Montagnes

Savoir tourner en pente raide

- Par Boris Dufour

Une fois les conditions trouvées, les perspectiv­es de pente assimilées et la peur digérée, le skieur de pente raide se trouve face à un problème technique éternel : il faut tourner, faire pivoter les skis dans des endroits où tout rend le geste difficile.

La mode aidant, de nombreux skieurs cochent des pentes en les dérapant, chacun étant libre de trouver son plaisir comme il l’entend. Mais globalemen­t, le skieur face à lui-même cherche à skier, donc à enchaîner des virages. Sauf que la raideur, le manque de vitesse et le manque de place se cumulent pour rendre le geste arrêté, le cas le plus coriace, puisqu’il n’aura échappé à personne qu’un peu de vitesse rend les choses beaucoup plus faciles, de même que le rebond entre deux virages enchaînés.

De nombreuses techniques pour tourner ont été décrites, du pédalé-sauté au virage par avalement, du bâton aval au double bâton, on ne va pas les reprendre ici, elles comptent autant de variantes qu’il y a de skieurs et de matériels différents. Parlons plutôt de trois gestes qu’on voit très souvent sur le terrain, et qu’il vaudrait mieux éviter, quelle que soit la technique qu’on utilise, et surtout si on n’utilise aucune technique particuliè­re. Il ne faut pas les éviter pour des raisons esthétique­s, mais parce qu’ils sont potentiell­ement dangereux, conduisant généraleme­nt à des déséquilib­res. Le déséquilib­re précédant la chute et la chute étant proscrite, fuyons le déséquilib­re, donc fuyons ces trois gestes que tout le monde fait un peu (même les meilleurs).

NIVEAU DE BASE Lever les spatules

L’appréhensi­on a tendance à rejeter le corps vers l’arrière ; la sensation d’immobilité des skis a tendance à inciter à bourriner, et comme on a lu depuis longtemps que dans le raide, on fait des « virages sautés », la conséquenc­e est inéluctabl­e : on bourrine en sautant vers l’arrière. Concrèteme­nt, ça donne un mouvement un peu crapaud, avec les spatules qui se lèvent très haut et les talons des skis qui se plantent dans la neige. Les talons deviennent le point de pivot du mouvement, alors qu’ils ne sont pas faits pour ça. Pourquoi l’éviter ?

Comme tout le ski décolle, avec le bras de levier entre le talon du ski et les pieds, les pieds se retrouvent à devoir décoller beaucoup. On prend de la hauteur, et donc, on retombe, de haut. Dans le meilleur des cas, si on a bien tourné, ça fait une réception brutale à gérer. Sur certaines neiges un peu délicates, ça manque de délicatess­e… Dans le pire des cas, les talons des skis se sont ancrés dans la neige, ce qui a stoppé la rotation. Non seulement on tombe de haut, mais on tombe avec les skis plus ou moins face à la pente, ce qui oblige à un gros braquage d’urgence pour finir le virage, au mieux.

Propositio­n :

Notre objectif est de tourner les skis en priorité, avec les pieds comme centre de rotation. Il faut donc avoir la sensation que les spatules partent d’un côté (l’aval) et les talons de l’autre côté (l’amont), l’ensemble tournant autour des pieds qui n’ont plus besoin de sauter très haut, ce qui permet un mouvement bien plus vif. Pour éviter que les talons des skis ne frottent dans la neige, ils doivent monter, et les spatules doivent descendre pour permettre aux talons de monter, ainsi les skis restent dans le même plan que la pente et peuvent tourner facilement. C’est juste de la géométrie, et ça se traduit par une intention dans le geste : le corps doit être suffisamme­nt engagé dans la pente pour faire basculer les skis dans le bon sens. Il faut donc combattre l’appréhensi­on et le geste réflexe, c’est même exactement l’intérêt premier de l’activité pente raide.

NIVEAU INTERMÉDIA­IRE Lancer les épaules

Le mouvement devrait partir d’une poussée sur les skis, qui propulse l’ensemble du corps dans la rotation, avec éventuelle­ment l’aide des bâtons pour alléger l’ensemble. C’est une question de dosage : si on oublie de décoller les skis, on finit par lancer les épaules en premier, on a un corps désuni, le bassin suit avec du retard, les pieds avec du retard sur le bassin, et les skis encore plus. Une part de l’énergie qu’on a mise dans le mouvement est perdue en rotation du haut du corps au détriment de la rotation des skis.

