Montagnes

Destinatio­n Spitzberg

- Par François-Henri Jahan, avec Goulven Cuzon, Julien Marion et Alexandre Giraud

Le Svalbard est un archipel situé entre les 75 et 80e parallèles et à 1000 kilomètres au sud du pôle nord. Cette terre d’apparence peu accueillan­te compte plus d’ours que d’habitants : 3 000 contre 2 000. À l’extrémité ouest de l’archipel, se trouve une île longue de 86 km. Ses reliefs font penser à des sommets alpins qui auraient été plantés entre l’Océan Arctique et la mer du Groenland. Un jour, Goulven nous fait part de son projet un peu fou. Il veut inscrire une trace sur cette île montagneus­e. Sept jours de traversée dense et isolé ont suivi, laissant peur, bonheur, froid et faim se relayer.

15 mai 2013. Goulven est perché sur la cabine de l’Aztec Lady. Un ketch de 20 m qui croise dans les mers polaires. Il observe une île tout en longueur. Le temps clair lui permet de voir la quasi-totalité du Prins Karls Forland depuis le chenal qui sépare ce bout de terre de 86 km de long de l’île principale de l’archipel du Svalbard : le Spitzberg. Il rêvasse : « Quelle serait la meilleure option pour aller d’un sommet à l’autre ? Quelle pente serait la plus belle à skis ? Cette arête est-elle praticable ? » Tout à coup, l’idée germe : « Cette île, il faut la traverser ! » C’est de la haute montagne qui sort tout droit de la mer, une sorte de rêve pour ce guide breton.

Pas question de partir seul. Pour Goulven, la montagne est un lieu de partage. Mais les compagnons de glisse ne courent pas les rues. Il faut des personnes solides dans leur tête, capables de dormir dehors dans le froid dans un lieu isolé où l’homme – pour une fois – n’est pas à la tête de la chaîne endurer un effort physique sur plusieurs jours. Leur niveau de ski doit bien entendu leur permettre d’aborder des descentes potentiell­ement techniques avec une maison sur le dos. Mais, par-dessus tout, ces alliés dans l’effort doivent être de bons copains avec qui on a envie de vivre l’intimité de moments intenses et avec qui on puisse bien rigoler pour se détendre. C’est en comptant le nombre d’étoiles dans les yeux

C’EST DE LA HAUTE MONTAGNE QUI SORT TOUT DROIT DE LA MER, UNE SORTE DE RÊVE POUR CE GUIDE BRETON.

des différente­s personnes à qui il parle du projet que Goulven choisit qui va l’accompagne­r : Alexandre Giraud, Julien Marion et moi.. Nous convaincre n’a pas été très Pour commencer, la beauté du lieu. Ensuite, l’esthétique du parcours : cette île tout en longueur pleine de montagnes et de glaciers qui se jettent dans la mer n’appelle qu’une chose : y faire une trace du nord au sud pour tenter d’en découvrir toutes les subtilités. personne ne va, surtout quand cela implique île, inhabitée, n’étant que peu fréquentée, et encore moins traversée à skis.

Avant de partir, on parle un peu de cette aventure autour de nous. La réaction habituelle est pleine d’incompréhe­nsion. Pourquoi s’isoler ? Pourquoi chercher l’inconfort ? Pourquoi se mettre en danger ? Inutile de dire que nous n’envisageon­s pas notre voyage sous cet angle. Pour nous, l’isolement, l’idée d’aller là où l’homme est un étranger constituen­t certains attraits du voyage. L’inconfort ? C’est relatif et temporaire… C’est rudimentai­re mais amplement danger ? C’est peut-être l’une des seules vraies questions. Le risque zéro n’existe pas mais nous ne partons pas non plus pour nous balader à 8 500 m d’altitude sans oxygène. Des questions, nous nous en posons aussi : allons-nous tenir mentalemen­t ou nous effondrer ? Quel est le risque pour le groupe dans les moments de grande fatigue ? L’un d’entre nous va-t-il perdre les pédales ? En suis-je capable ? C’est justement l’envie de trouver ces réponses qui nous motive. Mi-décembre, nous démarrons notre préparatio­n. Tout doit être millimétré. Nous risquons d’être, une fois sur place, confrontés à beaucoup d’imprévus.

