Montagnes

Chroniques littéraire­s

Là où l’horizon est plat, je ne tiens pas ;une vie hors des sentiers, Louis Oreiller avec Irène Borgna, Glénat, 186pages, 19,95€.

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Louis Oreiller est né en 1934 dans le Val d’Aoste, à Rhêmes-Notre-Dame, aux confins sauvages du parc du Grand-Paradis, à1700md’ alti tu de.«Rhêm es est comme un nid, mais un nid construit à la va-vite, quatre

branches posées sur une vire .[…] Un nid pré caire, qu’ un hiver plus rigoureux ou une avalanche plus puissante que les autres peuvent détruire. Un petit nid perché au bord de l’ abîme, juste assez grand pour une couvée de poussins, à la merci d’ un corbeau ou d’ un

éboulement. » Il fut contreband­ier et braconnier, puis garde-chasse et garde du parc national. Il se confie à Irène Borgna, anthropolo­gue, qui a bien vite compris qu’il faut d’abord, en buvant d’innombrabl­es cafés, «gagner la confiance de celui qui raconte un souvenir, une impression, une expérience .» Elle doit savoir« lire entre les lignes du récit, insister en toute discrétion sur les frontières de l’ explicite pour identifier ce qui est

passé sous silence et pourquoi cela reste tu .» Un défi réussi, puisque l’histoire, à la fois âpre et magnifique, austère et puissammen­t physique, comme les lieux dans lesquels elle prend place, sent le vécu, le territoire arpenté. La montagne de Louis Oreiller est sauvage, immense, déserte, mais habitée. Le texte en restitue le moindre souffle, l’humeur la plus infime. Et se confronte, à chaque instant, aux êtres qui s’y inscrivent. Là-haut, rien ne se décide sans l’accord tacite de la nature, qui impose, non sans magie, ses lois et ses tonnerres. Dans ce décor, souvenir d’un monde désormais abandonné à la modernité (« maintenant, tout le monde se fiche de l’ herbe et du foin. Par contre, les disputes pour les parkings n’ arrêtent

pas »), des histoires et des vies se font et se défont au rythme des saisons ; les idées germent des émotions. Louis Oreiller traque les silences et s’attache aux lumières, à la grandeur du ciel. Arbres gelés, neige qui craque, naissance de chamois, le montagnard capte la beauté .« J’ ai passé des journées entières en altitude sans personne–et sans être jamais seul.

Je parlais avec la montagne, et elle me répondait, elle me faisait comprendre .» Son cadre est un lieu réel, mais surtout une expérience de soi. Si ses univers ont quelque chose de fantasmago­rique, ils sont ancrés dans le réalisme. Il connaît le nom et les caractéris­tiques de chaque couloir, chaque corniche, chaque arbre de la vallée. Il note que les bouquetins sentent venir la neige, il sait toujours la températur­e qu’il fait et le temps qu’il fera ; «regarder le ciel et mesurer la neige, voilà deux ma

ni es don tonne se défait pas facilement »; il connaît parfaiteme­nt l’humeur des montagnes. Des observatio­ns attisées par un texte envoûtant, des images évidentes que nos sens d’aujourd’hui peinent à déceler, une poétique de l’espace mêlée à une certaine mélancolie, un sentiment qui nous accompagne sans cesse face à ce monde en perdition. Virginie Troussier

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