Montagnes

MONT BLANC À SKIS

ÉPERON DE LA TOURNETTE

- Texte et photos: Ben Tibbetts

Avec sa longue marche d’approche de près de sept heures pour gagner le refuge Quintino Sella, l’éperon de la Tournette est loin des commodités de l’alpinisme chamoniard. Fin mai, une bonne chute de neige avait plâtré les montagnes et avait fait des longs itinéraire­s en neige comme la Tournette une option attirante, avec une descente à skis par la face nord du mont Blanc.

Valentine et moi avons attendu cinq jours que la neige se stabilise avant de nous mettre en route au petit matin depuis le Val Veny. D’un pas tranquille, nous avons remonté le glacier du Miage dans l’air frais matinal, jusqu’à la limite des neiges. Après avoir chaussé les skis vers 2 200 m, nous gardions constammen­t le nez en l’air pour observer les formations rocheuses, car c’était notre première incursion dans cet impression­nant sanctuaire naturel. Arrivés au pied du glacier du mont Blanc, l’itinéraire pour Quintino Sella, qui passait sous le front du glacier fortement en recul, nous parut épouvan d’accord pour faire un détour en passant par le refuge Gonella. En début d’après-midi, l’air se réchauffa rapidement, des cumulus se formèrent et commencère­nt à masquer les plus hauts sommets. À chaque traversée de couloir, nous nous dépêchions, craignant de possibles chutes de pierres, et en nous blâmant de n’être pas partis des heures plus tôt. Arrivés à Gonella à quinze heures, nous nous sommes installés dans la partie hiver et avons tenté de faire sécher nos affaires. Continuer directemen­t vers Quintino Sella était évidemment totalement hors de question – remonter un couloir plein ouest sous un soleil brûlant manquait d’attrait !

Après un réveil à minuit, nous avons chaussé les skis et rejoint le glacier du Dôme par une nuit sans lune, éclairée seulement par les étoiles. Le réseau de crevasses était encore pire que ce qu’il nous avait semblé, et nous nous sommes aventurés dans une traversée - celantes. La surface du glacier était dure, raide et glissante, c’est pourquoi nous avons dû continuer à pied, la corde tendue entre nous comme celle d’une arbalète. Nous nous sommes parfois retrouvés dans des impasses, au-dessus de précipices glacés, et nous avons mis une heure pour traverser à sortis du labyrinthe en rampant au-dessus neige, fragiles comme des coquilles d’oeufs. De cet endroit, nous avions 2 000 m d’ascension pour rejoindre le mont Blanc. Comme il ne nous restait qu’un seul repas lyophilisé en réserve, nous avons décidé de ne pas nous arrêter à Quintino Sella et de tenter de rejoindre directemen­t le sommet. Atteindre le pied du couloir en Y fut un soulagemen­t, mais la traversée du glacier était également le point de non-retour. Nous étions désormais engagés dans cette voie avant même de l’avoir vue. Nous avons traversé le glacier du mont Blanc vers 4 heures, les masses sombres des montagnes occultant les étoiles au-dessus de nous. La neige profonde sur le glacier j’étais plus préoccupé par la pente de glace raide que nous remontions vers la rimaye, et je n’ai pas pu retirer la neige avant qu’elle ne fonde et imprègne mes chaussons.

Les premières lueurs apparurent dans le ciel vers 5 heures du matin alors que nous remontions un couloir entre le pied de l’éperon et le bord de la partie inférieure du glacier. Nous avons gardé la corde, car la pente d’aspect anodin était en fait truffée de crevasses. Au-dessus du couloir, nous avons émergé telles des fourmis au bord d’un vaste amphithéât­re de neige raide et de séracs menaçants. Pendant environ une heure, notre progressio­n fut rapide et une belle pente de neige, montant tout droit sur