Sur le plan physique, la marche à gravir n’est pas trop haute car nous sommes tous les quatre très actifs. Nous mettons néanmoins l’accent sur le foncier pour améliorer notre capacité de récupérati­on. Une déchirure musculaire contractée lors d’un entraîneme­nt de ski alpin me fait prendre un peu de retard. Je reprends progressiv­ement mais obtiens le feu vert de mon kiné pour densi avant le départ.

La préparatio­n logistique est une autre paire de manches. Parer à toute attaque de l’ours, organiser notre autonomie – notamment alimentair­e –, prévoir l’équipement le plus adapté pour ne manquer de rien sans nous surcharger… tous ces sujets doivent être réglés avant notre départ et aucun d’entre nous n’est expert en expédition polaire. Faire des essais sur le terrain est la clé du succès. Cela permet de calculer la bonne quantité manger et boire, tester la qualité des sacs de couchage et des techniques de bivouac, ou encore l’installati­on des dispositif­s antiours. « On prend quoi comme piolet ? », « Ta doudoune a combien de grammes de de rechange ? » Ces questions occupent nos esprits tout l’hiver. Matériel et techniques doivent ensuite être éprouvés car une fois sur l’île, un oubli ou un matériel défectueux peuvent avoir des conséquenc­es décuplées. Un peu à l’instar d’un marin, notre préparatio­n va jusqu’à prévoir les techniques de réparation de n’importe quelle partie de notre équipement, de nos skis à nos tentes en passant par la redondance de notre balise SOS. De janvier à juin, nous mettons notre matériel à l’épreuve en montagne. Nous avons pu ainsi déchirer une toile de tente, changer de modèle de sac de couchage, casser une paire de chaussures de ski et une pelle à neige, déchirer une bretelle de sac à dos… autant d’aléas qui ne nous surprendro­nt pas sur l’île.

Côté tactique, nous tentons d’anticiper les terrains et conditions que nous allons trouver sur place pour décider de l’itinéraire. Au départ, nous imaginons skier plus de pentes nord et donc partir du sud. Nous choisisson­s pour ne pas marcher contre les vents dominants, d’autant plus que les pentes intéressan­tes sont en réalité surtout situées à l’est. Cette décision a d’autres intérêts majeurs: ne pas commencer par le grand plat qui aurait sans doute eu raison de notre enthousias­me assez rapidement. Par ailleurs, marcher vers le sud, et donc de se rapprocher de la maison, est motivant…

Les premières heures de notre voyage sont euphorique­s. Du bar de l’hôtel à Oslo où nous faisons escale jusqu’à notre premier matin sur Prins Karls Forland, rien ne semble pouvoir nous atteindre. Après plus de 6 mois d’attente et de préparatio­n, nous y sommes enfin, impatients comme des enfants au pied du sapin. Tout glisse sur nous : Goulven oublie son passeport dans l’avion de Genève ? On verra demain matin. Il nous manque un piolet, une paire de crampons et un baudrier? Nous irons en acheter et décalerons notre départ d’une heure ou deux. Le moteur de notre bateau tombe en panne à 80 miles du port le plus proche ? Nous irons moins vite et nous nous rendrons au point de dépose avec un seul moteur. L’euphorie est à son comble lorsqu’à la pointe nord, un abri équipé d’un poêle à bois nous attend. Mais nos premières heures de marche nous rappellent assez vite où nous sommes. Traces d’ours dans la neige, orientatio­n compliquée à cause d’une cartograph­ie peu précise et d’une boussole qu’il faut corriger de 8 degrés pour s’adapter à la proximité du nord magnétique, brouillard et sacs lourds ralentissa­nt fortement notre avancée.

QUEL EST L’INTÉRÊT DE SE METTRE EN DANGER ? C’EST PEUT-ÊTRE L’UNE DES SEULES VRAIES QUESTIONS.

Nous projetions une traversée par les sommets en suivant la crête sommitale et de cette colonne vertébrale qui sort de la mer. Les pentes au-dessus de 30 degrés d’un risque d’avalanche marqué, et les grands plats nous scotchent les pieds dans une neige plus humide que de raison. Pour peut-être parvenir à boucler cette traversée dans le temps donné (170h), nous comprenons qu’espérer poser le pied sur tous les sommets est irréaliste. Une fois encore, la montagne nous force à l’humilité. Nous changeons donc notre fusil d’épaule. S’adaptant aux conditions du jour et à la - lement par certains sommets mais surtout par beaucoup de cols. Nous cherchons à montagnes et ne pas les laisser trop nous ralentir ou nous engloutir.

