LES GRANDES JORASSES
Raconter une montagne. Raconter une montagne comme on l’a envisagée, imaginée, vécue, et tout cela ensemble : raconter une histoire, la concevoir, l’écrire, la dire, parce qu’une montagne abrite ses anecdotes, possède un profil, et parce que d’autres iront la lire, la gravir. Cet acte historique trouve dans ce premier titre d’une nouvelle collection intitulée « Sommets » chez Glénat sa forme pleine et son énigme radiante. Claude Gardien nous livre le récit de cette montagne – « La mainécrit Jorasse, l’oreilleentend vorace » – avec ses stratégies, sa technicité, sa dramaturgie et sa passion ; avec ses acteurs, d’année en année, puis d’heure en heure, jusqu’à la décliner en temps réel, jusqu’à la déplier, l’étirer, l’ouvrir assez amplement pour nous y renverser les yeux grands ouverts. « L’ÉperonCroz en 1935, puis surtout l’ éperon Walker en 1938, par leur évidence, l’ élégance de leur tracé, leur difficulté technique, comptent parmi les plus belles ascensions du monde. Ce sont bien des critères de difficulté et d’ esthétique qui font des J or as ses un chef-d’ oeuvre de
la nature, une pierre de touche pour les alpinistes .» Des éclats mémorables jaillissent suivant une chronologie où émerge un souvenir d’un Whymper, qui atteint, presque déçu, une cime vierge, mais ne peut pas voir celle qui qu’il convoite, l’aiguille Verte, et la saga épique de la face nord. « Commedanstoutes les grandes fac es nord, les homme sont payé un lourd tri but à leur soif d’ aventure dans celle des
GrandesJorasses. » Le récit de la face nord de la pointe Whymper par Bonatti et Vaucher est savoureux : Walter reçoit un bloc de pierre en plein front, il neige, il s’écrase un doigt, laisse échapper un duvet. Michel Vaucher écrira : « Ilnes’appellepas Bon attipourrien:j’ admire le courage tranquille de cethomme. » On s’arrête également sur le récit des hivernales :« René Des maison et Jacques Batk in, coiffés sur le poteau par Bon attietZ appel li, ont su placer la réalisation de la cours eau-delà de la première ou de la seconde ascension. Il sont écrit là une des plus belles histoires de l’ alpinisme .»
Le moteur de l’écriture, étanche au désir d’édification posthume, est ici le plaisir, la mise en rapport des individus et des évènements, ainsi qu’une constante fascination pour ces parois et ces alpinistes de toutes les époques. Les Jorasses ont leurs accros, certains comptent jusqu’à dix ascensions sur la face nord, mais, en 2005, la paroi orientale refait surface grâce à une hivernale dans la voie Gervasutti par Patrice GlaironRappaz, Patrick Pessi, et Paul Robach. Ils montreront la beauté exceptionnelle de ce bastion. La première de la face est, en 1942, est un mythe. « Enpleineguerre,GervasuttietGagliardoneparviennentàsefaufiler,etàouvrir sur une paroi que personne ne connaît, un chef-d’ oeuvre qui ne sera connu que bien plus tard. Deuxième ascension en 1952 et des répétitions toujours aussi rares …»
Il y a aussi les mystères des Jorasses, l’énigme Trivellini, la cordée Desmaison-Gousseault. C’est ainsi que l’on se tient dans le présent contre la contemplation nostalgique du passé, que l’on demeure étranger à l’ordre du temps. Tout est écrit de la main précise et passionnée de Claude Gardien, qui a su, en un seul recueil, fédérer toutes les ascensions pour mieux pénétrer l’envergure des Grandes Jorasses. C’est un travail de précision, car tout est fragile dès qu’on s’empare du chaos d’une montagne.