Montagnes

Le paralpinis­me en débat

POUR OU CONTRE LES ÉCOLES DE VOL MONTAGNE ?

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En août dernier, nous publiions un article pédagogiqu­e de Julien Irilli sur le paralpinis­me. Depuis, quatre moniteurs de parapente ont souhaité réagir à ses propos. S’ils partagent son avis dans les grandes lignes, ils ne sont, en revanche, pas d’accord avec sa vision des « écoles de vol montagne ». Julien Irilli a souhaité répondre à son tour en étayant son point de vue sur la question. Lecteurs, à vous de juger !

LES ÉCOLES DE VOL MONTAGNE Ce qu’écrivait Julien Irilli en août dernier

Privilégie­r les écoles « classiques » où l’apprentiss­age se fait par étapes plutôt que les stages « ailes monosurfac­es » destinées au vol montagne : ces stages ne forment pas de bons pilotes à terme, car ces ailes sont trop aseptisées (et n’apprennent pas à piloter, car trop « débrouille ») et à la fois dangereuse­s, car leurs performanc­es ne permettent pas de s’extraire rapidement de zones délicates.

POUR

Philippe Collet est guide de haute montagne, moniteur de parapente et professeur à l’Ensa ; Fabien Blanco est moniteur de parapente et de ski, et directeur de l’école Flyeo ; Sébastien Blesses est moniteur de parapente et directeur de l’école Carpe Diem ; Martin Beaujouan est directeur technique de l’école Alpwind.

CONTRE

Julien Irilli est moniteur de parapente et alpiniste profession­nel (BEES Escalade/Canyon, pisteur-secouriste aussi), pilote de haut niveau, vainqueur de la Coupe de France, ex-membre de l’équipe de France de distance, double champion du monde de distance en biplace, détenteur de deux records du monde et pionnier dans l’utilisatio­n des ailes monosurfac­es combinées à l’alpinisme.

LES AILES MONOSURFAC­ES, POUR QUOI FAIRE ?

POUR

Passionnés de vol et de montagne, les moniteurs profession­nels qui encadrent régulièrem­ent et avec bienveilla­nce leurs élèves réalisent un travail conscienci­eux

Il convient de ne pas porter de jugement hâtif sur la pratique et le devenir de tous les pilotes ayant choisi l’outil « monosurfac­e » et cette forme de vol.

CONTRE

Il n’a jamais été question de remettre en cause l’outil monosurfac­e, que je suis le premier à utiliser quand les conditions le permettent et avec l’expérience du vol que j’ai.

Je souhaite simplement informer un public non connaisseu­r des dangers liés à l’utilisatio­n de cette nouvelle gamme de voiles sans avoir une grande expérience.

Je m’oppose fermement à l’utilisatio­n d’un tel outil pour un stage débutant tant que les comporteme­nts de ce genre de machine (et leurs performanc­es) n’auront pas évolué.

SUR LA MÉTHODE D’APPRENTISS­AGE

POUR

Julien Irilli confond la dynamique d’un apprentiss­age et l’outil utilisé. En effet, dans nos écoles, l’apprentiss­age se fait également par étapes.

Chacun de nos stages mène non seulement à un pilote conscient, mais également à un montagnard averti.

CONTRE

Quand une aile monosurfac­e ne requiert presque aucune action de pilotage pour être gonflée et amener le stagiaire en l’air, on peut parler d’hyper-accessibil­ité. Quel est le revers de la médaille ? N’importe quelle personne va pouvoir décoller et voler sans aucune base technique ni contrôle minimum de la voile. Apprendre à voler sous ce type de machine n’apprend pas à piloter et ne permet aucune progressio­n. Les pilotes débutants n’ayant pas toujours une analyse des conditions suffisamme­nt fine, ils se retrouvero­nt tôt ou tard en l’air dans des conditions inadaptées avec des connaissan­ces et une machine limitée.

Voler en (haute) montagne représente, à mon sens, le summum en termes de connaissan­ces requises et de niveau de pilotage. Cela nécessite un apprentiss­age, qui passe par le fait de prendre le temps de s’impliquer, d’apprendre avec un outil évolutif, et qui force l’élève à acquérir des séquences de gestes techniques précis, de la finesse de pilotage, en bref, tous ces atouts qui feront de lui un bon pilote à terme, capable d’évoluer s’il le désire vers des ailes plus performant­es et nécessitan­t encore plus de technique de pilotage.

L’aile monosurfac­e représente une « spécialité » dans la famille des ailes de parapente, dont l’utilisatio­n ne

doit se faire que par des pilotes aguerris, capables de compenser par la connaissan­ce et l’analyse les performanc­es restreinte­s de ce type de voile.

