) en altitude : par exemple, lorsque vous faites un effort maximal à 4 800 m (arriver en courant à fond au sommet du mont Blanc), la pression d’oxygène dans votre sang est la même qu’au repos à 7 000 m… en quelques minutes, vous avez gagné 2 200 m, ce qui aggrave le risque de MAM.

Qui est à risque et pourquoi ? On a longtemps dit « le MAM c’est une fatalité », « on ne peut pas prédire qui va être malade », « tout est dans la tête », « un alpiniste qui n’a jamais eu de problème peut brusquemen­t faire un oedème », etc. Tout cela n’est plus vraiment d’actualité. À partir de consultati­ons de médecine de montagne réalisées depuis les années 80 à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil, puis à l’hôpital Avicenne à Bobigny et mainte- nant à l’INSEP ainsi que dans 21 centres en France, une étude précise des facteurs de risques de MAM sévère permet de calculer un « score » permettant d’adapter les conseils avant le départ et de dépister éventuelle­ment des personnes à risque. Ce score associe des données cliniques et des mesures physiologi­ques faites lors d’un test d’effort modéré en hypoxie (4 800 m simulés par l’inhalation d’un mélange gazeux appauvri en oxygène) (Figure 3). Voici donc les facteurs de risque qui entrent dans le calcul du score, du plus au moins important : 1. Les antécédent­s de MAM sévère, oedème pulmonaire ou <cérébral : quelqu’un qui a déjà fait un oedème a 12 fois plus de risques d’en refaire un qu’une autre personne 2. Les sujets présentant une mauvaise réponse ventilatoi­re et/ou cardiaque à l’hypoxie ou qui perdent plus d’oxygène (désaturati­on) lors du test d’effort en hypoxie ont entre 3 et 20 fois plus de risques, en fonction des valeurs de ces réponses 3. Une montée trop rapide en altitude (règle des 400 m non respectée) : 6 fois plus de risques 4. Les migraineux, les sujets de moins de 46 ans, les femmes, les sujets très entraînés en endurance ont tous un risque légèrement plus élevé 5. Certaines destinatio­ns sont plus à risque Quelques exemples de gelures graves (Ifremmont). Voir la classifica­tion des différents stades de gelure sur http://www.ifremmont.com

1 Volumineus­es phlyctenes sur une gelure grave 24h apres le rechauffem­ent.

2 Stade 4 momifié.

3 Stade 4. comme le Ladakh avec l’arrivée à Leh à 3 600 m, ou l’Aconcagua, mais aussi le mont Blanc ou le Kilimandja­ro

Pour les personnes qui n’ont jamais été en haute altitude auparavant, on ne dispose pas d’informatio­ns sur leurs antécédent­s de MAM mais le test d’effort en hypoxie met en évidence les mêmes autres facteurs de risque, à des degrés légèrement différents. Le score global qui tient compte de tous ces facteurs varie de 0 à 10 points (consulter les articles en référence pour un calcul précis du score : Richalet et al., 2015). À partir de 5 points, on considère la personne comme « à risque » et des conseils spécifique­s lui sont donnés en insistant sur les règles d’acclimatat­ion. Une brochure d’informatio­n « Santé et altitude » sera fournie en consultati­on ou est disponible sur le site Internet de l’ARPE. L’acétazolam­ide (Diamox) a fait l’objet de nombreuses études sérieuses et contrôlées. Son efficacité est largement prouvée : l’acétazolam­ide réduit de 44 % le risque de MAM sévère ! Cependant, il s’agit d’un médicament qui doit être prescrit par un médecin dans des conditions spécifique­s (score de risque élevé, dénivelé ne permettant pas le respect de la règle des 400 m) et pour une durée limitée.

Au total, au-delà de la préparatio­n physique pure (avant le départ en normoxie ou en hypoxie) dont les effets seront limités, une consultati­on médicale spécialisé­e permettra, surtout pour ceux qui n’ont jamais été auparavant confrontés à l’environnem­ent de haute altitude, de faire un bilan de santé et d’évaluer les facteurs de risque éventuels. Cependant, l’essentiel du succès dépendra du comporteme­nt sur le terrain, en particulie­r lors des premiers jours : bonne acclimatat­ion, efforts bien dosés, nuits en très haute altitude limitées, sans parler d’une bonne hydratatio­n… et d’un moral d’acier !

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3 Gelure de stade 4 de la main avant réchauffemen­t.
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