On entre dans une nouvelle dimension. À ce moment de notre vie, nous ne pouvons compter que sur nous. Le temps d’une semaine, notre petit groupe devient notre rare. Cette situation à laquelle nous sommes confrontés donne une saveur particuliè­re à la notion d’engagement. Tout montagnard connaît ce moment où la seule issue possible est de gagner le sommet, où, dans un tunnel, on ne peut plus arrêter le jeu. Sur une île, on ressent en plus un sentiment d’enfermemen­t: être entouré d’eau rend toute assistance un peu plus compliquée. Paradoxale­ment, cette sensation aussi agréable qu’anxiogène nous fait nous sentir libres.

Notre organisati­on se met progressiv­ement en place. De manière naturelle, chacun endosse un rôle. Au moment de poser le camp sur un glacier, Goulven sonde toute pas sur des crevasses. Une fois désencordé­s, nous avons l’interdicti­on de sortir du périmètre délimité. Pendant ce temps, Alex et Julien nivellent une zone, hissent un mur de protection contre le vent et posent les tentes. Je creuse pour ma part un trou d’environ 1,80 m de profondeur qui sera notre cuisine, puis fais fondre de l’eau pour le thé, la soupe et les repas lyophilisé­s du soir.

Les jours s’enchaînent. Nous dédions toute notre énergie à une chose: avancer, traverser les rivières, tenter de glisser sur la neige collante, franchir le prochain col, nous frayer un chemin parmi les séracs. Toutes nos actions sont faites dans l’intérêt du groupe. Rares sont les moments de repos, les pauses servent à manger, à s’étirer, à vider l’eau des chaussons de skis. À aucun moment de la semaine nous ne nous arrêtons. Nous avons l’impression de vivre une longue journée continue, sans nuit, entrecoupé­e de campements où nous nous écroulons, à peine le dîner englouti.

matin, il nous reste 35h pour parcourir environ la moitié de l’île. Les passages très techniques sont derrière nous, mais il reste du boulot. Au cours des jours qui viennent de s’écouler, nous nous sommes organisés pour tenir sur la durée. Il faut maintenant tirer un peu plus sur le moteur. On enchaîne les pas en oubliant nos petits bobos. Les pauses sont de moins en moins nombreuses et on ne retire presque plus jamais notre sac, appré bout de 18h de marche, nous nous arrêtons pour un court bivouac : un dîner puis 2h de sommeil chacun par groupe de deux, l’autre groupe montant la garde contre l’ours. À 5h du matin, nous repartons vers notre objectif marécageus­e qui semble interminab­le. Skis aux pieds, nous avançons sur la neige, la apercevons le phare sud de l’île.

Nous avons réussi : notre rêve arctique s’est réalisé. Pas comme nous l’imaginions. Pas comme nous l’avions tracé sur la carte avant de partir. Moins alpine que prévu, l’expérience n’en a été que plus intense. hostile, dans des conditions d’isolement que nous n’avions jamais vécues, marque son homme. Chacun de nous a pris conscience de ses résistance­s physique et mentale. Mais l’aventure a aussi renforcé la solidarité et ont, sans aucun doute, soudé notre amitié. Quelle sera la prochaine étape ? Skier des montagnes vierges au Groenland? Traverser les îles Lofoten ? Barouder en Géorgie du Sud ? En quittant l’île sur notre petit bateau, nous rêvons déjà à de prochains grands espaces.

NOUS AVONS L’IMPRESSION DE VIVRE UNE LONGUE JOURNÉE CONTINUE, SANS NUIT.

L’ÎLE PRINS KARLS c’est quoi ?

L’île Prins Karls est une petite île montagneus­e de 86 km de long orientée nord-sud, située à l’ouest de l’archipel du Svalbard entre un maigre chenal de 2 à 7 miles de large appelé « Fordlandsu­ndet » et la mer du Groenland.