MAL D’ALTITUDE

Comme un retour de bâton, mon énergie commença à me lâcher vers 4100 m. Treize jours plus tôt, j’avais pourtant gravi l’aiguille Verte et je souffrais malgré cela de mont Blanc est vraiment plus haut que tout ce qui l’entoure. Nous avons discuté de ma situation, mais sans possibilit­é d’échap de redescendr­e les 2700 m de dénivelé que nous venions de gravir. Bien que nous ayons jusque-là fait la trace chacun à notre tour, je n’eus bientôt plus la force de m’y atteler. Nous avons alors diminué la tâche à 50 pas chacun, puis 40, puis 20. À 4300 m, j’en étais réduit à ramper littéralem­ent dans les traces de Valentine. Comme je ralentissa­is, je ne

me réchauffai­s plus et mes orteils se refroi faisais des pauses régulières pour balancer mes jambes d’avant en arrière et tenter de faire revenir la circulatio­n dans mes vais me coucher sur mes piolets tous les 30 pas et respirer profondéme­nt pendant une minute. Dans cet état, je ne voyais plus le paysage qui m’entourait et ne prenais plus aucune photo. progrès lents et pénibles sur mon altimètre - laient pas bien, bien que toujours sensibles à la douleur… C’était peut-être le signe que ce n’était pas si grave ?

À partir de 4500 m, j’avais la tête qui tournait Valentine, en tant que médecin, nous aurait fait rebrousser chemin si elle avait pensé que la descente était l’option la plus sûre. Elle semblait toujours s’amuser, et je pus malgré tout voir que nous étions dans un endroit air absent les montagnes et les vallées lointaines, avec l’impression d’être détaché de - et de m’être autant refroidi. Des pensées irrationne­lles dérivaient à travers mon brouillard mental, je vacillais en marmonnant. Devenu trop fatigué pour balancer mes jambes, j’arrivais à peine à trouver l’énergie nécessaire façon alarmante de mes limites, mais peu à peu nous approchion­s du sommet. Valentine traversa un large couloir, avec des plaques de glace dure, en faisant voler des débris de aurait été fatal ; je me suis reposé sur mes piolets plusieurs minutes pour rassembler - celer, comme dans une séquence au ralenti, Détruit et agonisant, je me suis effondré sur pauvre bête.

RETOUR AU RÉEL

Mon salut enfin assuré, j’ai piétiné les marches de Valentine pour émerger sur soleil. Vers 9 heures, arrivé à quatre pattes sur l’autoroute de l’arête des Bosses, je - certé par la présence d’alpinistes qui arrivaient du refuge du Goûter, se dirigeant lentement vers moi. Après une pause, nous avons continué sur l’arête et même sur ce terrain plus facile, je sentais que je pouvais avancer comme les autres, mais en peinant à chaque pas. « Seulement 20 minutes jusqu’au sommet », me dis-je, « et nous pourrons descendre à skis vers de l’air chaud plein d’oxygène vers l’ouest, voilant le soleil en formant un parhélie (phénomène d’optique atmosphé sur les petits cristaux de glace présents dans certains nuages et qui se manifeste par des taches lumineuses irisées apparaissa­nt à la même hauteur et de part et d’autre du Soleil, N.D.L.R.). Une fois au sommet, je de Valentine. En descendant la face nord à même prendre quelques photos.

Mes pieds ont commencé à dégeler lorsque des Grands Mulets, continuant vers le Plan alors réalisé avec horreur qu’ils étaient dans un état bien pire que je ne le pensais. La douleur était atroce. Une onglée n’est rien à côté de ce qu’engendrent des gelures - sant et retenant mes larmes avec peine. En plus de l’inconfort physique, je réalisais avec tristesse et frustratio­n que mes pieds allaient me tenir éloigné de toutes les activités qui me plaisaient pendant assez longtemps. Au bout de quelques et se sont couverts d’ampoules, et je dus marcher en boitillant avec des sandales totalement en quelques mois.

 ??  ?? La face ouest du mont Blanc au coucher de soleil depuis le Semnoz.
La face ouest du mont Blanc au coucher de soleil depuis le Semnoz.
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 ??  ?? Valentine presque au sommet du mont Blanc.
Valentine presque au sommet du mont Blanc.
 ??  ?? Dans l’ascension jusqu’au refuge Gonella.
Dans l’ascension jusqu’au refuge Gonella.
 ??  ?? Valentine skie la face nord du Mont Blanc.
Valentine skie la face nord du Mont Blanc.

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