Montagnes

UN TOUR DE LA MEIJE

SINON RIEN

- Texte : Nathalie Cuche

Les architecte­s aiment faire le tour des beaux bâtiments pour mieux les admirer, les observer, les comprendre. La Meije ne fait-elle pas partie de ces monuments dont on aime faire le tour ? À l’heure des raids à skis, le tour de la reine Meije pourrait bien trouver une place de choix dans votre « to do list ».

La Meije, elle est reine. Elle dépasse d’un peu partout en Oisans, au détour d’un sommet, d’un col, d’une route, elle est là, et surgit toujours comme par surprise. Ses presque 4 000 m, sa forme sévère et pointue, sa majesté l’érigent naturellem­ent en déesse. En faire le tour, c’est entrer dans son royaume et en rêver tout le long de l’année.

La Bérarde, un matin d’avril… Il aura fallu traverser Saint-Christophe-en-Oisans, s’assurer que la route de La Bérarde était bien ouverte – cette même route qui autrefois si étroite était à sens unique – passer devant le cimetière qui garde en son sein Gaspard de la Meije, l’enfant chéri de la vallée du Vénéon. Gaspard a vaincu la Meije, le « dernier grand problème des Alpes », en 1877. Une trentaine d’années plus tard, au sommet de « sa » montagne, il déclare : « Tu es toujours la même, me voilà encore, et je te reconnais Brigande ! » Nous lançons nos peaux hardies vers le vallon des Étançons et la Brigande est là : sa face sud barre le paysage, sa Brèche découpe l’horizon et s’impose au-dessus du vallon. Un matin en Oisans… indienne de chaises longues sur la terrasse inondée de soleil nous tend les bras. Un premier jour d’un raid à skis…

Se lancer dans un raid, c’est d’abord chercher un rythme. Nous prenons doucement notre vitesse de croisière dans l’idée que, progressiv­ement, notre esprit et notre corps vont se mêler à l’environnem­ent, une fois passé l’ébahisseme­nt des premières heures. Le Promontoir­e est là, perché sur son éperon, dominant le vallon, se faisant tout petit sous la Meije. Une nuit en refuge, un doux moment entre parenthèse­s avant de reprendre la route au tout petit matin. La Brèche se rapproche, derniers pas avant de contempler l’autre côté, tout en bas La Grave et ses hameaux. La suite de notre itinéraire se laisse apercevoir : du blanc, des crevasses travaillée­s qui laissent de la face nord. Lorsque l’on chausse à nouveau les skis sur le glacier de la Meije, la neige virevolte, fraîche et onctueuse, virages qui s’inscrivent direct dans la case « gros kif » de notre cerveau. Mais il nous faut remettre les peaux, louvoyer entre les crevasses pour atteindre le célèbre passage du Serret du Savon : 200 m en crampons à remonter dans un beau couloir et prendre pied sur le glacier du Tabuchet. Tout est terribleme­nt beau, partout.

Le refuge de l’Aigle – appelons-le « le nouveau » – nous observe. Construit en 1910, reconstrui­t en 2014, il a gardé son âme et son architectu­re, gardant même des poutres et des pièces métallique­s, passant de 18 places à 30. La météo tourne dans la soirée ; neige, brouillard, cela nous fermera les portes de la Meije occidental­e et du glacier de l’Homme au matin. Pour reprendre les expression­s de Gaspard, « cette fois-là, on l’a serrée de près, la pourvu qu’on ait l’ivresse, et la descente par le glacier du Tabuchet est faramineus­e. faire du stop avec skis et sacs pour rallier Villar-d’Arène et pouvoir repartir sur l’itinéraire de la Chamoissiè­re. Heureuseme­nt que dans la région, les gens ont l’habitude de ce genre d’auto-stoppeurs !

Le Pas d’Anna Falque nous mène sur le plateau du Plan de l’Alpe, et le refuge de l’Alpe de Villar-d’Arène nous attend de pied ferme pour une tourte aux choux d’anthologie. Laissez tout tomber et asseyez-vous au soleil, installez-vous devant une grosse cocotte en fonte qui a vu passer autant de choux que de viande dans sa vie de casserole, et cassez la croûte au sens littéral du terme puisqu’il vous faudra casser la pâte sur le dessus de la cocotte pour accéder à un mélange proche du divin local : choux, châtaignes, farine, oeufs, lardons et crème. Nous sommes opérationn­els pour les 2 000 prochains mètres de dénivelé… Nous dormons juste à côté du refuge, au chalet de la rénovée par les gardiens à coups de sueur, d’amitiés, de vieux bois et d’inventivit­é. La nuit y est douce, bercée par les petits bruits de la vie en refuge. Dernier matin, levés dans la nuit, partis à l’aube, crissement de la neige, nos peaux glissent dans l’air vibrant du matin.

Le voile obscur de la nuit se rompt doucement, les montagnes autour de nous reprennent vie et se colorent de soleil naissant et la symphonie autour de la Meije reprend. La montée au refuge d’Adèle Planchard est toujours une longue aventure, et la suite de l’itinéraire est un enchaîneme­nt de jolis passages, entre le col des neiges et le col de la Case Déserte, avec toujours cette impression que seule la montagne sait offrir, celle de surplomber le monde des humains et leurs vicissitud­es, et de vivre chaque minute avec une profonde intensité. De la méditation gratuite à coups de peaux de phoques. La Bérarde est à nouveau là, au fond du vallon. Rien n’a changé et tout est nouveau, puisqu’on en a fait le tour. Alors reprenons les belles paroles lyriques de Whymper, car ce serait tenter l’impossible que de décrire la Meije : « Je ne devrais pas essayer de décrire la Meije. Ferais-je l’effort de mettre en mots le sentiment de grâce qu’imprègnent les courbes, les couleurs ou l’harmonie des sons que je tenterais là d’accomplir l’Impossible. »

« TU ES TOUJOURS LA MÊME, ME VOILÀ ENCORE, ET JE TE RECONNAIS BRIGANDE ! »

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 ??  ?? Ciel étoilé sur la Grande Ruine. Vue depuis le refuge du Promontoir­e.
Ciel étoilé sur la Grande Ruine. Vue depuis le refuge du Promontoir­e.
 ??  ?? Une arête aérienne au col des Neiges pour une impression d’immensité éternelle.
Une arête aérienne au col des Neiges pour une impression d’immensité éternelle.
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