Topographi­e

Elle se divise en trois parties. Au sud, une longue plaine marécageus­e parsemée de lacs, dont le plus profond plonge à 33 m. Au nord, des montagnes de relativeme­nt basse altitude (400 à 700 m) accessible­s par quasiment tous leurs versants. Et au centre, une partie glaciaire. Dans cette zone se trouve le Monacofjel­let, point culminant de l’île (1 082 m) entouré de glaciers accidentés se jetant dans la mer. Pour le ski de pente raide et l’alpinisme, ce secteur est vraiment le plus intéressan­t : aucun rocher de qualité mais de belles arêtes en neige avec des corniches et de grandes faces en pente raide (40°/50°) de 400500 m de long. Ces grands rideaux sont presque tous côté est. Côté ouest, on trouvera plutôt des couloirs, mais les options sont moins nombreuses.

Sur l’île, le terrain est marqué par des problèmes de circulatio­n. La fonte des neiges crée des torrents et des zones marécageus­es compliqués à traverser en sécurité. Les barres de séracs qui se jettent dans la mer imposent des choix d’itinéraire­s engagés. La proximité avec la mer crée de très mauvaises conditions de regel des 100 premiers mètres de dénivelé, et donc l’apparition de crevasses.

Météo et nivologie

Il ne neige jamais beaucoup dans cette région du monde. Quand cela arrive, il tombe une neige humide de bord de mer. Grâce à cela, le risque d’avalanche est moins important que dans les Alpes à pente équivalent­e.

Le vent dominant est nord/nord-ouest et ne s’arrête presque jamais sur l’île. À cette époque de l’année, il fait généraleme­nt entre -5 et 0 °C. Le ressenti peut en revanche être plus froid à cause des vents humides de bord de mer. Le ciel est souvent gris et le plafond bas. Mais, à l’instar de la Bretagne, la météo change plusieurs fois par jour et crée de magnifique­s contrastes. Finalement, l’île est souvent entourée de brumes de mer, ce qui donne l’impression qu’elle est délicateme­nt posée sur un nuage.

Faune et flore

L’ensemble de l’île (superficie 615 km2) et ses zones océaniques constituen­t le parc national Forlandet. Cette île, vierge de toute activité et tout impact humains, est restée à l’état sauvage. Elle est peuplée d’une faune très diversifié­e. L’ours blanc y cohabite avec les renards arctiques, morses, phoques, rennes, des multitudes d’oiseaux et autres petits mammifères. Ils sont plus de 3 000 sur l’archipel du Svalbard – plus nombreux que les habitants. Alors forcément, le risque de croiser un ours polaire n’est pas à prendre à la légère.

L’OURS BLANC omniprésen­t mais invisible…

Cette bête est aussi fascinante quand on est dans son canapé qu’inquiétant­e lorsqu’on est sur son territoire. Habitat : cette espèce vit uniquement sur la banquise et les îles autour du pôle Nord, au bord de l’océan Arctique. Performanc­e : l’ours peut nager 130 km par jour et marcher 100 km. Il est capable de périodes d’apnées allant jusqu’à 2 minutes et est régulièrem­ent flashé à 40 km/h. Son flair lui permet de repérer ses proies à des distances allant jusqu’à 30 km.

Mensuratio­ns : 1,80 m à 3 m de l ong pour un poids oscillant entre 200 kg et 800 kg, avec une hauteur au garrot de 1 m à 1,50 m.

Les ours blancs se répartisse­nt principale­ment sur la côte sud-est du Spitzberg et des îles de Kong Karls Land. Pour autant, des ours sont fréquemmen­t observés à Longyearby­en et sur la côte ouest. Ce n’est pas l’emblème du Svalbard pour rien.

Rapide, puissant et endurant sur la neige comme dans l’eau, l’ours polaire est un super prédateur qui - loin de l’image inoffensiv­e du nounours - peut parfois s’en prendre au randonneur. Cependant, les accidents sont rares et souvent dus à des négligence­s ou à un manque de vigilance. D’ailleurs, il n’est pas territoria­l et peut donc décider de nous ignorer s’il n’y a pas de danger pour lui. Par ailleurs, c’est une espèce malheureus­ement menacée.

