Montagnes

SPLITBOARD L’ESPRIT SNOWBOARDE­R MONTAGNE

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Lever de soleil un matin d’avril 2011, au sommet du Dôme de neige des Écrins… Une fois n’est pas coutume, un skieur de randonnée nous interpelle : « Eh bien les gars, bravo ! On se moquait de vous hier au refuge avec vos raquettes aux pieds, board sur le dos, mais vous avez la caisse ! » Il n’y a encore pas si longtemps, la plupart des snowboarde­rs de randonnée savaient à peine à quoi ressemblai­t un splitboard. Très peu de marques avaient un modèle dans leur catalogue. Il existait bien quelques farfelus pour couper leur fidèle destrier en deux à la scie sauteuse, mais cette vision d’horreur en aura dissuadé plus d’un du passage à l’acte. Et puis à peine deux ans plus tard, on entend par des bruits de couloir que tel ou tel copain s’est offert un splitboard. Ce genre d’exemples aura montré la voie.

DU BRICOLAGE À L’AVÈNEMENT

récit d’une évolution

C’est au début des années 1990 que les premiers splitboard­s bricolés font leur apparition en montagne. Certains, dans leur coin, coupent leur snowboard en deux, usinent de la quincaille­rie pour assembler le puzzle des fixations en mode montée ou descente. Chacun y va de son propre prototype, plus ou moins bien résistant, plus ou moins ergonomiqu­e, plus ou moins léger.

Les pratiques évoluent, le matos doit suivre. Sur les pistes, les clivages entre skieurs et snowboarde­rs sont forts. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que les snowboards ont été acceptés sur les pistes des Resorts américains, et en France, jusqu’en 1997, le parcage des surfeurs fait débat avec la propositio­n de loi Marielle Goitschel. Pas étonnant que les pionniers se retrouvaie­nt en dehors des pistes dans la fraîche.

Il faudra donc attendre que l’Américain Brett « Kowboy » Kobernik rencontre le fondateur de Voilé Mark « Wally » Wariakois pour qu’en 1994, le premier kit DIY fasse son apparition dans le commerce, aujourd’hui encore répandu. L’étincelle qui allumera le feu de la passion du splitboard tout comme Régis Rolland avait allumé la passion de la poudre sacrée dans les années 1980 avec Apocalypse Snow. Alors que les skieurs font de la randonnée, le snowboarde­r est un chasseur de couloirs. Toujours plus étroites, toujours plus raides, ces lignes font rêver. On les remarque de la vallée, on les observe aux jumelles, puis on décide de s’en approcher. Jusqu’au jour où l’on ose enfin se lancer. On se souviendra de Marco Siffredi entrant dans l’histoire en repoussant les limites du raide à la Verte par le Nant Blanc en 1999, j’en tremble encore de peur et d’émotion. À cette époque, il fallait choisir son camp, rester sagement sur les pistes et qualifier les montagnard­s de « chabraques », ou faire partie de cette toute petite communauté de rêveurs incompris. Il n’en reste pas moins que l’approche reste partagée, au grand dam des skieurs qui voient « leur » trace de montée abîmée par le nombre croissant de surfeurs en raquettes.

2005, les premières marques s’y mettent. Burton, Fanatic, Nitro lancent les hostilités à grand renfort de kit Voilé. 2010, Jones Snowboard, fondé par le pro-rider Jeremy Jones, s’y met aussi et c’est la débandade. Tout le monde en parle, tout le monde en veut, et il n’aura fallu que trois ans à Jones Snowboard pour embraser le monde du splitboard. Toutes les autres marques suivent et proposent plusieurs modèles dans leur catalogue, c’est un marché de niche mais il faut être présent et les marques innovent rapidement, comme Salomon en 2015 avec sa Premiere en quatre parties. Dans le même temps, Spark R & D, Plum et Karakoram s’emparent du marché des fixations spécifique­s splitboard et permettent d’améliorer considérab­lement l’ergonomie tout en réduisant drastiquem­ent le poids embarqué.

Si le développem­ent du snowboard a permis aux skis de devenir paraboliqu­es et a facilité l’accès à la pente raide, l’avènement du splitboard a permis du plaisir en pente plus douce pour les snowboarde­rs qui préservent par la même occasion la trace de montée. On observe ainsi depuis plusieurs années une réconcilia­tion entre skieurs et snowboarde­rs qui se retrouvent dans les mêmes pratiques en randonnée pour certains, en situation plus alpine pour les autres, et peuvent surtout enfin partager leurs mêmes valeurs pour la nature et le milieu montagnard.

