Montagnes

NILOV-GOLOVCHENK­O IMPROVISAT­ION AU JANNU

Plus qu’une façon de grimper, une éthique ou une liste de matériel prohibé, le style alpin est une philosophi­e. Pour Voytek Kurtyka, le plus romantique de ses pratiquant­s, le summum était de grimper sans permis en Himalaya. Liberté totale. Pour Sergey Nil

- Photos : Coll. Nilov / Golovchenk­o

Le Jannu est un sacré morceau. Pour la première, en 1962, Jean Franco avait réussi un joli carton plein en envoyant 11 alpinistes au sommet. Les Français avaient mis le paquet : Robert Paragot, René Desmaison, Lionel Terray, Paul Keller… toutes les stars du moment étaient là, bien équipées en oxygène et en matériel. Bien renseignée­s aussi par les deux expédition­s de reconnaiss­ance lancées en 1957 et 1959. « La voie des Français » qui emprunte la face sud puis la longue arête sud-est, est aujourd’hui considérée comme la voie normale du Jannu mais elle n’a rien d’une partie de plaisir. Nilov et Golovchenk­o n’en savaient rien, ou pas grand-chose. Leur objectif à eux, c’était la face est, jamais gravie malgré quelques tentatives slovènes dans les années 1990. En 2004, Tomaz Humar, encore un Slovène, y tenta une chevauchée solitaire dont il avait le secret, mais dut renoncer à 7 000 mètres. C’est à peu près tout pour les tentatives… Le Jannu, il faut déjà cravacher pour le voir. Isolé dans le massif du Kangchenju­nga, à l’extrémité orientale de la chaîne himalayenn­e, sa marche d’approche est une aventure à elle seule, surtout au début du printemps quand l’hiver s’accroche. Lorsque les Russes débarquent au Népal, la neige est encore bien présente sur les sentiers et les oblige à quelques détours malvenus : « Nous avons dû prendre un chemin beaucoup plus long pour éviter la neige et nous avons également dû gravir 300 mètres de roches pour atteindre le plateau de la face est », raconte Dmitry Golovchenk­o. de base au pied de la face. Le Polonais Marcin Tomaszewsk­i, troisième larron de l’expédition, montre déjà des signes de lassitude. Quelques jours plus tard, il jette l’éponge. Les choses sérieuses n’ont pas encore commencé mais Tomaszewsk­i ne le sent pas. Il n’est pas à l’aise avec ses deux compagnons qui ne parlent pas sa langue et la disparitio­n récente de son ami Tom Ballard au Nanga Parbat le hante. Il préfère rentrer chez lui. Le coup est dur pour Nilov et Golovchenk­o mais ces deux-là sont des durs à cuire qui se connaissen­t par coeur. Leur cordée a déjà fait des étincelles en Himalaya puisqu’elle a déjà reçu deux Piolets d’or. Un en 2012 pour leur aventure, déjà longue de 18 jours, sur la Tour de Mustagh (avec Alexander Lange) et l’autre en 2016 pour leur ascension de la face nord du Thalay Sagar (avec Dmitry Grigoriev). L’hésitation est courte, ils y vont quand même.

Le 16 mars, la cordée s’engage dans la paroi avec des vivres pour une quinzaine Un dernier regard en arrière et les Russes claquent la porte derrière eux. Pendant les 18 prochains jours, leur monde sera vertical, glacé et incertain. Ils ont leur itinéraire en tête mais sont prêts à improviser ou de la météo. C’est l’alpinisme comme ils l’aiment.

Les premiers jours, la progressio­n est constante mais lente. La faute aux sacs, très lourds, qu’il faut se traîner dans la pente, et au soleil qui cogne dur et ramollit les jambes. Chaque soir, les deux hommes installent leur tente de bivouac qu’ils remballent le lendemain. De longueurs en longueurs et de bivouacs en bivouacs, l’altimètre monte : 6 450 mètres le 20 mars, 6 670 mètres le 22… mais les 7 000 mètres sont encore loin et le sommet encore plus. Aux constantes bourrasque­s de

Sergey Nilov et Dmitry Golovchenk­o, glacés mais heureux.

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