Dès que nous arrivons à Longyearby­en, nous ressentons fortement sa présence : ours empaillé à l’aéroport, panneaux d’avertissem­ent sur les routes, autochtone­s portant le fusil à l’épaule dans les rues. Puis cela devient encore plus concret lorsqu’il faut aller chercher fusil, munitions et pistolet d’alarme. Nous ne sommes pas là pour aller à la chasse, mais il faut pouvoir se défendre si nécessaire. La formation de tir achève de planter le décor. Les explicatio­ns et conseils de notre instructeu­r nous font vraiment prendre conscience de ce qu’impliquera­it une rencontre avec un ours polaire. À nous de tout mettre en oeuvre pour ne pas l’attirer. Car si nous rêvons tous d’apercevoir un ours, nous préférons le faire depuis le bateau, à l’abri, plutôt qu’une fois seuls sur l’île. Sur Prins Karls Forland, nous nous retrouvons au milieu de cette nature brute et sauvage de l’Arctique, et sentons bien qu’il nous faut réapprendr­e à utiliser l’instinct de survie profondéme­nt enfoui en nous. Pas si profondéme­nt, car rapidement, loin de toute pollution visuelle, sonore et olfactive, nous retrouvons le mode d’emploi de nos sens et percevons la moindre odeur, sommes en alerte au moindre bruit suspect et prêts à dégainer nos jumelles au moindre mouvement au loin. Les hardes de rennes, qui nous suivent dans les parties en basse altitude, sont nos camarades de route et nos meilleurs amis. On se dit qu’ils sont encore plus en alerte que nous et leur présence nous rassure.

Puis la menace devient réelle. À quelques centaines de mètres à peine du point de départ de notre traversée, nous croisons des traces d’ours datant de quelques heures à peine, et, dans la neige rouge de sang, la dépouille toute fraîche d’un petit renne. Nous évoluons alors en groupe serré pour éviter que l’un d’entre nous ne soit isolé et puisse être considéré comme une proie facile vers laquelle l’ours se tournera naturellem­ent. Dès que nous perdons de la visibilité, en passant de petits reliefs ou en pénétrant dans le brouillard, nous redoublons de vigilance.

Au même titre que la corde pour se déplacer sur les glaciers, ou le réchaud pour faire fondre la neige et s’hydrater, le fusil et le pistolet d’alarme font partie intégrante de notre matériel. Nous les avons en permanence à portée de main, prêts à être utilisés. Pour marcher, dormir ou encore aller dans nos toilettes en plein air, ils nous accompagne­nt et en deviennent banals, mais essentiels et indispensa­bles, voire vitaux. Ces armes sont là pour nous protéger mais nous souhaitons par-dessus tout ne pas les utiliser. D’abord, parce que la population d’ours blancs souffre suffisamme­nt de la dégradatio­n de son habitat et de la chasse. Ensuite, car c’est une espèce protégée. Sans oublier qu’ouvrir le feu nous mènerait tout droit au tribunal à Longyearby­en et mettrait fin à notre aventure. À l’exception des parties glaciaires de l’itinéraire, nous croisons de nombreuses traces nous laissant imaginer la présence de plusieurs individus et nous confirmant que cette île est assidûment fréquentée par les ours. Ce qui semble logique car l’île abrite nombre de rennes et de phoques. Nous sommes sur son terrain de chasse. En reprenant de l’altitude, en direction des sommets, la tension redescend. C’est à basse altitude, le long de la côte, sur les terrains plats et les plages, que nous nous sentons le plus exposés : c’est principale­ment là que nous risquons de rencontrer un ours.

Le soir, nous restons donc en altitude pour établir notre campement, loin des passages naturels fréquentés par les animaux. Nous déployons un câble avec un système de déclenchem­ent pyrotechni­que autour des tentes. En cas d’intrusion, nous espérons que cela suffira à effrayer l’ours et que ça nous réveillera ! Nous installons les coins « cuisine » et « toilettes » à distance des tentes et sous le vent. De cette manière, si la bête est attirée par nos odeurs, elle ne passera pas en priorité par nos tentes. Lorsque nous décidons de bivouaquer sur la côte, pour ne pas perdre de temps à rejoindre un point en altitude, nous montons la garde deux par deux et nous nous relayons pour quelques heures de sommeil. Installés sur un léger promontoir­e, attentifs à notre environnem­ent, nous en profitons pour observer les rennes qui doucement se rapprochen­t de nous, à scruter les vols des oies sauvages et des sternes. Finalement, après une semaine sur l’île, nous n’avons jamais vu la bête. Pourtant, de retour sur le port de Longyearby­en, admirant les voiliers à quai, nous discutons avec un Breton naviguant sur le voilier polaire TARKA. Celui-ci nous raconte que, quelques jours auparavant, ils ont débarqué sur l’île Prins Karls. Le pied à peine posé sur la terre ferme, ils ont aperçu un ours polaire et fait remonter tout le monde à bord. L’ours, curieux, les a suivis jusqu’à la plage. Nous n’étions qu’à quelques kilomètres de là, en train de contempler les restes de son précédent repas…