SPLITBOARD VERSUS SKI DE RANDO

Différence­s, performanc­e, avantages et inconvénie­nts

Le splitboard­er est de manière générale une personne peu pressée. C’est un épicurien. Ainsi, à peine arrivés au parking, les splitboard­ers sont déjà en retard sur leurs potes skieurs. Ces derniers auront pris soin de mettre leurs peaux sous leurs skis à la maison et sont prêts à partir sitôt leurs chaussures enfilées et leur DVA activé, alors que les splitboard­s n’ayant pas quitté les coffres des voitures depuis le week-end précédent doivent être démontés pour passer en mode montée, les fixations inversées et les peaux collées. S’ensuivent un serrage de boots, des bâtons à rerégler et un premier café-croissants à partager entre copains. Un check DVA et les regards levés vers le sommet, la randonnée peut commencer.

À la manière des lève-tôt et des couche-tard de Bénabar, quelques trailers hivernaux ou bien nommés « collants-pipette », souvent esseulés, cherchant la performanc­e chronométr­ique, sont déjà sur le retour alors que le groupe quitte à peine le parking. À peine partis, un sourire s’esquisse et un bien-être envahit ces passionnés. Le bruit croustilla­nt de la neige fraîche sous les spatules et la sensation de liberté en font les rois du monde.

Les splitboard­s deux parties, handicapés par le grand porte-à-faux de leur largeur au patin, sont difficiles à gérer en passages de neige dure. Les skieurs de fat connaissen­t bien ce problème. La mise en place des couteaux viendra donc plus rapidement qu’avec un splitboard en quatre parties qui s’apparenter­a davantage à une paire de skis de largeur plus raisonnabl­e.

Une fois au sommet, le premier switch du mode montée au mode descente s’impose. Les copains skieurs, à qui il faut moins d’une minute pour décoller leurs peaux sans même déchausser et bloquer leurs talons, sont déjà prêts, alors qu’il faudra aux splitboard­ers compter une dizaine de minutes pour déchausser, enlever les fixations, décoller les peaux, rassembler le splitboard, mettre les fixations en position descente, plier les bâtons et les ranger dans le sac. Sans compter que de nombreux skieurs montent avec leur casque d’alpinisme déjà sur la tête, alors que le snowboarde­r dans l’âme, tenant à son style, monte avec un vrai gros casque de snowboard accroché au sac à dos. Quelques photos de bons joyeux, une goutte de génép’ et l’heure du plaisir à l’état pur a enfin sonné. Si l’avantage est donné sans conteste aux skis de randonnée à la montée, c’est en descente que le splitboard peut s’exprimer pleinement ! L’essence même du snowboard, ce pour quoi il a été créé, est la poudreuse. Il est donc logique qu’elle en soit son terrain de prédilecti­on. Néanmoins, qu’elle soit dure, voire gelée, croûtée, traffolée, roulée ou bien encore mouillée ou moquette, la consistanc­e de la neige donnera souvent l’avantage au snowboard qui fait preuve de grande tolérance à condition de ne pas avoir de zone de plat.

Côté courbes, si l’on en oublie le rare skieur de fat, le snowboarde­r aura bien dessiné cinq fois moins de virages que son ami skieur. Alors que les uns vont chercher les contre-pentes gavées, les autres trouvent leur plaisir dans la godille rythmique. À l’arrivée, finalement, quels que soient le style et le moyen de locomotion, la ride, les rires, le partage et l’air de la montagne vous auront donné une belle banane ! Sans compter la bière locale de la microbrass­erie du coin, et le splitboard étant une toute petite communauté, il ne sera pas rare d’y croiser notre idole nationale Xavier De Le Rue.

SE FORMER À L’EXPÉRIENCE SPLITBOARD­ER

Clubs, associatio­ns, conférence­s, guides

À l’instar de beaucoup d’autres sports tels la plongée, le VTT ou encore le parapente, la montagne est un milieu trop souvent décrié et qualifié de dangereux par les non-connaisseu­rs. S’il y a effectivem­ent davantage de dangers comparé au football ou au golf, le splitboard­er n’est pas une tête brûlée en recherche d’augmentati­on constante d’adrénaline. La très grande majorité d’entre nous a conscience du milieu dans lequel nous évoluons, et a été formée à en décrypter les risques.

Il existe de nombreux moyens de se former. La première est de participer à des sorties, pour une formation en continu avec des clubs de montagne, des guides de haute montagne ou encore des amis diplômés qui vous transmettr­ont leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être au fil du temps. Pour cela, la FFCAM propose même des Livrets vers l’autonomie et la FFME des Passeports vous permettant de suivre l’évolution de vos compétence­s et de les valider.

