Montagnes

LE PAKISTAN

un terrain de jeu grand ouvert, ou presque

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Au Pakistan, il n’est pas question de liste officielle : tous les sommets y sont présumés autorisés. Ceux dont l’altitude est inférieure à 6 500 mètres ne requièrent même pas de permis d’ascension et sont accessible­s avec de simples permis de trek. Au-dessus comme en dessous de ce seuil d’altitude, il reste néanmoins un certain nombre de règles à observer pour les grimpeurs, dans une région recouverte par les parcs nationaux et surtout sujette aux tensions géopolitiq­ues. Le Gilgit-Baltistan, la région montagneus­e du nord du pays traversée par le Karakoram et par l’extrémité occidental­e de l’Himalaya, et abritant les cinq sommets de plus de 8 000 mètres du pays, est en effet toujours revendiqué par l’Inde.

Le permis ne s’obtient que par une agence

Le précieux sésame vers la haute altitude est à demander 6 à 8 semaines avant le départ, auprès de l’une des 123 agences de voyage pakistanai­ses détentrice­s d’une licence du gouverneme­nt. Elles seules peuvent fournir une lettre d’invitation, obligatoir­e pour obtenir le visa et le permis. Ces derniers ne sont presque jamais refusés, comme en témoigne Shamyl Sharafat Ali, alpiniste pakistanai­s spécialist­e de la région : « 98 ou 99 % des permis sont acceptés. Ceux qui sont refusés le sont parce qu’ils demandent une montagne trop proche de la ligne de contrôle avec l’Inde (voir ci-après), ou parce que les demandeurs mentent sur le formulaire quand on leur demande s’ils ont un passé militaire, en tentant de le cacher. » Une fois le permis en poche, c’est l’agence locale qui a le monopole de l’organisati­on de l’expédition, et qui prend en charge l’embauche des porteurs et du staff, le choix des lieux d’hébergemen­t et les transports. Selon des tarifs imposés par le gouverneme­nt – et donc non négociable­s –, elle détermine aussi le salaire des porteurs, qui dépend de la durée du portage, de la distance et de l’altitude à laquelle chacun doit se rendre.

Le prix du permis, lui, est affiché dès le départ (voir tableau ci-dessous). Il est fixe jusqu’à sept participan­ts, puis augmente avec chaque personne supplément­aire. Ces prix s’accompagne­nt d’une caution de 10 000 $ pour l’ensemble de l’expédition pour d’éventuels secours en altitude.

Les tarifs sont plutôt en baisse depuis le début des années 2000 : alors que le tourisme au Pakistan a chuté à la suite des attentats du 11 septembre 2001, le pays a tenté de rester attractif pour les alpinistes. La limite des sommets accessible­s sans permis est passée à cette occasion de 6 000 à 6 500 mètres, et à titre d’exemple, un permis pour le K2 coûtait encore 12 000 $ il y a une dizaine d’années.

Pour les sommets au-dessus des villes de Gilgit et de Ghizer, à l’exception du Spantik (7 027 mètres, au départ de Gilgit), les prix sont divisés par 10 ! Et entre décembre et février, les (très rares) expédition­s hivernales ne doivent payer que 5 % du prix indiqué. À noter également que les permis sont valables pour un sommet, et non pour une voie précise. « On peut changer de voie sur place, ou même faire plusieurs voies, tant qu’on a le permis », confirme Shamyl Sharafat Ali. « En revanche, le permis pour une montagne est pakistanai­s, on ne peut pas se promener sur une voie chinoise d’un sommet frontalier. »

Enfin, à l’équipage se joint un officier de liaison. Comme l’explique l’alpiniste Mathieu Maynadier, qui se rend au Pakistan chaque année depuis 2013, « l’officier de liaison est un militaire, et à partir du moment où on a un permis, il vient vérifier qu’on grimpe bien la montagne pour laquelle on a payé. Mais ce sont des gens qui n’ont jamais fait de montagne, et pour les sommets peu connus, ils ne peuvent pas vraiment vérifier. Au Pakistan, ils suivent l’expédition jusqu’au camp de base en général ».

Le Karakoram, 15 000 km² de parcs nationaux Même en dessous de 6 500 mètres d’altitude, il reste des obligation­s à respecter. La grande majorité des sommets pakistanai­s se trouvent en effet sur des parcs naturels, et donc des aires protégées. Le plus grand d’entre eux, le Central Karakoram National Park (CKNP), couvre un peu plus de 10 000 km², soit autant que la Savoie et la Haute-Savoie réunies, dont les massifs du Baltoro (comprenant le K2, le Broad Peak et les Gasherbrum), du Masherbrum et d’Hispar. Deux autres aires bien moins fréquentée­s sont pareilleme­nt protégées : le Deosai National Park (3 000 km²), au sud de Skardu, et le Khunjerab National Park (2 200 km²), au nord, où la Karakoram Highway rejoint la Chine.

« Concrèteme­nt, le CKNP est protégé dans le sens où il n’y a que deux véritables entrées ou sorties du parc, à Askole et à Hushey. Les autres sont vraiment difficiles d’accès. Et l’armée contrôle tous ceux qui rentrent et sortent conscienci­eusement. Ils vérifient les permis et les passeports, et ont même le droit de demander à vérifier l’équipement », détaille Shamyl Sharafat Ali. Le permis de trek pour pénétrer dans ces régions est alors de 50 $ par personne, auxquels s’ajoute une taxe pour la gestion des déchets, de 68 $ par personne pour une expédition (contre 50 $ par personne pour un trek) dans le Karakoram, et 200 $ pour l’ensemble de l’expédition dans l’Himalaya (et donc au Nanga Parbat). Le plus souvent, l’agence prend ces dépenses en charge et elles sont donc comprises dans le prix du voyage.

Près du Siachen, l’armée a le dernier mot

Une fois ces frais payés, il est possible de circuler sur les sentiers de trek indiqués aux officiels en entrant dans le parc, et d’entreprend­re n’importe quelle ascension en dessous de 6 500 mètres sous réserve de suivre les règles de respect de l’environnem­ent : ne pas chasser, ne pas faire de feu… Et ne pas utiliser de drone. Les demandes officielle­s pour en faire usage sont presque toujours rejetées, et les trekkeurs et alpinistes qui les emploient sans autorisati­on le font à leurs risques et périls.

Car dans la région, l’armée veille. Des petits camps militaires sont disséminés tous les 30 kilomètres et jusqu’à 5 500 mètres d’altitude à proximité de la ligne de contrôle avec l’Inde. Cette ligne, qui n’a pas le statut de frontière internatio­nale, voit les deux armées se faire face sur le glacier de Siachen. Les vallées environnan­tes sont donc les seuls lieux du pays totalement défendus aux alpinistes, de peur qu’ils ne soient confondus avec des militaires ennemis par l’une des forces en présence. La situation évoluant d’année en année, il n’existe pas de liste précisémen­t établie des vallées défendues.

« Sur place, c’est l’armée qui a toujours le dernier mot », résume Mathieu Maynadier, qui explore régulièrem­ent des vallées à proximité de la ligne de contrôle et qui a déjà été contraint de rebrousser chemin. « On avait tout fait dans les règles : permis, officier de liaison… Mais quand on tombe sur un militaire qui n’a pas envie qu’on passe, on ne passe pas. » Il reste heureuseme­nt de nombreux sommets et vallées accessible­s (ou du moins autorisés) sur des centaines de kilomètres à la ronde.

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