Chroniques littéraires
Comme l’auteur, Mark Skynnott, journaliste et membre de la North Face Global Athlete Team, le lecteur de l’impossible ascension a besoin de quelques pages pour comprendre où il se trouve, et dans quelle position. Il est question d’Alex Honnold, grimpeur aux doigts si épais« qu’ ils semblaient être composé s de nombreux muscles miniatures », lecteur de Dostoïevski dans son van, au pied de ses ambitions rocheuses, envisageant El Capitan, cette paroi granitique à pic de 900 m, en solo, c’est-à-dire sans se vacher, sans le moindre équipement. Il faut compter sur une précision parfaite à chaque prise, à chaque pas.
«Un seul glisse ment, un orteil posé un centimètre trop haut, une erreur de quelques degrés au moment de placer le chausson en carre, une prise saisie avec la mauvaise main, et Al ex dégringolerait dans le vide, peut-être en hurlant, car le sol se rapprocher ait de lui presqueà 200km/h. »
Durant plusieurs heures et 464 pages, c’est le flux de conscience d’Alex Honnold qui va nous être livré au fil de ce texte sans autre point que final. Le solo, c’est la vie intense, la vie qui prend de la vitesse, la vie exaltée. Le grimpeur prend le temps d’arracher cet instant de vérité où la vie bascule dans un mouvement irréversible, après quoi rien ne sera plus comme avant. Le livre créé alors un rapport au temps significatif, il déploie du récit. Mark Synnott le situe en lisière de la psychanalyse et de l’ethnographie, mais le saisit dans un geste biographique qui ouvre sur l’intériorité d’un homme et sinue dans sa mémoire. Alex Honnold rêvait d’être le premier à grimper El Capitan en solo intégral, «avec juste le bout des doigts entre l’ éternité et lui ». Et si ça tournait mal ?« Au lieu de se cacher cette réalité, il l’ explora, allant même jusqu’ à imaginer ce qu’ il ressentir ait au moment de s’ écraser au sol à une vitesse extrême. Selon lui, il flotter ait au-dessus des on corps désarticulé et ensanglanté .» Mais n’at-il pas peur? Pourquoi ce risque? On a beaucoup parlé de l’amygdale d’Alex Honnold. Située dans le lobe temporal du cerveau, elle permet d’associer une valeur émotionnelle aux stimuli qui nous parviennent en permanence : elle est étroitement liée à la plupart de nos émotions primaires. Celle d’Alex Honnold serait lésée ; pourtant, lui seul sait qu’il éprouve de la peur exactement comme une personne normale. Une véritable fascination pour le cerveau d’Alex Honnold s’est développée ,« personne ne veut croire qu’ il est commetoutlemonde ». Son explication est claire : «J’ aitellement grimpé en solo et me suis tellement appliqué à améliorer mes techniques d’ escalade que ma zone de confort est assez large. C’ est pourquoi beaucoup de choses que j’ accomplis et qui semblent très osé es me semblent, à moi, parfaitement, normales .[…] J’ ai passé tellement d’ heures suspendu par un verrou de doigt qu’ il n’ y a plus de quoi en faireunehistoire. » Alex a probablement désensibilisé son amygdale pour être moins réactif aux menaces, surtout celles associées au vertige, en se confrontant régulièrement à des hauteurs très importantes. « La peur est un choix, tu peux décider d’ être effrayé ou non », poursuit-il. J. B. McKinnon, écrivain qui a organisé l’IRM du cerveau d’Alex, prolonge cette explication : « Avecuneffortvolontaireetuneexposition progressive et répétée à ce quel’ on craint, chacun devrait pouvoir trouver un courage qu’ il ignorait avoir. » Ici, la métaphysique et le pragmatique sont constamment liés. Mais on retiendra surtout que les pensées et les pulsions sont soumises à de subtiles dérives. Ces grimpeurs agissent sans avoir aucune vraie bonne raison de le faire, sans but quantifiable, dans un moment chimique. Alex Honnold travaille les masses, les volumes, il dose les vitesses, les intensités, approfondit les nuances, truque les reliefs. Il chorégraphie l’instable, en un élan – retranscrit ici au détail près – foudroyant de beauté.