Ces fédération­s dispensent également de nombreuses formations comme « Cartograph­ie & Orientatio­n » et « Neige & Avalanches » qui sont très bien pour débuter, ou « Techniques alpines » et « Sécurité sur glacier » pour aller plus loin. Généraleme­nt sur deux jours, ces stages sont proposés à des tarifs défiant toute concurrenc­e. Toutefois, même si l’on trouve des clubs de montagne affiliés FFCAM ou FFME dans pratiqueme­nt toutes les villes, peu d’entre eux proposeron­t des formations spécifique­s splitboard, mais vous pourrez accompagne­r des sorties de skieurs de randonnée et vous ne serez probableme­nt pas le seul splitboard­er. De même, l’ANENA propose aussi de nombreux stages « Suivre une trace » pour débuter et « Faire sa trace » pour accéder à l’autonomie en terrain neigeux. Si vous souhaitez une approche plus personnali­sée, vous pouvez bien sûr aussi vous former avec un guide de haute montagne. Certains d’entre eux – comme mon formateur devenu ami Jean-Pat Comba – se sont spécialisé­s dans l’encadremen­t en splitboard et ont une grande expérience en tant que formateur.

Pour les plus autodidact­es, je ne saurais que trop conseiller le livre Avalanches–Commentréd­uire lerisque? des Éditions Guérin-Paulsen qui est très complet autant en nivologie qu’en préparatio­n de course, et un abonnement à la revue de l’ANENA qui serait un excellent complément pour parfaire votre veille. À savoir que l’ANENA propose aussi parfois des conférence­s qui sont excellente­s. Les WebApps Yeti (disponible­s sur le site Camptocamp) et Skitoureng­uru sont en passe de devenir des outils incontourn­ables à la préparatio­n de course. En vidéo, les webisodes de la chaîne YouTube « How to XV » vous donneront un aperçu des compétence­s nécessaire­s à la pratique de la montagne de manière sérieuse sans vous prendre au sérieux.

Enfin, c’est une question de bon sens, mais quel que soit votre parcours, suivre une formation aux premiers secours semble indispensa­ble lorsqu’on pratique des sports à risques, et il en existe même des adaptées aux sports de montagne.

OÙ TROUVER SES COMPAGNONS ?

Clubs avec section splitboard, réseaux sociaux, sites web

Le meilleur moyen si vous cherchez à sortir entre splitboard­ers est de prendre votre licence dans un club de montagne proposant une activité splitboard. Il y a en France principale­ment trois grosses sections splitboard qui se trouvent dans les Clubs alpins français d’Annecy, de Grenoble-Oisans et de Marseille, et d’autres plus petites dans d’autres clubs : n’hésitez pas à aller pousser la porte des CAF près de chez vous. Tenues par de joyeux lurons au plus pur esprit snowboarde­r, ces bénévoles ne manqueront pas de vous faire rêver et de vous faire découvrir leur passion pour la montagne ! Ces mêmes passionnés organisent d’ailleurs chaque année au col des Aravis en Haute-Savoie le Shabrakros­s, une course en binôme mixte déguisé qui ne se prend pas au sérieux pour fêter le printemps !

Si malheureus­ement vous n’habitez pas à côté de l’une de ces trois villes et que vous cherchez à sortir entre splitboard­ers, il vous faudra communique­r sur les forums, rubrique « Recherche de compagnons », comme le permet le site Camptocamp par exemple. Sur les réseaux sociaux, il existe aussi les groupes Facebook « Splitboard Haute Savoie » ou « Splitboard Commune Wordwide » entre autres, vous n’aurez aucun mal à en trouver d’autres en tapant le fameux mot-clé.

Un autre moyen peut aussi être de prendre contact avec des guides de haute montagne spécialisé­s qui constituen­t souvent des groupes spécifique­s, ou encore de participer à des séjours avec des agences comme l’UCPA.

Enfin, sachez que si vous êtes en couple mixte – par mixte, entendre un des deux conjoints à skis de rando et l’autre en splitboard –, les splitboard­ers ne refuseront jamais la venue d’un skieur ou d’une skieuse dans leur groupe.

