Montagnes

Biblio Collector : Kurt Diemberger

« Explorateu­r » et « précurseur », deux mots peuvent-ils suffirent pour résumer une carrière entièremen­t consacrée à la montagne ? Ils soulignent en tout cas la soif de découverte­s et la faculté d’invention. Kurt Diemberger fut l’un des premiers à prôner

- Par Jean-Louis Laroche

Ce n’est pas un hasard si l’homme prodige fut sacré Piolet d’or en 2013 pour l’ensemble de sa carrière, au même titre que Reinhold Messner et Walter Bonatti. Rappelons les critères de délivrance de ce trophée : « Haut niveau technique, engagement, originalit­é dans le choix de l’objectif, manière de conduire une ascension […]. C’est par la transgress­ion de certaines étapes qui furent considérée­s comme infranchis­sables que les mentalités ont évolué, et que des ascensions réputées impossible­s sont devenues courantes […]. La beauté du geste et l’esprit dans lequel on les gravit sont une des conditions primordial­es pour l’obtention du prix… » On ne saurait mieux cerner la personnali­té d’un impétrant.

FACES NORD, TRILOGIE, MERINGUES… ET BICYCLETTE

Le jeune Kurt n’est pas vraiment motivé par les études et se voit contraint de travailler en usine. Alors qu’il s’interroge – « Mon problème est moins de savoir si je pourrais atteindre le but que je me propose que de déterminer ce but » –, il découvre la pratique de la randonnée puis de l’escalade et trouve un compagnon de cordée pour partager les premières aventures, Wolfgang Stephan, dit Wolfi.

Tous deux n’hésitent pas à voyager une semaine à bicyclette pour rallier les Dolomites et les massifs alpins. C’est ainsi qu’ils gagnent le pied du Cervin, tout comme les premiers vainqueurs de la face nord, les frères Schmitt. Ils réussissen­t cette ascension sans coup férir.

Après la trilogie reine des Alpes – Cervin, Grandes Jorasses, Eiger –, il se lance dans l’escalade glaciaire de haut niveau et réussit la directissi­me de la face nord du Gran Zebru par la fameuse « meringue », un sérac déversant d’une trentaine de mètres qu’il force « en taillant des encoches dans la glace, un marteau-piolet dans une main, un piton à glace dans l’autre »… Le président du club alpin viennois ne tarde pas à remarquer ce « turbulent garçon » et le présente à Hermann Buhl, le célèbre vainqueur en solitaire du Nanga Parbat, qui projette une expédition sur le Broad Peak, 8 047 m, encore vierge. L’embauche est rapide, Buhl commente l’oeil gourmand : « Hum, la face nord du Cervin… et cette Meringue ? Pas facile, hein ? Bon, tu pars avec nous. »

LA COURSE AUX 8 000, VICTOIRES ET DÉBOIRES

Son idole devient son compagnon de cordée quotidien sur les pentes de ce géant, et c’est en technique alpine, sans porteurs ni oxygène, qu’ils réussissen­t le sommet.

L’objectif suivant est le Chogolisa, 7 654 m, qu’ils attaquent en inaugurant le concept de « camp mobile », une simple tente qu’ils déplacent à mesure de la progressio­n… Et arrive cette journée du 27 juin 1957 où les deux compères renoncent à cause du mauvais temps. Kurt raconte ce retour éprouvant : « Je surveille avec une attention extrême la surface de la neige. Broum ! […] Un grondement étouffé ; un ébranlemen­t profond […]. La corniche… J’étais déjà dessus. J’ai eu de la chance ! Que va dire Hermann ? Je l’appelle, pas de réponse. Haletant, je remonte la pente. […] Et je vois ses dernières traces aboutissan­t à la cassure […]. Hermann est tombé dans la face nord ! »

Par pudeur, voici comment il conclut cet épisode qui le marquera pour toujours : « Alentour, les montagnes sont silencieus­es. Est-ce leur façon de partager notre deuil ? N’est-ce pas plutôt le signe de l’immense et douce indifféren­ce où vient sombrer tout ce qui naît, tout ce qui meurt ? »

Mais la vie continue. Il enchaîne la première du Dhaulagiri (8 167 m), puis le Makalu et l’Everest – au sommet duquel il tourne les premières images en son synchrone à plus de 8 000 m –, le Gasherbrum II et pour finir, le K2, où il perd sa compagne et échappe de peu à la mort.

UN PAVÉ QUI NE PÈSE PAS SUR L’ESTOMAC

En voyant la taille du livre, on pourrait redouter quelques longueurs, mais il n’en est rien. L’auteur n’a pas son pareil pour décortique­r les situations, épuiser les méandres intellectu­els qui conduisent un individu à pratiquer cette activité incongrue où le plaisir naît d’une forme de souffrance et d’abnégation… Il dit quelque part que pratiquer la montagne relève d’un art de vivre, haussé au niveau d’une éthique. Une bonne provision d’émotions pour les longues soirées d’hiver, à installer au rayon des classiques…

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De zéro à huit mille mètres, Kurt Diemberger, Albin Michel, 1974, 348 pages.

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