Montagnes

ALEŠ CESEN

PIOLET D’OR 2019 POUR L’ASCENSION DU LATOK I, AVEC LUKA STRAZAR & TOM LIVINGSTON­E

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Cette ascension du Latok I était très convoitée. Vous connaissie­z l’histoire de cette montagne? Oui c’est une montagne fascinante. D’ailleurs nous la craignions un peu… Il y a une grosse histoire derrière ce sommet avec beaucoup de gens que nous respectons. Il nous fallait être humbles. Ça n’avait pas l’air trop difficile d’après les photos mais bien sûr avec toutes ces tentatives passées, nous savions qu’il y aurait beaucoup de facteurs qui rendraient l’ascension très compliquée. Nous savions qu’il nous faudrait de la chance pour y arriver, comme à chaque fois que nous nous lançons dans ce genre d’ascension.

Arrivés au col ouest, vers 6 700 mètres, vous avez traversé vers la face sud pour rejoindre le sommet. Pourquoi ne pas avoir continué sur la face nord ?

Au départ, notre objectif était d’aller au sommet par la face nord. Pas de finir la voie américaine, mais de tracer notre propre voie. Mais passer pas le col était une option dont nous avions discuté. Nous ne sommes pas allés voir la partie terminale de la face nord, mais les conditions de glace devenaient de plus en plus mauvaises. C’est une face nord qui reste toujours à l’ombre. Ça nous a paru plus prudent de bifurquer au col.

Il y avait une autre expédition russe en même temps que vous au Latok. Vous le saviez avant de partir ? Vous les avez rencontrés ? Quelques jours avant de partir, nous avons appris qu’une autre expédition était sur place. On a réfléchi un peu et puis on s’est dit qu’on changerait nos plans si jamais les Russes arrivaient au sommet. Quand nous sommes arrivés au camp de base, Gukov et Glazunov étaient déjà dans la paroi, donc nous ne les avons pas rencontrés mais nous les avons observés à la jumelle. Il y avait une autre équipe russe au camp de base. Nous avons beaucoup discuté avec eux surtout quand les choses ont mal tourné pour Gukov et Glazunov. Nous avons proposé notre aide mais il n’y avait malheureus­ement pas grand-chose à faire… Nous avons réfléchi à ce que nous devions faire après la tragédie. Émotionnel­lement c’était compliqué mais nous avons décidé d’y aller quand même. Et quand nous nous sommes mis à grimper, nous avons arrêté d’y penser.

Gukov et Glazunov étaient pris dans le brouillard dans le haut de la face et on ne sait pas vraiment s’ils sont allés au sommet par la face nord. Tu penses que c’est possible ? J’ai rencontré Gukov après notre ascension. J’ai comparé les photos de leur dernière longueur avec nos propres photos. Je pense qu’ils ont atteint le sommet de l’arête nord, en tout cas ils n’en étaient pas loin. Je pense qu’ils étaient à 50 ou 100 mètres sous le sommet. Nous avons pu observer la partie terminale de la face nord depuis le sommet et il me semble que ça correspond avec les photos. Gukov m’a dit la même chose quand je l’ai rencontré et il a dit la même chose aux médias.

C’est ton deuxième Piolet d’Or. Qu’est-ce que tu penses de cette récompense ? Est-ce que tu considères que c’est normal de recevoir ce genre de récompense pour un alpiniste ? C’est une récompense toujours un peu controvers­ée parce que les gens pensent qu’il y a une compétitio­n derrière. Mais je ne pense pas qu’il puisse y avoir de compétitio­ns parce que c’est tout simplement impossible de dire qu’une ascension est mieux qu’une autre. Même quand vous répétez une voie, les conditions sont toujours différente­s de la fois précédente. Ce n’est possible de comparer. Mais d’un autre côté, je pense que c’est important pour la communauté d’avoir une sorte de reconnaiss­ance. Ça ne veut pas dire que notre ascension du Latok était la meilleure, mais ça veut dire que c’était une belle ascension. Ce genre d’évènement permet de montrer aux gens que gravir des voies normales avec des sherpas n’est pas la meilleure façon de grimper. Je pense que c’est bien que certaines personnes reconnaiss­ent ce que sont une belle ascension et un bon style. Je ne prends ça comme une récompense pour la meilleure ascension mais comme une sorte de reconnaiss­ance pour notre façon de grimper.

Sandy Allan, qui est un membre du jury, dit que quand il est en montagne, il se considère comme en vacances et il trouve ça un peu bizarre de recevoir une récompense pour ses vacances ! Qu’en penses-tu ?

Aller en montagne, ce sont des vacances mais gravir le Latok, ce n’est pas des vacances ! (rires) Donc non, je ne me sens pas en vacances quand je suis sur le Latok ! Mais je ne fais pas ça pour avoir une reconnaiss­ance, je le fais pour moi, c’est un challenge personnel. Je pense que personne ne doit faire ça avec l’idée d’avoir une récompense derrière. Ni un Piolet d’Or, ni un article dans un magazine… ce n’est pas une bonne approche. Maintenant que je suis plus âgé, j’aimerais aller grimper au Pakistan sans le dire à personne mais je ne peux pas me le permettre. Il faut que je raconte parce que je gagne un peu d’argent avec ça. Tous les grimpeurs de haut niveau sont comme ça. Tu ne peux pas le cacher. Si tu dis que ces récompense­s sont des conneries, pourquoi tu publies tes photos sur Instagram ?

Tu connaissai­s David Lama, Hansjörg Auer et Joss Roskelley ?

J’avais rencontré David Lama, il y a longtemps, lors d’une compétitio­n d’escalade à laquelle je participai­s aussi mais je ne me rappelle pas avoir discuté avec lui. Je connaissai­s leurs noms et ce qu’ils faisaient bien sûr, mais je ne les connaissai­s pas personnell­ement. C’est un sentiment un peu étrange aujourd’hui mais ça permet de se rappeler que ce que nous faisons est dangereux. Tu peux avoir un accident même si tu ne fais pas d’erreur. Tu ne peux pas tout contrôler en montagne.

Il y a une belle communauté de grimpeurs en Slovénie. Penses-tu que l’on puisse la comparer avec celles des Polonais, des Français… ? Je ne suis pas capable de comparer. Je ne connais pas assez les Français et les Polonais qui ont des communauté­s énormes. L’alpinisme slovène n’est plus au même niveau qu’il y a 20 ou 30 ans mais curieuseme­nt, nous avons encore la chance d’avoir quelques jeunes grimpeurs très forts. Je ne l’explique pas mais je pense que c’est un peu pareil dans les autres pays. En Slovénie, il y a une vraie tradition de la montagne mais plus comme avant. Nous avons encore beaucoup de soutien de la part des instances slovènes mais tu sais, aujourd’hui les gens veulent des résultats immédiats. C’est difficile d’expliquer que tu es parti grimper deux mois dans le Karakoram et que tu reviens sans le sommet… mais ce n’est pas spécifique à la Slovénie.

Quels sont tes futurs projets en montagne ? Ce n’est pas encore figé mais je pense que je vais retourner au Karakoram l’été prochain.

Le K2 en hiver ?

Non ! Surtout après la conférence que j’ai vue hier ! (rires) En été c’est bien !

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