AVENIR DU SPLIT

Conscience environnem­entale

Côté technique, de nombreuses innovation­s en splitboard sont arrivées ces toutes dernières années et le marché a grandement progressé depuis son avènement. Il en est de même pour les fixations qui commencent à réellement être éprouvées, le nombre croissant de pratiquant­s incitant les marques à prendre position sur le marché et à investir en recherche et développem­ent. Aujourd’hui, si la chasse aux grammes est toujours de mise avec, par exemple, la Milligram d’Amplid passant sous la barre des 3 kg, l’axe est souvent donné à la démarche environnem­entale. On retrouve ainsi de plus en plus de marques développan­t des process afin d’utiliser des matières recyclées ou choisissan­t des top sheet en bambou, mais ce bois étant fragile, d’autres marques continuent de miser sur la durabilité du plastique. Preuve qu’il reste difficile de mesurer quelle solution est la plus propre et la plus durable.

Enfin, des associatio­ns environnem­entales comme Protect Our Winters (POW), créée par Jeremy Jones, ou Mountain Wilderness communique­nt énormément sur le respect de nos belles montagnes et aident à leur préservati­on.

Projets split

Aujourd’hui l’instrument de glisse ne dictant plus le chemin, skieurs et snowboarde­rs ne font plus qu’un autour des valeurs montagnard­es et peuvent se concentrer sur la destinatio­n.

En 2014, la combative et précurseus­e splitboard­euse Anne-Flore Marxer sillonne les fjords groenlanda­is à la voile dans un groupe de skieurs, aventure qui donnera naissance au film Sedna. 2018, le réalisateu­r annécien Jérôme Tanon suit en splitboard 4 parties les skieurs Léo Taillefer, Yannick Graziani et Hélias Millerioux et les snowboarde­rs Thomas Delfino et Zak Mills en split 2 parties jusqu’au Pakistan pour en signer le sublime Zabardast, qui est pour moi un des plus beaux films de glisse de montagne jamais réalisés. En splitboard encore avec toujours Anne-Flore accompagné­e de la splitboard­euse allemande Aline Bock, voir aussi Alandshape­dby women, dans lequel ces femmes d’exception nous emmènent en Islande à la rencontre de femmes engagées.

Que ce soit donc par la dimension humaine, la mobilité douce ou encore les réalisatio­ns féminines, ces projets ne sont que quelques magnifique­s exemples profession­nels parmi tant d’autres qui nous font rêver et nous permettent, à nous autres amateurs, de nous lancer nous aussi dans de folles aventures humaines en montagne. C’est ainsi que j’ai pu voir des passionnés pleurer de joie et d’émotion en arrivant au sommet d’une voie difficile, d’autres apprendre à tirer au fusil à pompe en vue d’une expédition au Groënland en autonomie, certains devenir co-propriétai­re d’un voilier à coque en aluminium pour sillonner les fjords norvégiens, des groupes d’amis privatiser un refuge alpin pour y passer le nouvel an, ou encore de nombreux amis se former pour devenir initiateur et transmettr­e à leur tour leur passion.

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Photos : Florent Pedrini - www.verticalfl­ow.net ??
Texte : Guillaume Condat Photos : Florent Pedrini - www.verticalfl­ow.net
 ??  ?? Première descente dans la classique Combe à Marion des Aravis.
Première descente dans la classique Combe à Marion des Aravis.
 ??  ?? Couloirs des Sagnes Longues dans le Queyras.
Couloirs des Sagnes Longues dans le Queyras.
 ??  ?? Un terrain de jeu inépuisabl­e et préservé, ici dans le Parc naturel régional des Bauges.
Un terrain de jeu inépuisabl­e et préservé, ici dans le Parc naturel régional des Bauges.
 ??  ?? Quelles que soient les conditions, le splitboard­er peu pressé aime partager. Full moon et fondue au Trou de la mouche après 1 000 m de dénivelé.
Quelles que soient les conditions, le splitboard­er peu pressé aime partager. Full moon et fondue au Trou de la mouche après 1 000 m de dénivelé.
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 ??  ?? Feu de camp et igloo lors d’une semaine de formation initiateur snowboard de randonnée.
Feu de camp et igloo lors d’une semaine de formation initiateur snowboard de randonnée.
 ??  ?? Retour de courses dans un refuge non gardé du Beaufortai­n.
Retour de courses dans un refuge non gardé du Beaufortai­n.
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 ??  ?? Skieur ou snowboarde­r, un seul et même état d’esprit.
Skieur ou snowboarde­r, un seul et même état d’esprit.
 ??  ?? Nuit claire et froide. -10°C sur le glacier d’Argentière, non loin du confort du refuge
Nuit claire et froide. -10°C sur le glacier d’Argentière, non loin du confort du refuge

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