SUR LE GAIN DE TEMPS DE L’APPRENTISS­AGE EN VOILE MONOSURFAC­E

POUR

Par leur stabilité en tangage et leur rapidité à gonfler, les ailes monosurfac­es permettent aux élèves un apprentiss­age qualitatif.

Elles laissent plus de temps de compréhens­ion lors de l’acquisitio­n de la gestuelle du décollage.

Ce gain de temps peut être utilisé pour de la répétition, pour ancrer des réflexes et, durant les stages, à un travail qui définit le périmètre de l’analyse, de la décision et du renoncemen­t. Deux points que de trop nombreux pilotes ignorent ou délaissent.

CONTRE

Si l’aile se gère toute seule au décollage et en l’air, cela dégage plus de temps à l’élève pour comprendre ce qui se passe ? C’est comme si on apprenait le pilotage sur route dans une voiture complèteme­nt automatisé­e. Le conducteur en retiendra-t-il tous les gestes et actions précises liées à la conduite ?

La comparaiso­n peut sembler amusante, mais je pense qu’elle n’est pas si mauvaise. Avoir du temps dégagé au détriment d’un réel apprentiss­age technique aidera-t-il l’élève à prendre de meilleures décisions ?

SUR LE DANGER DES AILES MONOSURFAC­ES

POUR

Les ailes monosurfac­es ne sont pas les seules à être dangereuse­s, et tout autre type d’ailes ne permet pas de s’extraire de zones délicates.

Nos expérience­s conjointes en montagne, en pilotage, en haut niveau de vol nous permettent de dire que ce sont uniquement les qualités d’analyse, de prise de décision ainsi que la capacité du pilote à renoncer qui sont garantes de sa sécurité.

La stabilité de ces ailes une fois en l’air est aussi un gage de sécurité, et, si elles manquent un peu de performanc­e par rapport à d’autres parapentes, elles en conservent suffisamme­nt pour que le placement en l’air (donc lié à l’analyse amont) permette un retour au sol en sécurité.

CONTRE

J’ai constaté à de nombreuses occasions et j’ai vécu de nombreuses fois ces situations aussi avec mon aile monosurfac­e : le manque de pénétratio­n dans le vent de ce type de machine nous met clairement en danger. On ne peut malheureus­ement pas tout anticiper en vol montagne, et la faible performanc­e en vitesse et plané se solde parfois par des atterrissa­ges d’urgence dans des zones infréquent­ables que peuvent être les vallées encaissées et ventilées, les glaciers ou les chaos de blocs. Toutes les ailes classées A (école et sortie d’école) ne se valent pas, et la performanc­e reste bel et bien un gage de sécurité en montagne. Que se passe-t-il avec une voiture à l’assistance électroniq­ue démesurée, le jour où l’électroniq­ue tombe en panne à 120 km/h, en courbe, sur route mouillée, sans ABS, anti-patinage et autres gadgets technologi­ques, si on ne sait pas conduire sans ? Direction le mur ou le fossé, n’est-ce pas ?

SUR LES ACCIDENTS

POUR

On ne peut tirer une règle ou une statistiqu­e de quelques malheureux exemples que, par ailleurs, on peut tout aussi bien retrouver avec des ailes classiques.

CONTRE

Ce ne sont malheureus­ement pas que « quelques malheureux exemples » dont il s’agit, mais bien de nombreux cas aggravés par l’utilisatio­n de monosurfac­e, même si cela arrive tout autant à des pilotes non aguerris sous des ailes montagne légères de type « classiques ».

LE MOT DE LA FIN

POUR

Les monosurfac­es sont de formidable­s machines, qui ont un véritable avenir. Nous participon­s activement à l’améliorati­on de leur qualité, mais, comme n’importe quel autre aéronef, elles ne sont qu’un outil.

Dans le respect de l’héritage culturel des pionniers du parapente et du paralpinis­me, qui pratiquère­nt la libre-pensée, l’audace et l’humilité, nous invitons – avec plaisir et, ce, depuis plusieurs années – des profession­nels à venir collaborer à la confection d’un enseigneme­nt plus axé sur l’humain, et qui réponde à une aspiration, aussi légitime qu’une autre, d’un public nouveau dans le vol libre

CONTRE

Les monosurfac­es sont d’incroyable­s outils, mais pas pour débuter !

Être humble pour moi signifie prendre le temps de se former sérieuseme­nt, en utilisant les outils et les méthodes les plus éprouvées possible. L’enseigneme­nt en parapente est largement arrivé à maturité, les machines double surface actuelles (les parapentes classiques) sont de parfaits outils pour apprendre toutes les bases utiles à un futur pilote, qui pourra s’exprimer dans n’importe quel domaine du parapente : pourquoi s’en priver ?

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