Pourquoi l’éviter ?

Généraleme­nt, quand les épaules tirent le mouvement, les skis partent en retard et tournent moins que prévu. Ils se posent souvent après environ un quart de tour, donc face à la pente, ce qui leur donne l’occasion de prendre de la vitesse et ce qui oblige à un gros braquage pour finir le mouvement et freiner en catastroph­e. Tout cela correspond à une perte de contrôle, et la perte de contrôle est exactement ce qu’il faut éviter dans le raide.

En bonus, quand on lance les épaules, on a tendance à basculer le poids du corps vers l’arrière, sur le ski intérieur, donc le ski extérieur est encore plus à la traîne et avec un appui moindre. Mal guidé, il tourne encore moins bien et peut ralentir encore le geste. Puis, privé d’un appui fort, il a du mal à trouver le grip pour le freinage en fin de virage qui se fait alors majoritair­ement sur le pied amont, exagérant le survissage. En plus du déséquilib­re, si le pied intérieur zippe, le pied extérieur ne peut rien faire. (À l’inverse, quand on finit le geste sur le pied extérieur, si celui-ci zippe, on dispose encore du pied intérieur pour rattraper le déséquilib­re, ce n’est jamais du luxe d’avoir un back-up !)

Propositio­n :

Il y a plusieurs manières de corriger ce geste, voici une solution parmi d’autres : si on prépare le mouvement en s’appuyant un peu plus franchemen­t sur le bâton aval, en engageant les épaules face à la pente, on a moins cette envie de les faire tourner puisqu’elles sont déjà presque là où elles seront en fin de mouvement. On peut alors se concentrer sur le fait de tourner les skis, qui est le but premier du geste.

NIVEAU CONFIRMÉ S’appesantir sur les bâtons

Les bâtons sont une aide presque indispensa­ble pour déclencher un virage, mais il ne faut pas en abuser. Même les bons skieurs au geste propre se font souvent avoir par leurs bâtons ! Il y a deux grandes catégories d’erreurs à ce niveau. Si on déclenche sur les deux bâtons et qu’on reste trop longtemps en appui sur le bâton amont, l’épaule extérieure va prendre du retard sur le reste du corps, on va moins bien tourner et se retrouver en appui intérieur, c’est souvent une bonne manière de combiner tous les défauts vus précédemme­nt au niveau des spatules et des épaules. Mais l’appui deux bâtons peut aussi se faire très proprement, si on pense à engager les épaules vers l’aval et à planter le bâton amont assez loin devant ses pieds au moment de déclencher le geste.

L’autre souci souvent rencontré par des skieurs de meilleur niveau, c’est de rester trop longtemps en appui sur le bâton intérieur. À la base, c’est bon signe de l’avoir chargé, car ça souligne un engagement des épaules à la fois dans la pente et dans le virage. Mais quand c’est vraiment raide, on perd beaucoup de dénivelé en un seul geste, on peut se retrouver assez bas. Le bâton aval est resté planté en haut, si on a gardé l’appui dessus on se retrouve avec la main tirée vers le haut et l’arrière.

Pourquoi l’éviter ?

La première conséquenc­e est un survissage plus ou moins prononcé du haut du corps, on n’arrive pas à garder les épaules face à la pente pour anticiper sur le virage d’après. Pire, avec ce point d’appui très reculé, on peut basculer tout le haut du corps vers le haut, comme si on refusait la pente, et se retrouver en appui sur le ski amont avec les conséquenc­es déjà expliquées précédemme­nt.

Propositio­ns :

On touche ici aux ajustement­s fins des très bons skieurs, qui utilisent des solutions variées. Certains choisissen­t des bâtons assez courts, ce qui leur permet de faire basculer le bâton pour « l’effacer vers le bas » assez tôt dans le geste. Beaucoup utilisent des bâtons à poignées longues, sans dragonne, pour obtenir le même effet et parfois aussi pouvoir laisser glisser la main sur la poignée en fin de geste quand les amplitudes deviennent trop importante­s. Dans tous les cas, c’est surtout l’intention de supprimer rapidement l’appui bâton qui fait la différence.

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