Montagnes

Tour des Cerces

- Texte : Nathalie Cuche ; photos : Éric Beallet

Faire le tour d’un massif, c’est d’abord et surtout se mentir, car on n’en fait jamais le tour, et on a tendance à s’arranger avec l’idée d’un tour, et peut-être même d’un massif. Mais faisons fi de nos tricheries astucieuse­s car finalement, ne parton pas skis aux pieds et peaux glissantes d’un point A, pour y revenir quelques jours plus tard, sueur et enthousias­me débordant au compteur ?

À seulement quelques encablures de la belle Briançon, le massif des Cerces s’étend entre l’Italie et les Hautes-Alpes : les deux vallées phares du massif, la vallée Étroite et la vallée de la Clarée, scintillen­t de célébrité et éclairent tout le massif.

Nous sommes à peaux d’oeuvre au petit hameau du Pont de l’Alpe, entre Briançon et le col du Lautaret. Ce petit hameau, constitué de seulement deux habitation­s, est une star locale, car quelques hardes de bouquetins vivent juste au-dessus, au niveau de l’Aiguille du Lauzet. S’ensuit une joyeuse fréquentat­ion pour avoir la chance de croiser les beaux cornus débonnaire­s. Le programme de notre tour des Cerces est ambitieux – plus de 2 000 m par jour – mais la météo et sa soeur la nivologie sont bien alignées avec les planètes pour nous laisser rêver à ce genre d’enchaîneme­nt. Fast and light, qu’ils disaient… Le slogan est enthousias­te, le désir d’être fast aussi ! La mise en bouche de ces trois jours, le col de l’Aiguillett­e et l’arête du col du Chardonnet pour 1 000 m d’une seule traite, donne le ton. Dévalage de pente par le vallon du Chardonnet et nous rejoignons la vallée de la Clarée. Je l’aime bien, cette vallée. Juste parce que j’aime le livre d’Émilie Carles, La soupe aux herbes sauvages, et ses petites histoires d’un autre siècle, d’un autre temps. Et aussi parce qu’elle est tout simplement belle. Remonter la route d’été, grimper jusqu’au lac du Serpent, dont le nom m’accompagne Grand Cros, puis dévaler les pentes et en vallée Étroite.

La vallée Étroite, italienne pour sa partie basse, française pour sa partie haute, met un petit coup d’exotisme dans ce tour des

Cerces. Le refuge I Re Magi régale à coups d’antipasti, et ça parle italien en cuisine. Et pourtant, la vallée était à l’origine dauphinois­e, avant d’être cédée à l’Italie en 1713. Redevenue française en 1947, il faudra attendre deux décennies pour qu’une route puisse la rattacher à la vallée de Névache par le col de l’Échelle.

Le petit hameau et son refuge nous abritent pour la nuit, puis d’un trait d’un seul nous montons au mont Thabor, un peu plus de 1 400 m au-dessus. Passage obligé par la chapelle du mont Thabor dont le vrai nom fait frissonner : Notre-Dame-desSept-Douleurs. Mon esprit s’emballe sur les 100 derniers mètres pour atteindre le sommet et la vue qui va avec : serait-ce les sept douleurs du randonneur­s (peaux qui ne glissent pas, peaux qui collent plus, ampoules, soif, mal aux pieds, fatigue, barres de céréales immondes) ? Mais non, ce sont bien les sept douleurs de la vierge Marie et le nom « Thabor » viendrait du lieu saint du même nom en Palestine. Quant à la chapelle, elle était un lieu de pèlerinage et abritait une communauté monastique. Pour l’instant, elle abrite une belle dizaine de pique-niques variés, jonglant entre saucisson, fromage et petit coup de gnole : un pèlerinage comme un

Pour la descente, nous choisisson­s de rallier le vallon Peyron, puis de remonter à son col éponyme et ainsi faire le tour des mont et pic Thabor, deux pour le même prix, en passant par la case pointe de Terre Rouge.

Les Cerces sont pour nous : derrière le mont Thabor, plus âme qui vive. Seul le vent, la neige, et la vue. Les peaux glissent, nous rallions le col de Névache pour plonger sur le refuge des Drayères.

Situé au bout de la vallée de Névache, ouvert très tôt dans la saison, les Drayères offrent un véritable festival de la peau, mais aussi de la raquette. Les bruits de la vie au refuge s’échappent paisibleme­nt des lieux tandis que je savoure une petite sieste au soleil en terrasse. La vraie vie du randonneur en vadrouille. Les cartes jonchent les tables, on observe et on commente les petits traits, les ombres, les points. Et on décide de cet itinéraire dont on a déjà observé les tenants et aboutissan­ts juste avant l’apéro au refuge.

Les Cerces et son ensemble calcaire érigent de jolis monticules au milieu de notre itinéraire. Nous remontons le col de la Tempête – qui ce jour-là ne portait pas spécialeme­nt bien son nom, et cela ne nous a pas dérangés – pour mieux replonger dans la vallée de Névache et en ressortir pour glaner les faveurs du col du Raisin et du pic Ombière. De là à penser qu’un plaisantin a truffé les cartes d’allusions d’alcoolique­s, il n’y a qu’un pas. Le pic Ombière nous fait rigoler un bon moment lorsque nous remontons notre ultime pente vers l’Aiguillett­e du Lauzet. Concentrat­ion dans le rif Lanterne, la pente est forte et la fatigue se fait sentir. Puis c’est le petit cadeau des Cerces, quelques bouquetins traînent sereinemen­t sur les pentes ensoleillé­es, jolies silhouette­s posées çà et là. Comparativ­ement au bouquetin de Belledonne, celui des Cerces n’a pas pu se reproduire aussi facilement. Un millier d’individus pour Belledonne contre 230 dans les Cerces, avec un regroupeme­nt autour de la belle Aiguille du Lauzet. La route au loin, plus bas. Retour au plancher des hommes sous nos spatules frémissant­es de savourer la dernière descente de ce tour.

Mais était-ce bien un tour ? Les Cerces se sont-elles laissées « circonvolu­tionner » par nos skis ? Rien de moins sûr, tout cela

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Les Cerces accueillen­t les nombreux candidats à l’émerveille­ment.
 ??  ?? Vue XXL depuis la crête du Chardonnet, rien à jeter : Agneaux, Pelvoux, Barre des Écrins, la trilogie indétrônab­le.
Vue XXL depuis la crête du Chardonnet, rien à jeter : Agneaux, Pelvoux, Barre des Écrins, la trilogie indétrônab­le.
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