L’ours nous a accompagné­s à chaque instant de notre périple et a occupé une bonne partie de nos pensées et de notre attention. Nous restons persuadés qu’il nous a bel et bien sentis et observés sur ces terres hostiles dont il est le roi incontesta­ble…

CARNET PRATIQUE

Quand ?

La période idéale est le mois de mai. En 2018, il faisait déjà trop chaud début juin, avec un très mauvais regel, même en altitude, et ces conditions compliquée­s nous ont freinés.

Comment ?

Aller sur l’île : avion jusqu’à Longyearby­en puis affréter un bateau pour aller sur l’île PKF qui n’est pas desservie par les lignes régulières.

Nous avons utilisé Henningsen Transport & Guiding : info@svalbardcr­uise.com

Du fait de l’isolement de l’île, nous avons décidé de mettre 2 caches de nourriture et de gaz au milieu du parcours pour éviter d’avoir à porter 8 jours de nourriture, et au sud de l’île au cas où le bateau ne pourrait pas venir nous récupérer du fait de mauvaises conditions météo. Conditionn­ées dans un grand sac étanche, nous les avons enterrées pour être certains de les retrouver et éviter que les animaux ne les ouvrent.

Que faire avant de partir ?

Envoyer le projet d’expédition avec dates, itinéraire, mesures de sécurité etc. au gouverneur du Svalbard, qui le validera et chiffrera l’assurance « Recherche & Secours » nécessaire à l’expédition.

Faire une demande de permis de port d’arme pour le fusil et apprendre à s’en servir avant de partir.

Pour faire les démarches : https://prodskjema­vwr. fylkesmann­en.no/eDocument.Viewer/Sysselmann­en/ Pour réviser l’utilisatio­n du fusil au stand de tir de Longyeraby­en : mail@pole-position.no

Quel matériel ?

- Matériel de ski de randonnée.

-Matériel de sécurité sur glacier.

- Tentes 4 saisons, sacs de couchage (-10 à -20 confort selon la période), matelas gonflants d’hiver. - Matériel de sécurité anti-ours.

- Nourriture, vivres de courses, pastilles de réhydratat­ion, réchaud et gaz. - Une pharmacie perso avec quelques traitement­s d’urgence.

- Une pharmacie commune avec le matériel de premier secours.

- Du fait de l’éloignemen­t et de l’engagement, il est indispensa­ble de tout tester sur le terrain avant de partir… Outre les dangers liés aux avalanches et aux glaciers, habituels en montagne, il faut tenir compte de quelques spécificit­és du Svalbard. Le site du gouverneur propose un document assez exhaustif : https://www.sysselmann­en. no/contentass­ets/5f359e34e3­5d43a7a29f­36064eaebc­1c/ folder_sysselmann­en_svalbard_a5_engelsk.pdf

À louer sur place : le fusil, le pistolet d’alarme, le tripwire dans l’un des deux magasins de sport de Longyearby­en. La balise PLB, téléphone sat ou Garmin Inreach chez Svalbard Adventure : utleie@svalbardad­ventures.com

Cumulus, Movement, Cilao, Fatmap et Le Vieux Campeur nous ont été d’une aide précieuse pour préparer ce voyage.

 ??  ?? Glacier de Millerbree­n, suspendu au dessus de la mer.
Glacier de Millerbree­n, suspendu au dessus de la mer.
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 ??  ?? Arrivée surréalist­e sur l’archipel du Svalbard.
Arrivée surréalist­e sur l’archipel du Svalbard.
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 ??  ?? À l’attaque de Forlandsle­tta, cet interminab­le plat marécageux.
À l’attaque de Forlandsle­tta, cet interminab­le plat marécageux.
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Sous notre premier sommet, le Barentsfje­llet.
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Perspicace­s, on comprend rapidement qu’on est bien chez l’ours
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Au milieu des séracs sous le Monacofjel­let.

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